Le Syndicalisme au Havre.

Le Syndicalisme en 1907 au Havre.

C’est par la presse syndicale notamment au niveau de ses éditos ou articles de premières pages que l’on peut se faire une idée de l’état d’esprit qui régnait à cette époque chez les syndicalistes et plus particulièrement chez les responsables de la Bourse du Travail du Havre. Voilà pourquoi une étude du mensuel « Vérités » s’impose.

Origine de « Vérités », organe social, économique, scientifique des syndicats ouvriers, coopératives et universités populaires, journal fondé et dirigé par des travailleurs organisés au Havre.

« C’était en 1906, à la suite des événements de mai, où seuls les mouleurs, puissamment organisés, prirent part au mouvement. Malgré les décisions prises à l’époque par la Bourse du Travail, aucune autre corporation ne fit l’action espérée. Cela tenait à l’éducation insuffisamment faite ; pour la parfaire les moyens manquaient. C’est alors que quelques mouleurs prirent l’initiative, avec une modique subvention de leur syndicat (un sou par membre et par mois) de fonder un journal du format « in-quarto » d’abord, et tirant à un millier d’exemplaires, ils furent bientôt dans la nécessité de faire un tirage plus fort, puis encore plus fort… » Vérités N°28.

Ce sont donc les mouleurs du secteur de la métallurgie qui furent à l’origine de la presse syndicale du Havre.

L’élément moteur des mouleurs s’appelle Camille Geeroms ; il sera responsable de l’Union des Syndicats du Havre au moment de l’affaire Durand.

Vérités du 15 avril au 15 mai 1907

Dans un article intitulé « Aux camarades », la rédaction de Vérités fait appel au concours de tous les travailleurs « car non seulement nous voulons semer ici les saines et fécondes idées révolutionnaires en vue de l’instauration d’une société meilleure, mais notre intention est aussi que Vérités soit le témoin fidèle des incidents de la vie syndicale et ouvrière havraise. Pour cela il faut que les militants des Syndicats nous donnent leur collaboration active…. ».

La volonté de Camille Geeroms et de son entourage est d’avoir des collaborateurs quant à la rédaction d’articles mais aussi des diffuseurs. L’implication des syndiqués est nécessaire.

L’éducation des travailleurs aussi : « Ah ! Si les travailleurs n’avaient pas le cerveau encrassé d’ignorance, croyez-vous qu’ils partiraient en guerre, les uns après les autres, pour des revendications qui n’apporteront que des palliatifs.

Aussi l’éducation révolutionnaire doit-elle être notre préoccupation constante : préparer les producteurs à faire la grève générale révolutionnaire, à renverser l’institution mauvaise, n’est –ce -pas là la vraie, la seule revendication ?… »

La Bourse du Travail réunie en assemblée ordinaire déclare à propos des retraites dites ouvrières : « Nous voulons préparer les syndiqués à reprendre leur bien et à se l’attribuer collectivement pour faire fonctionner la société au profit de tous par l’instauration du communisme libre, sans autorité… ».

Le compte-rendu de la conférence Nègre-Griffelhes qui eut lieu au Havre donne le tempo de l’esprit d’indépendance des syndicalistes : « Aujourd’hui il ne faut plus attendre que la bourgeoisie donne des armes contre elle-même par les subventions municipales. Les prolétaires ne doivent compter que sur eux-mêmes et mépriser les politiciens. Que les travailleurs du Havre s’organisent solidement dans leurs syndicats : ils pourront remplacer par une Bourse du Travail confortable le triste immeuble où ils ont dû chercher asile, et ils prendront leur place dans ce grand mouvement syndicaliste sur lequel se concentrent aujourd’hui les préoccupations de tous et qui libérera la classe ouvrière.

Griffuelhes faisait allusion à l’éviction des syndicats de la Bourse du Travail (Franklin) le 2 mai 1901 et au fait que les syndicats devaient avoir une autonomie financière suffisante pour être totalement indépendants des subventions municipales donc des politiciens. Les subventions avaient le double effet pervers d’accoutumer les syndicats, surtout les permanents appointés, à une dépendance financière et par voie de conséquence provoquer un sentiment d’obligation vis-à-vis des élus.

