Le vieux docker

La coopérative du cinéma du peuple

Dès aujourd’hui, nous abandonnons le cinéma surréaliste à tous les possibles de demain mais par une incursion furtive dans son « hier », nous le croiserons encore une fois dans le sillage de Musidora, la muse qu’il adora.

Celle qui sollicita et maîtrisa de multiples moyens d’expression, doit aujourd’hui aux recherches et aux travaux de Francis Lacassin d’être reconnue comme une des plus importantes personnalités des premiers temps du cinéma, du théâtre et de l’expression artistique en général puisqu’elle s’appliquait également, mais à titre privé, à diverses disciplines artistiques comme le dessin, la peinture et la sculpture. Elle était l’interprète préférée de Louis Feuillade et les apparitions en collant noir de cette belle et grande actrice dans les Vampires, au même titre que la silhouette de « Charlot », resteront comme l’archétype du personnage cinématographique. Egalement actrice de théâtre, elle reçut, un soir de juillet 1917, l’hommage d’un bouquet de roses rouges que lança à ses pieds André Breton. Jeanne Roques qui emprunta son nom d’actrice à un personnage de Théophile Gautier, alors qu’elle fut l’interprète d’un nombre incalculable de rôles au théâtre et qu’elle participa à un grand nombre d’œuvres radiophoniques peut aussi être créditée de l’écriture de 35 pièces. Elle est également l’auteur de 7 scénarios et réalisa elle-même une dizaine de films. Elle incarna dans 62 production cinématographiques, dont une bonne part d’œuvres de Feuillade, des personnages divers, mais le souvenir du public et des cinéphiles reste attaché à une silhouette en collant noir qui dissimule et révèle à la fois un corps parfait et un loup qui met en valeur un regard pénétrant et profond comme le mystère.

Mais on est en droit de s’étonner que les historiens du cinéma ne s’arrêtent pas à la première apparition de Musidora à l’écran et au contexte de ce début d’une carrière prodigieuse. Seul Georges Sadoul, dans son Histoire Générale du Cinéma et Marcel Lapierre (qui collabora aux premiers numéros du Monde Libertaire) dans un excellent ouvrage Les Cent Visages du Cinéma évoquent cet événement.

Musidora est, dans ce premier rôle une simple ouvrière de maison de couture, exploitée et soumise comme ses compagnes, à des conditions de travail très dures. Cette courte bande : Les Misères de l’Aiguille, est un message sans équivoque, une dénonciation consciente et précise de ce à quoi sont soumises les employées d’un atelier de confection et un appel ferme et pertinent à la prise de conscience d’une classe exploitée ainsi qu’à l’unité et à la solidarité ouvrière, à partir d’un scénario que signe un certain Bidamant, un nom qui n’apparaît, d’ailleurs dans aucune filmographie.

Aux projections de ce film était distribué un imprimé qui en résumait l’argument et n’omettait pas d’affirmer que « cet horrible drame de la misère ouvrière exalte la fraternité des travailleurs » et précisait que : « A la mort de son mari, la pauvre Louise, sans ressources, veut se noyer avec ses enfants. Elle est secourue par les membres de la coopérative de lingerie « L’Entraide ».

Et la fin du film est sans équivoque. C’est un appel à la solidarité et à la défense organisée contre le patronat et le capitalisme : En se groupant dans les organisations de travailleurs, les syndicats, les Bourses du travail, les exploités pourront faire entendre leur voix. La dernière image fait apparaître sur l’écran la devise de l’Internationale : « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ».

A côté du nom de Bidamant, au générique du film, on trouve celui du réalisateur, Raphaël Clamour. On apprend que le tournage a été réalisé à Montrouge et à Paris, en décembre 1913 et que la production et la distribution sont assurées par : « La Coopérative du Cinéma du Peuple ». C’est le premier d’une série de six films, qui sera suivie par : « Les Obsèques du Citoyen Francis de Pressensé ; Victime des Exploiteurs ; L’Hiver ! Plaisir des Riches, Souffrances des Pauvres !; La Commune, du 18 Mars 1871 et le Vieux docker ».

La production de cette époque, nous sommes pourtant à bientôt 20 ans de « La Sortie des Usines Lumière », ne semble pas s’intéresser au monde du travail et, à fortiori, à ses luttes. Et l’investissement du cinéma dans le champ politique est encore timide. C’est à peine si on peut relever, dans une production mondiale en plein essor, quelques films de qualité qui abordent la critique sociale, l’injustice et les luttes d’émancipation : Lucien Longuet, collaborateur de Charles Pathé évoque les problèmes de l’alcoolisme avec, en 1908, « L’Assommoir » et, en 1910, « Les Victimes de l’Alcoolisme ». En 1905, il avait déjà porté son regard sur « Les Troubles de ST- Pétersbourg » et « La Révolte du Cuirassé Potemkine ». Et bien qu’on ne puisse, aujourd’hui préjuger du sens qui est donné au contenu de ce film, on peut relever, d’un des précurseurs du cinéma anglais, William Paul, un « Poussé à l’Anarchie… » de 1905. L’affaire Dreyfus, qui fut connu d’un énorme retentissement fut évoquée par Ferdinand Zacca pour la firme Pathé mais Georges Mélies, dès 1899 lui, consacra 11 épisodes d’une ou deux minutes chacun : « La dictée du bordereau », « L’Ile du diable », « Mise aux fers de Dreyfus », « Suicide du Colonel Henry », « Débarquement à Quiberon », « Entretien de Dreyfus et de sa Femme à Rennes », « Attentat contre Maître Labori », « Bagarres entre Journalistes », « Le Conseil de Guerre en Séance à Rennes », « La Dégradation », « Dreyfus allant du Lycée de Rennes à la Prison ».

La filmographie de Georges Mélies signale un : « L’Anarchie chez Guignol » mais, après s’être renseigné auprès de Malthète Mélies, Brix Jarry nous assure que ce film, comme le sens qui est donné au mot, n’ont rien à voir avec notre conception de la société.

Aurélien Dauguet

L’ami Aurélien a écrit de nombreux articles sur la Coopérative du Cinéma du Peuple et sur Cinéma et Anarchie. Si ce genre de textes suscite un intérêt pour nos lecteurs, nous publierons la suite…

« Pendant quelques mois, entre 1913 et 1914, il exista en France un cinéma anarchiste, libertaire et militant. Le premier de l’histoire du cinéma. Pendant quelques mois, la coopérative libertaire du Cinéma du Peuple, une coopérative ouvrière à capital et personnel variables – appropriation des moyens de production – s’attacha à la construction de films aussi beaux et nécessaires dans leurs balbutiements que sous leurs formes plus achevées.

Trois films furent réalisés, véritables illuminations profanes, par le cinéaste anarchiste espagnol Armand Guerra : « Les Misères de l’aiguille », « Le Vieux Docker » et, surtout « La Commune ». » (Sylvain George)

« Le Vieux Docker » représente la dernière production du Cinéma du Peuple. L’histoire raconte la dure vie d’un vieil ouvrier qui, après trente ans de labeur et de loyaux services, se voit mis à la porte des chantiers et jeté à la rue. Le film exprime un témoignage de solidarité vis-à-vis de l’anarchiste Jules Durand.

Source Ardèche Images