Penn sardines, le centenaire

UNE GREVE DE LA « MISERE »

– La victoire des sardinières de Douarnenez

Douarnenez, le 17 décembre.

Un journal parisien a dit de la grève de Douarnenez, qu’elle était « la grève de la misère ». Rien de plus juste.

Quoi qu’en disent les patrons et les journaux à leur solde, la grève des sardinières et des manœuvres d’usines est purement économique.

C’est la vie chère qui a poussé les ouvriers à la grève; ce sont les privations qu’ils endurent depuis des mois et des mois qui les ont faits sortir de l’usine.

Quand on voit leurs misérables salaires, on se demande comment ils ont pu attendre si longtemps sans réclamer les quelques sous supplémentaires qui leur permettront non pas de nourrir convenablement leur famille, mais simplement de diminuer un peu leur misère.

Grève révolutionnaire et communiste, quel mensonge du patronat ! Il est vrai qu’il en a l’habitude.

Cette grève n’a qu’une seule et unique cause: les salaires dérisoires ; et qu’un but : l’augmentation de ces salaires. Les ouvrières qui touchent actuellement 0 fr. 80 de l’heure, demandent 1 fr. 25 et les manœuvres qui sont à 1 fr. 30 veulent 1 fr. 75.

Situation des ouvrières des usines de conserves

 0 fr. 80 de l’heure. Quelle dérision, surtout quand on connaît le travail que ces ouvrières doivent fournir en période de pêche.

Voici ce que j’écrivais à ce sujet en février dernier dans l’Ecole Emancipée : – « Dans les usines de conserves de la côte bretonne, la plus grande partie du travail de nettoyage du poisson, cuisson, mise en boîte, huilage, vérification des boîtes, etc., est faite par des femmes. Lorsque, en été, les touristes se promènent le long des plages, ils prennent souvent plaisir à s’arrêter devant les usines pour entendre les femmes chanter et certains d’entre eux trouvent cela bien gai. Mais ils ne savent pas que les femmes chantent pour rompre la monotonie du travail et surtout pour éloigner le sommeil ; ils ne se doutent pas que parfois à minuit, une heure, deux heures du matin, les sardinières sont encore à la besogne, les paupières battantes, les jambes lasses, les reins brisés et qu’après quelques petites heures de repos, elles devront revenir à l’usine sans avoir à peine eu le temps d’embrasser leurs enfants, sans avoir vu leur mari revenu de la pêche la veille et reparti dans la soirée. Le travail le plus dur est celui des cuiseuses. Toujours debout, toute la journée le visage au-dessus de l’eau ou l’huile en ébullition, elles doivent, l’attention toujours en éveil, plonger continuellement de lourds grils chargés de poissons dans de grandes bassines remplies de liquide bouillant.

Et j’en connais qui, les jambes enflées par la station debout et ne pouvant plus marcher, furent reconduites chez elles, en voiture.

Pour ce travail éreintant, travail de bête de somme, ces pauvres ouvrières touchent  à Douarnenez, la somme fabuleuse de 0 fr. 90 –  dix-huit sous –  de l’heure. Les sardinières les plus nombreuses, qui font les autres travaux, ont 0 fr. 80.

En pleine pêche, les ouvrières rentrées chez elles à minuit ou une heure doivent être de nouveau au travail à 7 ou 8 heures du matin, rester toute la journée et encore une partie de la nuit suivante à l’usine et cela pendant plusieurs jours et souvent plusieurs semaines de suite.

Le poisson pêché et porté à l’usine n’attend pas et il faut 15, 16, 17 heures de travail par jour. Les femmes n’ont alors que 7 ou 8 heures de repos sur lesquelles elles prennent le temps de se rendre à la maison, de préparer les repas et de soigner les enfants en trois quarts d’heure ou une heure.

On cite dans les ports de pêche les usines qui travaillent le plus et l’on dit : « Les femmes de chez M. X. ont eu 90 fr., 100 fr. à leur semaine ». Et tous les chiens de garde de la bourgeoisie de s’écrier : « Tout de même, quel beau gain pour des femmes. »

Eh oui ! C’est beau ; mais songez un peu à ce que ce gain, insuffisant pour vivre, représente de travail : 100 francs à la semaine, c’est 125 heures de travail, c’est 18 heures par jour pendant 7 jours. Reste 6 heures pour dormir et manger. Ces chiffres sont rigoureusement exacts.