Il est vrai qu’après la perte du Cercle Franklin, les syndicats vont se trouver désorganisés et affaiblis. Ils vont avoir différents locaux : rue de La Fontaine, rue Lemaistre et surtout le 22, rue de Turennes. Là la Bourse du Travail va reprendre vie : rédaction et gestion de Vérités, réunion des syndiqués, instauration d’une bibliothèque ouvrière…Par exemple sur chaque livre de la bibliothèque se trouvent deux tampons, l’un consacré à la commission de grève générale et l’autre avec l’adresse de la Bourse du Travail. Plusieurs livres de la bibliothèque d’études ouvrières figurent en rayonnage, notamment sur les maladies professionnelles et les métiers qui tuent…On ne parlait pas d’amiante mais de céruse , de minium, de poussières et vapeurs de plomb…Les travailleurs ont toujours été exposés aux poisons industriels…

Au 22, Rue de Turennes, on se déclarait au moins en Bourse du Travail indépendante !

Camille Geeroms qui signe ses articles G. Rome est de profession de foi anarchiste comme Chauvin et R Fauny (Secrétaire général et secrétaire adjoint de la Bourse du Travail en Mai 1907) ainsi qu’Adrien Briollet (enseignant) qui lui est militant du groupe anarchiste du Havre et deviendra Secrétaire général de la Bourse du Travail en novembre 1909.

Ce sont donc des militants d’obédience anarchiste qui vont donner au syndicalisme havrais sa physionomie, son empreinte et qui vont lui permettre d’avoir une assise de masse dans le milieu ouvrier.

Vérités du 15 mai au 15 juin 1907 (N°9)

Un plus grand format est donné au journal qui donne une ligne de conduite qui ferait pâlir bien des revues syndicales d’aujourd’hui : « N’ayant pas de réclames, pas de subventions, c’est avec le concours pécuniaire des travailleurs que nous vivons… ».

Dans l’article titré « Canailleries policières », Camille Geeroms prend la défense de Charles Marck accusé d’avoir volé la caisse syndicale des marins, d’avoir des propriétés…Bref d’après des rapports de police fabriqués de toutes pièces CH.Marck était injustement accusé : « Marck n’a ni propriété, ni rente : c’est un malheureux travailleur comme nous, n’ayant d’autres ressources que ses bras et son intelligence.(Les policiers ne peuvent pas en dire autant)…. ».

En se moquant avec humour de la police Geeroms savait qu’il le paierait tôt ou tard…

La défense du trésorier de la Confédération peut surprendre mais il ne faut oublier que Ch. Marck fut secrétaire général de la première Bourse du Travail au Havre en mars 1898.(cf les Archives municipales du Havre).

En 1898 le Comité Général de la Bourse était constitué de :

  • Marck (Secrétaire Général)
  • Ferry (Secrétaire adjoint)

Aidé d’un bureau :

  • Raveau (Président)
  • Nectoux (Vice-Président)
  • Baron (Assesseur)
  • Rathier (Assesseur)

Et des membres du Comité représentant les professions suivantes : Bâtiment, Employés, Marins, Métallurgistes, Journaliers, Peintres , Voiliers, Charrons, Typographes et fondeurs.

A l’origine de la Bourse du Travail havraise, les ouvriers du port étaient donc bien présents avec des militants connus comme Marck, Laville , Verson…

La naissance de l’Union Locale CGT date donc de cette année 1898, trois ans après la fondation de la Confédération à Limoges en 1895. La Bourse du Travail du Havre relève ici du socialisme révolutionnaire (Allemanisme) de par les convictions et appartenances de ses membres. Après la réunification des différentes tendances socialistes en 1905, le clivage entre « socialistes » et anarchistes s’accentuera. On verra ainsi Hanriot se faire prendre en ration par Geeroms à propos du travail dominical dans les magasins au Havre. Afin de rassembler la classe ouvrière les anarchistes maintiendront plutôt le rapport clan des Révolutionnaires contre le clan des Réformistes. Les partisans de la Guerre Sociale d’Hervé et une bonne partie des anciens militants allemanistes de base seront des compagnons de route des anarchistes localement.

Toujours dans son N°9, Vérités cite le député Jules Siegfried qui répondait à l’enquête ouverte par le journal des PTT, sur la question syndicale : « Pourquoi désireraient-ils se constituer en syndicats ? Je ne puis me l’expliquer, si ce n’est dans le but de s’affilier à d’autres organisations similaires, entre autres au groupement anarchiste dénommé Confédération Générale du Travail. C’est pourquoi, bien que le droit de grève ne soit nullement lié au droit syndical, tout le monde pense qu’en réclamant le droit syndical, les fonctionnaires visent l’obtention du droit de grève…. ».

