Les neurosciences, vraiment au service des enfants ?
Les recherches en neurosciences apportent leurs lots de découverte sur le fonctionnement cérébral. Céline Alvarez nous avait déjà parlé de la plasticité du cerveau pour les enfants, cette capacité du cerveau à remodeler ses connexions en fonction de l’environnement et des expériences…Alors d’autres chercheurs travaillent sur les neurones miroirs (empathie, apprentissage par imitation notamment) et le cerveau social (relations aux autres…) et cela pourrait nous agréer sauf que les découvertes scientifiques ne servent pas toujours la bonne cause. Le progrès technique est ce que les hommes et les femmes en font. Les recherches sur l’atome et la bombe atomique illustre notre propos. Hiroschima, Nagasaki…et la possibilité de désintégrer la planète, quel progrès !
Jusqu’à présent, le monde de l’entreprise était basé sur la hiérarchie : le grand ponte, les différentes sortes de cadres et les exécutants lambda en bout de course. Une pyramide avec des ordres du sommet à la base. Dorénavant, nous aurons des managers dits « neuro-amical ». Le but de ce neuro management est d’augmenter l’efficacité des équipes donc d’accroître les profits. Pour cela de nouvelles méthodes de coaching voient le jour, il faut réactiver la motivation des employés, leur créativité…donc la compétitivité des entreprises. Nous avions déjà évoqué dans nos colonnes les autoroutes de l’information et la réception massive de mails de toutes sortes, bref une bureaucratie qui ne peut plus s’arrêter et devient de plus en plus chronophage. Les neurosciences vont servir alors à trier les informations vraiment utiles à la bonne marche de l’entreprise afin d’augmenter l’efficacité des salariés. Le cerveau social aide à comprendre les ressorts de la motivation, du désir d’engagement… dans la société. Napoléon avait trouvé la légion d’honneur afin de récompenser ses collaborateurs bas de gamme, gageons que les chefs d’entreprise trouveront quelques gadgets en forme de hochets plus modernes. Le risque est important de voir les neuroscientifiques au service de l’entreprise et ainsi progressivement voir le fonctionnement cérébral s’adapter au monde de l’entreprise. Les régimes totalitaires ne sont pas des vues de l’esprit ; ils existent loin de la fiction. On va passer d’un vocabulaire managérial autoritaire (identité corporate, benchmarking, réseaux, mutualisation des compétences, réactivité sectorielle, patronat de droit divin…) à un vocabulaire plus soft mais dont les effets seront encore plus brutaux que ceux qui existent de nos jours car plus hypocrites.
Et les enfants là-dedans ?
Les autorités de l’Education Nationale, de gauche comme de droite nous abreuvent de mauvais résultats scolaires : PISA, Pirls…Elles nous assènent que la situation se dégrade d’année en année depuis une vingtaine d’années et qu’il faut réagir. Les ministères successifs ont leur recette. Pour celle de Monsieur Blanquer, ce sont les neurosciences et son joker, Monsieur Stanislas Dehaene. Pas un mot sur le pourquoi de cette dégradation constante des résultats. Aucune analyse. La seule chose qui importe, c’est de proposer quelque chose pour montrer à l’opinion publique que l’on prend le problème à bras le corps. Notre but n’est pas de démontrer que tout était mieux avant car ce n’était pas le cas mais que les solutions proposées évacuent les problèmes récurrents de l’Education Nationale. Enseigner serait une science. Les sciences économiques aussi paraît-il et l’on voit de nombreux économistes ne pas être d’accord sur l’essentiel. Les économistes n’avaient pas prévu la crise des subprimes…et finalement cette science est bien imparfaite d’autant qu’elle ne place pas l’homme au centre de ses préoccupations. Les neurosciences, c’est pareil. La bonne conscience des ministres de l’EN selon les époques, c’est de marteler ce que tout le monde sait depuis des décennies : l’école fonctionne bien pour les élites (nécessaires à la reproduction du système) et mal pour les enfants défavorisés. Les neurosciences seraient à même d’aider les enseignants (aide de logiciels…) et les enfants en difficulté. Le problème, c’est que nos élites ne se posent aucunement la question de l’hétérogénéité des classes qui s’accroît d’année en année. Tous ces enfants plus nombreux aussi d’année en année qui ont des troubles du comportement avec hyperactivité. Tous ces enfants en situation de handicap qui nécessitent une prise en charge individuelle sachant que les AESH sont insuffisamment formés et que ces aides ne sont qu’une béquille, un pis-aller. Quelles expériences seront transposables à la réalité du terrain, terrain plus bruyant qu’en laboratoire ou en frontal individuel. Quels outils seront mis à la disposition des enseignants et qui financera ce matériel (les mairies déjà exsangues ?)…Des contraintes et une réalité que méconnaissent nos chercheurs. Là encore, on constate que l’Education Nationale fonctionne de manière pyramidale comme une entreprise. Aucun professeur des écoles par exemple ne fera partie des 21 membres du Conseil scientifique de l’éducation, instance consultative mise en place par Monsieur Blanquer. C’est comme pour les assises la laïcité d’il y a trois-quatre ans, les enseignants de base ne sont pas consultés et quand ils le sont les questionnaires sont biaisés et les résultats « synthétisés » connus par anticipation.
Pointer du doigt les inégalités scolaires, c’est bien. Lutter efficacement contre ces dernières, c’est mieux. Aucun ministère ne s’aperçoit que dans les REP et REP+, il n’y a quasiment pas de mélange social. Que la politique du logement par ghetto engendre une école du ghetto puis une sectorisation de collèges. Que l’on trouve une forte proportion d’enfants d’immigrés dans ces ghettos qui cumulent le handicap des difficultés scolaires et du chômage pour les aînés. De la violence aussi.
Il ne suffira pas d’ajuster sa pédagogie pour supprimer les inégalités scolaires même si c’est une bonne démarche. En admettant que la plupart des enfants réussissent scolairement dans un avenir lointain, les enfants de l’élite au pouvoir ne se laisseront pas prendre leurs places de caste. Ils auront toujours un coup d’avance sur la masse.
C’est pour cela que nous comptons instruire les enfants pour qu’ils se révoltent plus tard comme le préconisait d’ailleurs Fernand Pelloutier à la fin du XIXème siècle. N’ayons aucune confiance en ces politiciens parés de vertus éducatives. L’enfer est lui aussi pavé de bonnes intentions.
Goulago (L.H.)