Syndicalisme révolutionnaire et Action directe

L’action directe est l’arme de prédilection des syndicalistes révolutionnaires. Cependant, ce terme est assez mal interprété par certains de nos camarades. Que signifie-t-il exactement ?

Ainsi j’ai eu maintes fois l’occasion de constater, l’expression « action directe » est très souvent prise dans le sens de violence armée, de terrorisme.

L’action directe est toujours une épreuve de force. Mais elle n’est pas forcément une action violente comme, par exemple, l’emploi de « cocktails Molotov » et l’utilisation d’armes à feu.

Dans la plupart des ouvrages traitant de la question, l’action directe est représentée comme une révolte du prolétariat contre le patronat. Cette conception doit évidemment être élargie. Disons donc qu’il s’agit d’un moyen de pression exercé directement par un individu ou, le plus souvent, par une collectivité contre un système qui l’exploite et l’opprime.

« L’idée de l’action directe, reconnaît Nicolas Walter est souvent mal comprise, tant par les anarchistes que par leurs adversaires. Lorsque cette expression fut utilisée pour la première fois (dans les années 1890), elle ne signifiait pas autre chose que le contraire de l’action « politique » –  c’est-à-dire parlementaire – et, dans le contexte du mouvement ouvrier, cela signifiait action « industrielle », en particulier grèves, boycottage et sabotage, que l’on voyait comme des préparations et des répétitions de la révolution. L’essentiel était que l’action ne soit pas effectuée indirectement par des représentants, mais directement par ceux qui sont le plus étroitement englobés dans une situation, qu’elle porte directement sur cette situation, et qu’elle soit destinée à aboutir à un certain succès plutôt qu’à une simple publicité ».

Très souvent – trop souvent – on a confondu l’action directe avec la propagande par le fait, alors qu’en réalité, l’action directe a été développée dans le mouvement syndical révolutionnaire en réaction contre les tendances extrémistes des partisans de la violence et de la propagande par le fait.

Comme on peut donc le constater, l’action directe se tient à égale distance du terrorisme et des manifestations processionnaires des syndicats réformistes.

Selon Yvetot, « l’action directe est celle qui, en dehors de tout secours étranger, sans compter sur aucune influence du pouvoir ou parlement, est exercée par les intéressés eux-mêmes dans le but d’obtenir satisfaction d’une façon partielle ou complète, mais définitive ». 

La nécessité pour les travailleurs de prendre directement la défense de leurs intérêts et d’assumer directement leurs responsabilités est également soulignée par Griffuelhes : « […] le syndicalisme proclame le devoir pour l’ouvrier d’agir lui-même, de combattre lui-même, seules conditions susceptibles de lui permettre de réaliser sa totale libération ».

L’action directe peut s’exprimer de différentes façons : polémique, meetings, propagande, grèves de toute nature, boycott, sabotage (qui n’implique pas forcément la destruction), occupation d’usine, etc.

Toutefois, quels qu’en soient ses aspects, l’action directe ne doit jamais être un acte irréfléchi, déterminé par la seule vindicte. Elle ne saurait être l’exutoire de passions destructrices. C’est au contraire une œuvre qui exige de tous et de chacun un engagement dans l’effort et une volonté active. Nul mieux que Pierre Besnard ne l’a su exprimer : «  L’action directe n’est nullement […] un acte ou une série d’actes désordonnés, brutaux, violents sans raisons ni motifs, destructeurs pour le plaisir ou la satisfaction de ceux qui les accomplissent. J’affirme au contraire, que l’action directe est ordonnée, méthodique, réfléchie, violente quand il faut seulement, dirigée vers des buts concrets, nobles et largement humains ».

Bon nombre de prétendus révolutionnaires qu’exaltent les « exploits » des Brigades rouges et qui s’épinglent étourdiment l’épithète anarchistes seraient bien inspirés de méditer les lignes ci-dessus. Le mouvement libertaire n’a rien à recruter des agités irresponsables, même si leur révolte est sincère et justifiée.

L’action directe collective doit avoir pour corollaire une « action directe individuelle ». Autrement dit, un effort personnel de l’individu pour accomplir son évolution intérieure, pour s’affranchir des préjugés, des dogmes et des mots d’ordre…même révolutionnaires, et des impulsions irrationnelles.

Voilà une tâche qui, sans doute, ne s’accomplira pas en un jour. Mais n’est-ce pas, comme l’écrit René Villard, « en forçant ce qui paraît impossible que l’homme accède au possible » ?

André Panchaud