Et Geeroms de conclure : « Les travailleurs de l’Etat, Monsieur, ont compris qu’ils pouvaient se passer du patronat étatiste, aussi avide que tous les autres ; ils se syndiqueront bon gré mal gré, ils savent maintenant que point n’est besoin ni d’Etat, ni de patron pour vivre dans le Bien être et dans la Liberté. »

Il ne faut pas oublier que la CGT d’avant 1968 ,dans ses statuts ,est pour l’abolition du patronat , de l’Etat et du salariat.

16 ème Congrès Régional

« C’est la Bourse du Travail du Havre qui, cette année, a à charge d’organiser le Congrès Régional des Travailleurs de la région normande.

Disons à ce propos qu’elle fait l’impossible pour donner à ce congrès une importance vraiment remarquable.

Nul doute que les syndicats (ils y seront d’ailleurs tous représentés) en sortent plus forts qu’ils n’étaient, si la Fédération régionale peut en sortir solidement constituée.

C’est en effet, une décision du congrès d’Amiens qui décida de constituer, là où il serait possible, des Fédérations régionales permettant d’englober les syndicats isolés, ainsi qu’intensifier la propagande dans toutes les contrées où il y a agglomération d’ouvriers. »

On verra que ce congrès échoua et les militants havrais concentreront leurs efforts sur la ville du Havre et sa région de par la force des choses.

L’action directe

Dans vérités N° 10, Geeroms tire les leçons des dernières grandes grèves, celles de Fougères, des résiniers des Landes, des électriciens, des fonctionnaires, des vignerons du midi et les Inscrits maritimes : « Le respect de l’autorité se perd, la confiance en la loi, en ceux qui la font et l’appliquent, se trouve ébranlée. Dans ces milieux, où jusqu’ici on ne voyait d’autres moyens que de bonnes élections, l’on commence à s’apercevoir de l’efficacité de faire ses affaires soi-même ; pas de politiciens pour diriger l’action, les vignerons eux-mêmes se suffisent…Avant tout c’est la victoire de l’action directe et la faillite de la thèse économiste bourgeoise de l’entente du Capital et du Travail…La Confédération Générale du Travail a adopté cette méthode d’action directe qui est d’ailleurs celle de tous les révolutionnaires et qui était déjà il y a 35 ans, admise par la Fédération jurassienne…La grève générale succédera aux grèves partielles. Le réformisme aura vécu pour faire place au révolutionnarisme, car, sans être prophète, par l’analyse même des faits, l’action directe extra-légale deviendra sous la pression des faits eux-mêmes antigouvernementaux et antiétatiste…».

L’action directe était définie comme devant se dérouler sans intermédiaire ( les politiciens), par les travailleurs eux-mêmes.

14 juillet

« Ca se fête degueulando ». En citant Laurent Tailhade et en titrant « Démolissons les Bastilles », Vérités N° 11 annonce la couleur.

Les syndicalistes remettent en cause les défilés militaires, les exhibitions de drapeaux et de lampions, les feux d’artifice…cette union parfaite entre les puissants et les faibles.

Et de fustiger les Républicains qui accrochent tous les ans à leur façade les loques tricolores qu’ils arboraient autrefois à la Saint Napoléon : « La République c’est la paix (tout comme l’Empire, selon la célèbre formule). Mais depuis 25 ans, des milliers et des milliers de Français et d’étrangers se sont tués dans des guerres coloniales, et des milliards ont été dépensés au profit des tripoteurs coloniaux…Cette moderne bastille des privilèges, de l’exploitation capitaliste, de l’autoritarisme, de la fourberie politicienne et du mensonge républicain ou socialiste ; cette bastille qui comprime par ses lois plus ou moins scélérates les sentiments libertaires, les aspirations les plus légitimes de l’élite nationale et internationale ; cette bastille dont les murailles sont en or, il faut la renverser, comme l’ancienne !

Alors, mais alors seulement, nous célébrerons le 14 juillet ! »

Dans l’article « Peuple souverain », Geeroms analyse l’élection du Docteur Profichet élu dans le deuxième canton du Havre et considéré comme une victoire éclatante par le journal « Le Petit Havre » : « Ce succès si éclatant se traduit ainsi : électeurs inscrits, 3735 ; votants, 1887. Profichet élu par 994 voix….la majorité se compose de 994 voix et la minorité de 2741 voix… ».

