Réhabilitons le sabotage ouvrier

Réhabilitons le sabotage ouvrier

Dans « Mes inscriptions », Louis Scutenaire déclarait : « Je jette des mots parce que je suis trop couard pour jeter des bombes. » L’analogie entre une parole et un explosif n’est, en l’occurrence, ni fortuite ni absurde. Un mot peut, comme une bombe, contenir une charge détonante. Ainsi en est-il du mot « sabotage ».

Ce terme évoque, dans l’esprit de la plupart des gens, l’idée de destruction et de vandalisme. Ainsi lorsque les Anarcho-syndicalistes de la fin du XIXème siècle et du début du XXème préconisaient le sabotage sur le lieu de travail, l’association d’idées anarchistes = saboteurs paraissait d’autant plus évidente que l’époque était fertile en attentats qualifiés d’anarchistes. Le sabotage se révélait comme l’arme maudite des poseurs de bombes.

Or, tout entaché de réprobation qu’il est, et si mal perçu qu’il soit, le terme de sabotage mérite d’être réhabilité. Soulignons, tout d’abord, que le sabotage n’est répréhensible, aux yeux des possédants et de la masse des bons bourgeois, que lorsqu’il est commis par des travailleurs révoltés. Balzac lui-même, évoquant la révolte des canuts lyonnais dans La Maison de Nucingen, n’a pas manqué de relever que le sabotage était des représailles de victimes. C’est, très souvent, le dernier recours de l’ouvrier lésé par son patron. Le sabotage est alors la conséquence directe de l’exploitation.

Lors des premiers congrès cégétistes (alors à très forte tendance libertaire), la pratique du sabotage fut maintes fois préconisée. C’est ainsi que, dans le rapport de clôture du Congrès de Rennes (1898), le principe du sabotage fut adopté sans problèmes : « Mais, ce qui serait à souhaiter, c’est que les travailleurs se rendent compte que le sabotage peut être pour eux une arme utile de résistance, tant par sa pratique que par la crainte qu’il inspirera aux employeurs, le jour où ils sauront qu’ils ont à redouter sa pratique consciente. Et nous ajouterons que la menace du sabotage peut souvent donner d’aussi utiles résultats que le sabotage lui-même. »

Sabotage capitaliste…

Mais il est une autre forme de sabotage : celui exercé par le patron, qu’il soit industriel, commerçant, producteur ou intermédiaire. Il consiste à frauder sur les livraisons, falsifier les denrées, tricher sur la fabrication des produits, escroquer de mille et une manières le client. Or ce sabotage-là, pouvant entraîner des conséquences autrement plus graves que le sabotage de l’ouvrier, n’est guère blâmé, encore moins condamné. Il semble même aller de soi, faire partie des règles du jeu. Ceux, innombrables, qui en sont les victimes, n’ont la plupart du temps aucune possibilité de défense contre les individus ou les groupes infiniment plus puissants qu’eux. C’est la lutte du pot de terre contre le pot de fer.

Le sabotage ouvrier ne s’en prend qu’aux intérêts – c’est-à-dire au coffre-fort – du maître. Le sabotage capitaliste, lui, constitue une menace, un danger permanent contre la population tout entière. Il est, dit Emile Pouget, « L’expression d’une répugnante rapacité, d’une insatiable soif de richesses qui ne recule pas devant le crime pour se satisfaire…Loin d’engendrer la vie, il ne sème autour de lui que ruines, deuil et mort. »

…et sabotage ouvrier

Le sabotage ouvrier repose sur le principe : à mauvaise paie, mauvais travail. Mais ce n’est certes pas de gaieté de cœur que l’ouvrier, n’ayant pas l’habitude de travailler comme un sabot, se résout à fournir un travail saboté. Il en est blessé dans sa dignité professionnelle et ne recourra à ce procédé que sous la contrainte des circonstances. Par quels moyens ?

Sans gâcher le travail ou détériorer l’outillage, il est possible d’imaginer plusieurs formes de sabotage. En rendant momentanément inutilisable le matériel afin qu’en période de grève il ne puisse servir à des « jaunes » recrutés par le patron. En prévenant le consommateur de la nocivité ou de la mauvaise qualité des produits qu’on lui vend. En ralentissant fortement le rythme de production. En organisant une « grève de gratuité » dans les transports publics, etc.

Ce sabotage est une forme d’action directe puisqu’il s’attaque aux patrons sans intermédiaire. C’est aussi la forme la plus raisonnable et la plus efficace puisqu’elle ne s’en prend qu’à l’employeur sans cause de tort à l’usager, au client, au consommateur. Elle est l’illustration parfaite de ce que préconisait Georges Yvetot : « Nous sommes partisans de l’action énergique, mais nous aimons à ce qu’elle soit prudente et réfléchie, en un mot, consciente.

A. P (le libertaire)