Naturellement, pendant toute la saison, le travail n’est pas aussi intensif ; qui résisterait à un pareil surmenage ? Cependant, dans une usine, en décembre dernier, moment où la pêche est loin d’être abondante, les femmes ont fait 80 heures de travail en 5 jours et cela les unes pour 64 fr., les autres pour 52 francs.

Pour compléter ce tableau, nous devons ajouter que les heures de nuit ne sont payées que 0 fr. 80 comme celles de jour et que le temps passé à l’usine à attendre l’arrivée du poisson, la fin du salage, du séchage (si le poisson est séché au soleil), ou le refroidissement du poisson après la cuisson, n’est pas payé.

Dans les autres ports, même situation, mêmes conditions de travail. A Audierne, Guilvinec, Penmarch, etc., les salaires sont encore plus dérisoires : 0 fr. 70 de l’heure, et à Concarneau, où les ouvrières travaillent à la tâche, au mille (sardine) ou à l’unité (thon), tout compte fait, elles ne gagnent pas beaucoup plus qu’à Douarnenez. L’exploitation est aussi éhontée. Les femmes n’ont aucun moyen pour contrôler exactement la quantité de poisson travaillé et le tripotage est si facile !

Les manœuvres d’usines

La situation de ces travailleurs, occupés à l’emballage, au camionnage, aux machines, etc., est encore plus triste.

Pères de famille pour la plupart, ils doivent faire vivre leur nichée avec des salaires variant de 10 à 12 francs par jour. Aussi, pour augmenter leur maigre pitance, sont-ils obligés de faire de nombreuses heures supplémentaires, les nuits payées, toujours à Douarnenez, au tarif de 1 fr. 30.

Il faut les voir sortir des usines, la figure pâle et amaigrie par les privations et manger à midi (le repas du soir est aussi maigre) la soupe et le bout de pain apportés par le petit garçon ou la femme, car beaucoup habitent dans les communes environnantes, pour se faire une idée de la misère qui règne chez ces travailleurs qui ne gagnent jamais de quoi vivre convenablement.

A Audierne et dans les autres petits ports, la vie des manœuvres qui ne gagnent qu’un franc de l’heure est tout aussi misérable.

Pas d’organisation syndicale

Pour se défendre et arracher aux patrons un peu de mieux-être, les ouvriers et ouvrières d’usine des ports bretons n’ont aucune organisation syndicale. Ces travailleurs, avant la grève, n’avaient pas encore compris l’utilité du syndicat. Les quelques essais d’organisation d’avant-guerre n’ont pas tenu dans la tourmente et il y a un mois, il n’existait aucun syndicat d’ouvrières, aucun syndicat de manœuvres et les syndicats de marins pêcheurs n’avaient que des effectifs squelettiques.

Nous savons bien que chez un grand nombre de travailleurs des ports, chez les marins en particulier, il existe un esprit de révolte bien marqué, et qu’en cas de conflit avec les usiniers ou mareyeurs, ils seront tous prêts à la lutte et viendront au syndicat, mais le conflit terminé, chacun reprend la mer ou l’usine et oublie la cotisation qu’il faut verser.

Peut-être que les conditions de travail des marins-pêcheurs expliquent en partie cela : difficulté de trouver un secrétaire qui soit toujours au port, difficulté de réunir et de toucher les adhérents pendant la saison de pêche, surtout si le poisson donne bien dans un autre port, chômage d’hiver, mais cependant je crois qu’un effort continu fait par les organisations centrales donnerait des résultats.

Pour les ouvrières et manœuvres, encore dans certains ports sous la coupe des curés, on peut dire qu’ils renaissent à la vie syndicale. Je dis  « renaissent », car quoi qu’en disent certains journaux parisiens, il y a eu dans le passé des grèves importantes de sardinières.

Il faudra sans doute plusieurs mouvements, plusieurs batailles de classe encore, pour bien faire comprendre à la majorité de ces travailleurs la nécessité de se grouper solidement dans le syndicat et les buts du syndicalisme.