Tant qu’au Havre Eclair d’Urbain Falaize, il se lamente de cette élection et voit avec terreur l’abstentionnisme comme une plaie des démocraties…

Et Geeroms de conseiller de ne pas voter et d’aller plutôt de se promener les jours d’élection.

Ici on constate une abstention active car les syndicalistes se battent au quotidien et non ponctuellement au gré des échéances électorales. La démocratie, ils la connaissent dans les entreprises, en prison, dans les logements insalubres ou comme chômeurs…

Anti-colonianisme (Vérités N° 12)

Geeroms dénonce les malfaiteurs qui se réunirent à Algésiras pour jeter les bases de l’exploitation au Maroc et de terminer son article « La bourse ou la vie » par : « Sans doute on nous a dit qu’on voulait les civiliser, leur donner des conseils d’hygiène. Mais ce sont là de fallacieux prétextes imaginés pour avoir la sympathie du populo toujours gobeur et c’est sous le couvert d’hygiène que l’on va coucher sur le sol marocain, à coups de canon, de fusil ou de baïonnette, tout un peuple indépendant…

Nos sympathies vont aux Marocains contre tous les européens associés qui se disposent à se partager le gâteau  et à instaurer un système de société contre lequel nous ne cessons de combattre. »

Le syndicalisme se suffit à lui-même

Après avoir résumé la théorie socialiste (même si les écoles socialistes sont nombreuses), c’est-à-dire étatiste, Geeroms affirme que les patrons étant supprimés c’est l’Etat qui sera chargé de nommer des directeurs dans les ateliers, ainsi que des chefs, sous-chefs…

Le socialisme emploie comme moyen le suffrage universel, la pénétration dans les pouvoirs publics ; c’est ce qu’on appelle la politique. Faire des électeurs, faire voter pour le candidat socialiste par tous les moyens, voilà à quoi le parti consacre ses efforts.

Le syndicalisme est différent car il peut organiser facilement la production et la consommation. Avec la grève générale il organisera la prise de possession des moyens de production et la société communiste libre.

« Le syndicalisme nie l’autorité, tant patronale que gouvernementale. Il veut atteindre ce but sans lois, sans Patrie, sans Religion. …

Cependant si le syndicalisme a ce très grand idéal de justice, de bonheur et de bien-être pour l’humanité, il ne faut pas perdre de vue que là n’est pas son seul avantage. D’ici à la transformation de la société capitaliste en une société communiste il y a quelques kilomètres à parcourir. Il se peut que des besoins se fassent sentir avant l’arrivée. C’est ici que se place l’intérêt immédiat des travailleurs à pénétrer dans les syndicats car en cours de route nous arrachons de nos propres forces tout le bien-être possible, l’augmentation de salaire, la diminution des heures de travail, l’amélioration de l’hygiène dans les ateliers, l’idée de révolte contre l’autorité patronale, la liberté de penser et d’écrire…

Le syndicalisme ne s’arrête pas en chemin. A la satisfaction des besoins matériels, il ajoute l’éducation rationnelle de chacun de ses membres. On ne peut nier la nécessité de cette préoccupation. En effet pour vivre dans une société meilleure, après la victoire de la grève générale il faut que les syndiqués soient des hommes complets, bons, des travailleurs conscients. Cette éducation, les syndicats la font tous les jours par des journaux, brochures, livres, causeries, conférences, etc…

C’est ainsi qu’ils font de l’anti-alcoolisme, de l’anti-religion, de l’anti-patriotisme ; ils enseignent les moyens préventifs pour la limitation volontaire des naissances.

Ils habituent leurs membres à s’entraider. Le syndicalisme se distingue par sa solidarité envers ses membres, et enfin n’en fait-il pas des révoltés ce qui est préférable que d’en faire des résignés et d’attendre d’un royaume des cieux le bonheur dont on devrait jouir dans sa vie sur terre…

Tout récemment le congrès Libertaire tenu à Amsterdam se prononça pour l’organisation corporative et décida l’entrée dans les syndicats afin de tenter l’éducation des syndicats vers un but plus ample que l’aboutissant d’une grève générale.

Par cette décision le syndicalisme ne peut perdre de sa valeur ; car comme on l’a vu plus haut il se préoccupe de l’instruction et de l’éducation des individus… »

La conception de Geeroms se situe typiquement dans la problématique anarchiste de l’époque. Ce fameux congrès qui opposa Monatte à Malatesta fait encore couler beaucoup d’encre.

