Théorie du racisme
Nous n’allons pas revenir sur le parcours de René Binet, cet ancien membre du Parti communiste havrais qui eut par la suite des responsabilités nationales au sein du PCI trotskyste et qui était un des principaux animateurs du journal « Le Prolétaire » au Havre, avant-guerre. Son adhésion ultérieure aux Waffen S.S. en laissera plus d’un, pantois. Drôle de parcours pour cet ancien militant marxiste-léniniste trotskyste…mais nous avons déjà chroniqué son parcours dans les colonnes du libertaire.
Ce qui nous intéresse ici, c’est plutôt sa « théorie du racisme » car elle est reprise par les suprémacistes blancs et qu’elle couvre les prémices du grand remplacement défendu et propagé aujourd’hui par l’extrême droite. Sa brochure publiée en 1950, et distribuée par « Les Vikings », remplace dans un premier temps la lutte des classes par la lutte des races. En avertissement, Binet nous indique : « La méthode dialectique n’est pas mauvaise en elle-même ; il suffisait seulement de prendre avec elle un bon départ. A l’origine du monde on trouve l’homme et non la classe ; l’homme inventeur d’outils et non pas « possesseurs d’outils ». La notion « d’appropriation » et « d’aliénation » est une notion marxiste… ». Pas sûr que Binet ait lu Proudhon et Freud mais passons. En introduction, Binet nous parle de l’homme nouveau, pas celui de Mao, mais du raciste : « Depuis quelques années, un drapeau a été levé sur le monde. Ce n’est pas celui d’une nation, ce n’est pas celui d’un parti mais c’est celui d’une nouvelle sorte d’hommes armés d’une connaissance nouvelle et qui appartiennent à toutes les nations blanches : ces hommes sont les racistes. » A croire que Steve Banon a bien lu René Binet : « Désormais, tous ceux qui s’opposent en quelque point du globe à la déchéance de leur peuple, à la décadence de leur race et à l’asservissement sont accusés de racisme et de fascisme parce qu’ils ont saisi ce drapeau. Le moment vient donc, pour les racistes, de confesser ouvertement leur volonté de sauver, de nos valeurs, ce qui peut encore l’être et de proclamer, face au monde désuet qui fait de leur titre une insulte, ce que signifie réellement ce titre. Aux mensonges, aux calomnies, à la haine que déversent des forces d’obscurité, ils veulent opposer la clarté de leur manifeste. » L’opposition clair/obscur met en lumière le rôle de précurseur des racistes qui luttent contre la décadence, la déchéance du peuple. Loin de l’analyse de Kropotkine sur l’entraide, Binet, à l’opposé, préfère la lutte des races comme moteur du développement humain : le clan contre le clan, la tribu contre la tribu…la loi du plus fort confortant son point de vue : « Toujours le groupe qui possédait la meilleure arme, les meilleurs instruments et la meilleure organisation sociale triompha des autres groupes.[…] Ainsi, la plus grande aptitude de ses membres à créer des instruments et des armes, à imaginer une organisation sociale et militaire garantissant leurs qualités physiques et morales, autorisa seule finalement leur victoire. C’est l’aptitude à créer des outils et des armes et à les utiliser qui permit aux races supérieures, même hautement minoritaires dans le monde, d’assurer leur propre triomphe sur les races inférieures et la marche en avant du progrès. »
Même si Binet ne le précise pas, on entrevoit la supériorité de l’homme blanc qui colonise et son modèle de société reste le troisième Reich. Il oppose ainsi Aryens et Allogènes. C’est un militariste pour qui la loi du plus fort est toujours la meilleure. Après quelques raccourcis historiques, il affirme que la division en classes n’est que le résultat d’une préalable différence de races avec une race mieux douée et des races moins douées, ces dernières étant conquises par les races supérieures. Pour aboutir au rôle des Etats qui ne sont que des moyens de domination de races sur d’autres races. Pour un ancien marxiste qui trouve utile les Hégéliens de gauche, l’analyse du rôle de l’Etat est un peu courte.
Binet est un précurseur d’une certaine extrême droite contemporaine pour laquelle notre société serait divisée en deux blocs antagonistes : les défenseurs de la race et les égalitaristes qui seraient les fossoyeurs de la race supérieure : « Désormais, notre société se trouve divisée eu deux camps ennemis, ceux qui prennent conscience de l’éminente dignité de la race et ceux qui, en proclamant l’égalité de toutes les races admettent, par-là, implicitement la démission, le déclin et la disparition de la leur propre. » Un petit coup porté contre « les Juifs et autres », des races inférieures, à qui on a confié la gestion des richesses et le commerce de l’or. L’antisémitisme n’est jamais bien loin chez Binet. Les Juifs auraient pris le contrôle des moyens de production par le truchement des banques…ce qui fait dire au grand théoricien du racisme que le capitalisme est un simple accident historique et une crise de croissance de la société aryenne. C’est que Binet se réclame du socialisme et du racisme, avec un rôle dévolu aux syndicats professionnels dont il ne précise pas les contours, comme nous le verrons dans son programme.
Binet mélange tout et se prend les pieds dans le tapis des races puisqu’il y amalgame les classes sociales : « Avec ce que l’on appelle la révolution bourgeoise ou société capitaliste se créa donc une nouvelle échelle des valeurs politiques et éthiques qui conduisirent à instaurer la république bourgeoise au lieu de la hiérarchie populaire basée sur les inégalités de valeur des hommes qui en étaient membres. A chaque échelon du processus historique correspond un stade politique précis : races soumises par le seigneur conquérant qui en fait des serfs, puis associations d’affranchis se livrant au commerce, achetant les franchises et le droit de porter des armes, puis républiques indépendantes de marchands affranchis commençant d’évaluer les individus d’après leur fortune et non d’après la race, telles sont les différentes étapes de l’élévation des uns et de la déchéance des autres. En même temps que diminuent les privilèges dus à la Race, les revendications des couches sociales-raciales inférieures se font arrogantes jusqu’à l’instant où, l’équilibre étant rompu, la richesse permet d’imposer politiquement le mélange des sangs et la déchéance sociale et politique des maîtres d’hier. » Des propos qu’auraient pu tenir les tenants de l’Action française, de ces nobles dont bon sang ne saurait mentir. Là, Binet se fourvoie. Peut-être pense-t-il faire partie de la race élue ? De cette élite qui est seule à comprendre envers et contre tous.
A d’autres moments, Binet retrouve des accents anticapitalistes : « Désormais, seul s’affirme le doit et l’avoir du capitalisme : l’homme n’est plus qu’un chiffre, qu’une valeur comptable qu’on soumet à l’exploitation brutale est sans scrupules : son honneur et sa dignité ne pourraient être inscrits dans l’établissement d’un bilan. » Mais Binet reprend vite sa thématique préférée de l’ordre biologique et de l’ordre politique contre nature de la société capitaliste qui aboutit à « l’envahissement politique par les races inférieures ». (à Suivre)
Le mégalithe (GLJD)