Le patronat, lui, est organisé

Si les ouvriers, femmes et hommes, ne connaissaient pas le chemin du syndicat, par contre, les patrons des usines de conserves étaient fortement organisés. Forts de l’indifférence ouvrière et soutenus par les curés qui malheureusement jouissent encore d’une grande influence dans les ports bretons, ils règnent en maîtres dans les usines et ne donnent une semi-liberté aux ouvrières que contraints, la main-d’œuvre féminine faisant souvent défaut pendant la saison de pêche.

Ce sont, pour la plupart, des patrons de « droit divin ». Ils ne veulent ni reconnaître les syndicats qui ne sont pas sous leur coupe, ni discuter avec un Comité de grève composé de délégués non choisis par eux.

Ils sont d’autant plus forts qu’ils possèdent de nombreuses usines sur toute la côte bretonne et vendéenne. Si l’une des usines chôme, manque de poisson ou grève les autres travaillent à plein rendement et les marchés passés sont quand même exécutés. Cette situation leur permet d’attendre sans trop de gêne tout au moins pour les « gros » des jours meilleurs. Il n’en est pas tout à fait de même des petits patrons qui ne possèdent qu’une seule usine (4 ou 5 à Douarnenez). Ceux-ci sont handicapés. Si leur usine ne travaille pas, il leur est très difficile de livrer à la date fixée les commandes faites ; aussi, sont-ils parfois moins intransigeants.

Douarnenez a 21 usines de conserves, toutes en grève. On y travaille surtout le poisson ; sardine, thon, maquereau, sprat. Une dizaine d’usines font en plus des conserves de petits pois.

On peut classer ces usines en trois catégories : 1° Les plus grosses maisons : Amieux, : 14 usines d’alimentation : poisson, légumes, confitures, chocolat, etc., dans différents ports de la côte de l’Atlantique ; Béziers : les frères Béziers possèdent 11 usines, dont 6 dans le Finistère : poisson, légumes, confitures. A Douarnenez, Béziers a aussi une fabrique de boîtes vides. Saupiquet (10 usines).

2° D’autres ont plusieurs usines sur la côte ou dans le pays (de 6 à 2) : Chemin, Dandicolle et Gaudin, Eugène Jacq, Azéma et Farnan, Lejeune, Compagnie Générale, Pennanros (cadet), G. Doré, Poriel, Roussel, Chancerelle Charles, Chancerelle Pierre, Chancerelle Robert.

3° Enfin, les cinq patrons suivants ne possèdent que leur usine de Douarnenez : Quéro, Guy, Lotzachmeur, Parmentier, Pennamen. Ce sont eux qui souffrent le plus de la grève.

A ces usines, ajoutons les deux fabriques de boîtes vides : Ramp (nombreuses actions possédées par la famille Chancerelle) et Carnaud, des forges de Basse-Indre, affilié vraisemblablement au Comité des Forges ; et la biscuiterie de Bretagne, en grève également, où tous les fabricants de conserves et les mercantis douarnenistes ont des actions.

L’âme de la résistance patronale est M. Béziers, président de la Chambre patronale.

Homme dur et froid, au visage amaigri, dont le masque respire une impressionnante impassibilité, il s’entend à merveille pour l’exploitation de son industrie.

Toujours maître de lui, M. Béziers parle lentement, surtout quand il traite une grosse affaire ; tous ses mots sont pesés et il sait bien, dit-on, à la manière du père Grandet, arracher aux divers courtiers les plus fortes remises.

Né dans la conserve, il suit les méthodes de son père, qui s’est rapidement enrichi, et malgré des dehors frustes, il possède un capital immense sans cesse accru.

« Soyez brefs, déclare-t-il aux clients qui l’approchent ; nos instants et les vôtres sont précieux ». Et ceci dépeint l’homme dont le principal souci semble être d’accumuler sans arrêt. Et nous ajoutons que la manie de thésauriser aussi bien que la crainte des temps futurs ont fait de ce patron un neurasthénique aigu.

Une très grande partie de son avoir, aux dires des mieux renseignés, consiste en biens immobiliers, dont le lot formidable vient de s’accroître de la propriété du prince Murat à Callac (Côtes-du-Nord) qu’il a récemment acquise.