Geeroms balise le terrain contre les socialistes car la future Bourse du Travail du Havre sera bientôt partagée avec d’autres organisations .(A lire page 2 de Vérités l’article du « critique » qui après avoir cité le journal anarchiste « Les Temps nouveaux » à propos de l’indépendance syndicale précise que « Si la Bourse du Travail a consenti à laisser une partie de l’immeuble au citoyen Genet, c’est avec la condition, spécifiée dans le bail qu’elle sera maîtresse chez elle dans la partie qui lui est sous-louée…Chacun sera chez soi sans accointance avec les voisins…)

« A Stuttgard et à Nantes les socialistes décidèrent que le syndicalisme doit marcher de pair avec le socialisme, que l’un complète l’autre. Le socialisme luttera sur le terrain politique alors que le syndicalisme luttera sur le terrain économique. Singulière façon de concevoir la négation de l’autorité.

Si le syndicalisme se refuse à accepter ces avances, nous devons, disent les socialistes, pénétrer dans les Bourses du Travail et dans les Fédérations.

La majorité de ces organismes conquise le syndicalisme sera à notre volonté. Mais le congrès syndicaliste d’Amiens, s’est nettement prononcé pour son indépendance ; il s’est écrié : Nous sommes capables de renverser la société capitaliste nous-mêmes ; nos moyens en ont le plus sûr garant. Nous ne voulons plus servir de tremplin électoral. Notre action tend aussi bien à détruire l’Etat autoritaire, socialiste que l’Etat bourgeois. Nous ne voulons plus de l’Etat. »

L’Histoire nous démontra ce qu’il advint de la Charte d’Amiens, cette dernière n’empêchant ni les scissions syndicales à la suite des scissions ou querelles de partis ni les tambouilles électorales via une certaine courroie de transmission de partis.

UNION REGIONALE ET BOURSE DU TRAVAIL

A peine installée l’UR fut contestée par certains syndicats de Rouen. Lors du dernier congrès régional organisé au Havre des 19 et 20 mai 1907, il avait été décidé de fixer le siège de l’UR au Havre.

Les syndicalistes havrais comprenaient mal que cette décision prise par le congrès fut bafouée ! Les Havrais avaient du mal à comprendre les rivalités de clocher entre les syndicats des différentes villes. Quoiqu’il en soit, Rouen avait porté la question devant la Confédération.

Le Comité régional de l’Union envoya à Paris son secrétaire qui concurremment avec le délégué de Rouen s’expliqua au niveau confédéral.

« La porte de l’Union Régionale est ouverte à tous en ce moment, parce qu’elle est à son début. Mais pour l’avenir, le Congrès futur aura à prendre une décision qui fera l’objet d’un article des statuts…Toutefois d’ici là, c’est le comité Régional qui tranchera cette question… » Signé LE BUREAU REGIONAL. (Vérités N° 13 du 15/9 au 15/10/1907)

L’hypothèse la plus plausible semble que la ville de Rouen de sympathie réformiste ne voulait pas se trouver dans la dépendance de la ville du Havre à direction syndicale anarchiste.

Le Bureau Confédéral d’ailleurs ne départagera aucune des deux villes, suffisamment grande chacune pour avoir leur propre Bourse du Travail et leur secteur géographique d’influence.

Pratiquement les militants havrais durent se résoudre à trouver une solution et organisèrent après le lâchage des Rouennais une « Union » réduite à la région du Havre lors du premier congrès régional du 17 novembre 1907.

Le dimanche 15 novembre 1908 se tint le congrès des syndicats du Havre et de la Région, adhérents à l’Union. Le troisième congrès régional de l’Union des syndicats s’est tenu lui le dimanche 21 Novembre 1909 à la Bourse du Travail au 8, Rue Jean Bart.

Lors du second congrès régional en 1908 on note que plusieurs délégations furent faites dans la région (très élargie): Fécamp, Dives sur mer, Trouville-Deauville et Rouen (dans le textile).(Vérités N° 28) Les difficultés avec Rouen sont encore présentes. Il faudra attendre le rapport du troisième congrès régional pour constater que la situation est réglée et que le bâtiment de Trouville-Deauville, les métallurgistes de Dives sur mer et le textile de Rouen ont quitté l’Union du Havre pour intégrer celles de leur région.(Vérités N° 41).

