Traite négrière au Havre: ni oubli, ni pardon

La traite négrière était connue depuis longtemps au Havre et il en aura fallu du temps pour que la ville se souvienne de l’esclavage. Du 10 mai au 10 novembre 2023, l’Hôtel Dubocage de Bléville accueillera la partie havraise de l’exposition « Esclavage, mémoires normandes ». Le passé négrier de la ville y sera abordé. Enfin, pourrions-nous dire.

Dès 1966, Pierre Dardel publiait un livre « Commerce- Industrie et Navigation à Rouen et au Havre au XVIIIème siècle. Pages 174 et suivantes, l’auteur publie  les armements triangulaires des principales maisons du Havre pour la traite négrière de 1763 à 1790.

Nous donner suite à notre article d’hier nous publions quelques éléments de la traite au Havre, qu’il conviendra d’approfondir en lisant les sources complètes.

Certains négociants de ports normands comme Honfleur et Le Havre sont responsables de la déportation de 150 000 à 200 000 personnes.

« Avec 399 expéditions entre 1660 et 1789, Le Havre se situe au 3e rang des ports de traite français avant la Révolution, loin derrière Nantes et peu après La Rochelle. Il convient de considérer avec les expéditions havraises les 128 expéditions parties de Honfleur, qui pallie les insuffisances liées à l’exiguïté des infrastructures du port du Havre. Au total, avec 527 expéditions, la Basse-Seine se situe donc au second rang des portes de sortie des bateaux négriers français.  […]

Les premières plantations sucrières havraises à Saint-Domingue sont datées de 1706/1708, celles de café en Martinique des années 1730.  […]

Au niveau des loges maçonniques…

« Sur ce plan, l’attitude des deux loges maçonniques havraises, La Fidélité et L’Aménité, illustre très bien ce phénomène en raison de la contradiction qui existe entre l’acceptation de la condition servile et les valeurs cardinales auxquelles se réfèrent les Francs-maçons. Or, au moment où la Fraternité maçonnique conduit nombre de maçons parisiens à adhérer aux Amis des Noirs, La Fidélité , l’atelier le plus huppé du Havre, ouvre non seulement ses portes à une vingtaine d’armateurs négriers, mais confie même la direction de ses travaux à des hommes qui, comme le commis de négociant Jean-Baptiste Allegre, figurent parmi les plus impliqués dans la traite. Elle participe également activement à la politique de régulation de la vie des loges antillaises, une politique nécessaire pour faire cesser la demande initiatique qu’expriment les Libres de couleur.  

Au moment du pic du nombre d’esclaves traités par les Havrais (7500 en 1787) Allegre est le vénérable de la loge La Fidélité. » 

La presse régionale affiche et fait de la propagande à propos des positions esclavagistes qui sont le point de vue dominant des élites rouennaises. Elles sont renforcées dans les deux villes portuaires, à partir des années 1780, par la sensibilité que manifeste la presse alors naissante. Au Havre, le Journal du commerce est en effet dirigé par Le Picquierre, un journaliste qui se fait le chantre des positions esclavagistes  tandis que  le Journal de Rouen, via les annonces et les « Variétés », devient l’espace médiatique destiné à exposer les thèses esclavagistes fondées sur l’idée de l’infériorité esthétique et morale des noirs. Sous la Révolution, Havrais et Rouennais, même s’il leur arrive d’être parfois contestés par quelques esprits forts, tous étrangers à la nébuleuse négociante cependant, expriment avec force par le biais de délégations et de pétitions leur refus de voir le droit de vote étendu aux libres de couleur. Ils soutiennent activement le Constituant Jacques-François Begouën qui, après avoir été le porte-parole de l’opinion esclavagiste havraise en défendant peu avant la Révolution « la loi de la nécessité » (celle de préserver la traite au nom de l’intérêt des habitants des ports de l’Atlantique), défend les positions du lobby négrier au sein du Comité des députés extraordinaires (ou Comité Colonial) où il trouve le soutien du manufacturier rouennais Pierre Nicolas de Fontenay.[…]

Naturelle, influente dans les sociétés havraise et rouennaise, la traite haut-normande revêt des aspects originaux liés à sa présence dans une ville où les élites négociantes se sont affirmées tardivement et à son mode d’organisation fondée sur la complémentarité de trois ports, Honfleur étant devenu avec l’apogée négrier de 1783 le port de secours qui permet de faire face à l’engorgement du port du Havre. 