Et voilà l’homme qui ose affirmer que les salaires de 0 fr. 80 et 1 fr. 30 de l’heure « permettent aux ouvriers d’avoir un niveau de vie normal ».

La Grève s’ébranle

 Avant la grève, et depuis quelques semaines, il y avait déjà une certaine effervescence dans les usines ; des grèves partielles éclatèrent fin octobre, début de novembre.

Ce sont d’abord les mécaniciens de l’usine Hamp (boîtes vides). Après trois jours de grève, ils rentrent avec 0 fr. 10 d’augmentation de l’heure. Ensuite, les manœuvres de l’usine Roussel s’agitent et réclament 1 fr.50 de l’heure.

Un groupe d’ouvrières de l’usine Béziers suit et demande une augmentation de salaires.

Quatre d’entre elles sont remerciées.

Puis c’est la grève locale. Elle éclate le vendredi 21 novembre. Le personnel de l’usine Carnaud fabrique de boîtes vides sort le premier et réclame 1 franc de l’heure pour les ouvrières et 1 fr. 50 pour les manœuvres. Le samedi, l’autre usine métallurgique entre dans le mouvement, bientôt suivie de la biscuiterie, de la filature et de toutes les usines de conserves.

Le mardi 25, la grève est générale. 2.200 grévistes sont dans la rue.

Dans quelques usines de conserves, les ouvrières sont sorties, laissant du poisson non travaillé sur les tables. D’où fureur patronale.

Remarquons tout d’abord que ce poisson ne fut pas perdu. Les rares employés restés à l’usine (commises, acheteuses, gérant, patrons même) le travaillèrent.

Si les patrons se plaignent, tant pis. Les ouvrières se sont défendues en employant le seul moyen qu’elles possédaient : la grève. Et comme il n’existait pas de syndicat, la grève n’a pu être préparée et le mouvement ne pouvait être que spontané, comme il l’a été.

Au début de la grève, le manque d’organisation syndicale se fait sentir ; il y a un peu de flottement. Tout le monde n’est pas d’accord sur les revendications. Puis le mouvement se discipline. Avec l’aide des camarades Lucie Colliard, Simonin, délégués de la C.G.T.U., et Tillon, de l’Union Régionale, un Comité de grève s’organise et le cahier de revendications est établi.

Mensonges patronaux

Dans la première semaine de grève, le juge de paix tâche, mais en vain, d’arranger le conflit. Les patrons ne veulent rien entendre, sous prétexte que les camarades qui dirigent le mouvement ne leur plaisent pas. Ils répondent au juge en disant que : 1° La grève n’est pas économique, c’est une grève politique, révolutionnaire et communiste; 2° Les ouvriers n’ont pas respecté le contrat de travail signé le 8 février 1924 qui prévoyait la révision des salaires à dates fixes ; 3° Ils sont décidés à donner 0 fr. 90 de l’heure aux ouvrières et 1 fr. 40 aux manœuvres, à partir du 1er janvier 1925 et que cette décision est nette et irrévocable.

Les premiers pourparlers s’arrêtent là.

Avant de continuer, examinons un peu cette lettre.

a) Grève révolutionnaire. Mensonge. Inutile de s’appesantir. Si réclamer 1 fr. 25 et 1 fr. 75 de l’heure, quand on ne gagne que 0 fr. 80 et 1 fr. 30, c’est vouloir faire la Révolution, les patrons se trompent et pas d’un peu. Ce mauvais prétexte est d’ailleurs servi par le patronat dans toutes les grèves.

b) Le contrat du 8 février n’a été signé que par un patron. M. Ramp. Il ne lie qu’une fabrique de boîtes vides. Il ne concerne en rien le personnel des usines de conserve qui n’ont aucun contrat, les patrons veulent tout simplement essayer de tromper la population en faisant croire que ce contrat était applicable à leurs usines. De plus, l’article 3, qui prévoyait la révision des salaires, n’a jamais été appliqué. Le patron se gardait bien de faire honneur à sa signature.

c) L’augmentation prévue. Deux sous et au 1er janvier seulement. N’est-ce pas vraiment se moquer des travailleurs de Douarnenez ? Alors qu’à Concarneau, pour le travail des petits pois, payé à l’heure, les femmes ont eu à la saison dernière 1 fr. 15, les mêmes patrons offrent généreusement aux ouvrières douarnenistes 0 fr. 90 pour le même travail. Un coup d’œil sur les salaires payés à l’usine Dandicolle et Gaudin, de Tanualec (conserves de légumes) – cette maison a aussi une usine à Douarnenez suffira pour démontrer la mauvaise foi et l’intransigeance patronale.