Considérer donc le 17 novembre 1907 comme la date de création de l’Union Locale CGT est un peu tiré par les cheveux !

Vive l’Anarchie ! (Vérités N° 14 du 15 octobre au 15 novembre 1907)

La police entra dans la Bourse du Travail afin de perquisitionner pour récupérer les 2000 N° illustrés de la voix du Peuple éditée à l’occasion du départ de la classe !

Un seul numéro fut saisi et au moment où le commissaire voulut faire signer le mandat de perquisition à un syndicaliste présent, celui-ci refusa : « – C’est comme si je voulais vous faire crier : Vive l’anarchie ! ».

Le camarade Fauny se mit en devoir de faire de la théorie anarchiste : « L’anarchie à l’encontre de la définition des dictionnaires bourgeois, c’est l’harmonie entre les individus à l’abri de toute autorité. C’est le communisme libre dans lequel personne ne souffrira de la faim. »

Sous le titre « La force ouvrière », Leonardi Bériet donne sa définition du révolutionnaire : « …c’est comprendre qu’aucune amélioration sérieuse ne peut exister sans transformer le milieu social et que c’est en définitive celui-ci qu’il faut attaquer. Etre révolutionnaire, c’est opposer l’ardeur de la lutte à l’apathie générale, c’est faire ses affaires soi –même  et ne pas compter que le salut viendra de ceux qui ont intérêt à conserver l’ordre de choses existant, c’est ne pas s’abaisser à demander ce à quoi on a droit, mais à le prendre… »

Le travail anti-social (Vérités N° 15)

Déjà abordé dans le journal lors du refus de travailleurs italiens de construire une prison où croupissaient essentiellement des pauvres, Vérités reprend ce thème sous la plume d’André Picot : « Mais que fait donc cet employé de banque entre les mains duquel ne passe que la fortune des riches ?…de quel travail est pourvu le flic, le contrôleur de tramway ou de chemin de fer, contrôlant la fortune des actionnaires, ; ces prêtres, ces patriotes qui enseignent le mensonge, ce gardien de prison etc… »

Les bâtisseurs de palais pour les riches et tout un tas d’autres exemples passent en revue. Bref le véritable travailleur libéré c’est celui qui effectue un travail utile et raisonnable.

Ce dernier numéro de l’année 1907 termine par l’annonce de l’ouverture d’une clinique chirurgicale pour les blessés du travail.

Tous les numéros de Vérités sont intéressants à lire et à étudier. Nous nous arrêtons à l’année 1907 pour montrer aux syndicalistes d’aujourd’hui ce que furent les idées défendues par les premiers syndicalistes havrais, ceux qui firent de la prison (Loiseau en tant que gérant de Vérités, Cornille Geeroms à la suite de la grève des mouleurs en 1909…) ou ceux qui furent assassinés lors de manifestations ou comme Jules Durand victime de la haine patronale…

Les anarchistes ne sont pas que des théoriciens, ce sont des travailleurs qui sont sur le terrain et collent à la réalité du prolétariat. Ils ne négligent aucunement les avantages qui améliorent le quotidien mais tendent toujours vers le but à atteindre : le communisme libre appelé encore communisme libertaire (résolution du congrès socialiste du Havre en 1880).

Jusqu’en 1939 ce mensuel de 4 pages, toujours à direction anarcho-syndicaliste, a formé plus d’un militant havrais.

Vive l’Anarcho-syndicalisme !

Pour tout complément lire « Histoire oubliée et méconnue du syndicalisme havrais » et 120 ans d’anarchisme au Havre.

C’est quand même plus glorieux de se réclamer de l’anarcho-syndicalisme que du stalinisme…A noter que les syndicalistes communistes (P.C) d’aujourd’hui n’ont pas davantage de points communs avec les Allemanistes de 1898 qu’avec les Anarchistes de 1907. Les Allemanistes et les anarchistes n’étant pas du tout marxiste.

Patrice

PS : En 1908, l’Union des syndicats du Havre compte 8000 syndiqués et ne dispose d’aucun permanent appointé. Au congrès confédéral de Marseille de la même année, Le Havre proposa une motion contre le fonctionnarisme syndical, motion qui fut retirée au dernier moment étant donné la conjoncture politique avec plusieurs membres la Conf’ en prison.

Vérités et toutes les tâches syndicales se faisaient donc après la journée de travail…