Un premier caractère du milieu négrier havrais est le grand nombre de « petits négriers », des armateurs qui, le plus souvent, tentent leur chance peu avant la crise révolutionnaire dans ce commerce juteux et  garanti par la bonne connaissance des marchés de ventes d’esclaves à Saint-Domingue par les capitaines havrais. Ainsi, si les célèbres Bégouën et Foache sont régulièrement présentés comme les figures représentatives du milieu négrier havrais, on doit souligner que ce dernier est pour moitié composé de négociants ayant armé entre une et trois expéditions en traite.[…]

L’esclavage et la Traite des Noirs en Basse-Seine – Le boucan

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Napoléon rétablit l’esclavage en 1802.

« Quand le rétablissement des chambres de commerce est décidé, le préfet de la Seine-Inférieure, Beugnot, rassemble, dans une réunion préparatoire, quelques commerçants rouennais, dont treize anciens prieurs et juges consuls, et déclare « qu’il a pris le parti de faire revivre, pour cette occasion, les anciens choix du commerce lui-même ». De fait, dans la nouvelle Chambre de commerce de Rouen, se retrouvent les deux anciens députés extraordinaires, Hellot et François Dupont, et deux des défenseurs les plus actifs du commerce, à la Constituante, Pierre-Nicolas de Fontenay et B. Le Couteulx, qui avaient aussi précédemment fait partie du Conseil de commerce de la Seine-Inférieure. Hellot est nommé président de la Chambre. La majorité des Chambres se reconstituent de la même façon. C’est ainsi que les ci-devant députés extraordinaires Debray et Jourdain de L’Eloge prennent place dans la Chambre d’Amiens, Pierre-Etienne 60 J. LETACONNOUX Cabarrus dans celle de Bayonne, Homberg dans celle du Havre, Gosselin dans celle de Lille, Rasleau et Admyrault dans celle de La Rochelle, Ternaux dans celle de Paris; que Legrand siège au Tribunal de commerce du Havre, sous la présidence de l’ex-Constituant Bégouen, et que Louis Niel préside celui de Dieppe (1). Faut-il s’étonner que, dans ces conditions, les Chambres de 1802 aient eu le même esprit que celles de 1791, qu’elles aient formulé les mêmes vœux, que le pacte colonial, que la traite, que la franchise des ports, atténués ou supprimés sous la Convention, aient été complètement ou partiellement rétablis, à la fin du Consulat? L’Empire a, sur bien des points, repris l’œuvre de la Constituante. La continuité des institutions et du personnel explique la continuité de la politique économique. »

Letaconnoux, Joseph.  Le Comité des députés extraordinaires des manufactures et du commerce de France et l’œuvre économique de l’Assemblée constituante, 1789-1791….

Nous avons rédigé un article hier sur la bourgeoisie et la traite au Havre. Nous vous livrons l’argumentaire de Begouën sur l’utilité et surtout la nécessité de cette traite. Nous le voyons fin politicien afin de défendre ses intérêts et les intérêts de ses pairs. La bourgeoisie se soucie peu de philosophie et d’éthique.

Précis sur l’importance des colonies et sur la servitude des Noirs, suivi d’observations sur la traite des Noirs. Begouën, Jacques-François (1743-1831). Auteur du texte. Précis sur l’importance des colonies et sur la servitude des Noirs, suivi d’observations sur la traite des Noirs. 1789.

« Source gallica.bnf.fr / BnF »