Le libertaire de Mai 2023

Pour tous les sectaires des chapelles de gauche, l’individu n’existe pas dans son intégralité. Il est indispensable qu’il soit dépouillé de toute hypostase aberrante, débarrassé de toutes les superfluités qui en font un être complet et complexe. L’homme ne doit plus être apprécié que sous son seul aspect utilitaire et « fonctionnel » : le travailleur.

Lorsqu’il n’est plus possible d’imposer l’ignorance aux intelligences en éveil, on les oriente par le moyen du catéchisme. Les slogans, les leitmotivs incantatoires, le « langage en bois », le « vocabulaire en conserve » des Eglises socialo-marxistes ont parfaitement réussi leur opération de blocage intellectuel des adhérents crédules.

La gauche politique utilise la classe ouvrière comme le clergé utilise le chrétien. Elle vit du conditionnement du militant comme l’Eglise vit de la superstition du croyant.

Le syndicalisme réformiste porte une lourde responsabilité dans le processus d’aliénation de la classe ouvrière.

Au lieu de concourir à son émancipation, il a, au contraire, spéculé sur son immaturité pour mieux la manipuler. Ainsi que le relève E. Rothen, « l’ouvriérisme farouche, qui s’employait si jalousement à préserver le prolétariat de toute influence intellectuelle, n’a pas craint de s’acoquiner à la pire espèce des « intellectuels », les politiciens, et de lui apporter son contingent ».

L’ignorance politique du prolétariat, son irresponsabilité sociale sont les piliers qui assurent la stabilité des structures autoritaires syndicales et étatistes.

S’intégrer ou s’émanciper.

 Les syndicats et les formations politiques de gauche ont seriné pendant des décennies que « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Mais en présentant le développement culturel et intellectuel comme des « stigmates bourgeois », ils ont fait de plusieurs générations de travailleurs une masse d’ignares endoctrinés, bourrés d’idées reçues et de certitudes. Ce qui était, par conséquent, le meilleur moyen d’entraver cette émancipation.

On peut facilement s’expliquer le manque d’intérêt d’une large fraction du monde ouvrier pour les questions sociales dans un système où tout s’élabore sans lui et même contre lui. S’engager dans un tel système, c’est immanquablement s’exposer à être dupe. Dès lors, l’indifférence du salarié pour la chose sociale ne peut-elle pas être interprétée comme une sorte de refus quasi-inconscient ?

Cette résignation fataliste rend les masses ouvrières indifférentes à l’orientation et même à la structure de l’autorité étatique. Elle laisse ainsi le champ libre à tous les abus du pouvoir.

Pour une grande partie de la classe ouvrière, habituée à être dirigée, l’orientation politique importe moins que la sécurité. Elle craint surtout de ne plus être dirigée. Elle s’effraie des responsabilités à assumer. Elle sent qu’elle n’y est pas préparée.

« Aussi longtemps que le manque de responsabilité réactionnaire l’emportera chez le travailleur sur l’esprit de responsabilité sociale, il sera difficile d’amener les masses à une attitude révolutionnaire, c’est-à-dire rationnelle ».

La prise de responsabilité sociale ne peut pas passer par l’intégration à des syndicats satellites des groupes politiques. La manipulation politique de la classe ouvrière n’aboutit en définitive qu’à un choix entre gauche et droite (le centre étant à droite). C’est-à-dire l’alternative : endoctriné ou réactionnaire.

Ce qu’en revanche propose l’anarchisme, ce n’est pas de se mouvoir latéralement, mais d’avancer. Or, le monde ouvrier ne pourra avancer que lorsqu’il se sera débarrassé de ses entraves : syndicats réformistes et partis autoritaires.

On ne peut pas à la fois s’intégrer et s’émanciper : il faut choisir.

Le résultat le plus clair de la démagogie ouvriériste a été une domestication quasi-absolue du prolétariat.

Toute utilisation des masses ignorantes ou catéchisées – ce qui revient au même –  en vue d’un hypothétique progrès social, ne peut conduire qu’à l’échec le plus total. Ce n’est que par le développement de l’esprit critique et la libération des intelligences que l’on pourra envisager le véritable changement.

Cela prendra du temps, mais il n’y a pas d’autre moyen.

André Panchaud