A Banalec, les manœuvres hommes touchent 1 Ir. 75 de l’heure – les ouvrières femmes ont 1 fr. 20 et les jeunes filles 1 franc.

Donc, si la maison Dandicolle et Gaudin peut donner à Bannalec 1 fr. 75 et 1 fr. 20, elle peut, et les autres patrons peuvent, donner ces mêmes salaires à Douarnenez.

Nous devons dire que pendant les quinze premiers jours de grève, tout se passe dans le calme. Tous les jours, les grévistes se réunissent dans un jardin communal ; les manifestations, suivies par de nombreux pêcheurs, parcourent la ville sans incident et le soir, sous les halles, toute la population travailleuse de Douarnenez se trouve réunie.

En ville, pas ou peu de gendarmes. On ne les voit pas. Ils restent à Ploaré, commune avoisinante et ne descendent pas.

Dès la première semaine, on se préoccupe également des secours. Des souscriptions sont faites en ville et les gros sous des organisations commencent à arriver. Des soupes communistes sont installées dans les locaux de la Cantine scolaire mis à la disposition des grévistes par la municipalité et fonctionnent tous les jours à midi.

Incident grossi

 Jeudi 4 décembre. Le premier incident de la grève grossi, grossièrement déformé et exagéré par la presse a eu lieu ce jour-là. Témoin, je vais tâcher de le raconter sobrement.

Le matin, vers 10 heures, les grévistes arrêtent en ville un camion transportant à la gare des caisses de sardines. Le camion fait demi-tour, mais revient une heure après, encadré de gendarmes à cheval. Les grévistes, massés à l’entrée du pont qui conduit à la gare, l’arrêtent encore. Les gendarmes entrent brutalement dans la foule, mais ne réussissent pas à ouvrir un passage. Au moment où les gendarmes, furieux de se voir opposer une résistance, s’élancent à nouveau, le maire Le Flanchec et Henriet, député communiste, arrivent sur les lieux et se mettent entre la foule et les chevaux. Je dois dire que le maire fit tout son devoir. En essayant d’arrêter les gendarmes, qui sont revenus plusieurs fois à la charge, il a réussi à éviter une bagarre qui aurait pu devenir sanglante. Le sang n’a pas coulé, comme on l’a affirmé. Seule une jeune fille non gréviste, qui se trouvait sur le trottoir, a été renversée par un cheval et blessée à la jambe.

Vers 11 h. 30, tout était terminé. Le camion ne passa pas et les gendarmes rebroussèrent chemin sous les huées des grévistes et de la population massée en cet endroit.

A la suite de ce petit incident, les patrouilles de gendarmes à cheval font leur apparition en ville. Elles ne circuleront que pendant 2 ou 3 jours. La garde des usines sera assurée sans provocation par des patrouilles de gendarmes à pied.  Le vendredi  5, le préfet du Finistère, après les rapports du capitaine de gendarmerie et des policiers, suspend Le Flanchec, qui, je le répète, n’a fait que son devoir de maire et de militant. Le soir, meeting encore plus important que les précédents, où les camarades déjà cités et D. Renoult, de L’ Humanité, tirent les conclusions des incidents de la veille et du jour.

Après le jeudi 4, les secours affluent en plus grand nombre et le dimanche 7, il est décidé de faire fonctionner en plus grand les soupes communistes. Un autre local municipal est ouvert ; les grévistes auront désormais deux repas par jour assurés.

A noter la sympathie de la plupart des petits cultivateurs de la région. Des quêtes sont faites à la campagne et les voitures reviennent remplies de légumes.

3ème et 4ème semaines de grève

Le mouvement continue. Pas une seule rentrée. On commence à parler d’arbitrage. Les maires des communes avoisinantes, Ploaré, Tréboul, Pouldavid, interviennent et pour essayer de, solutionner le conflit, offrent leur arbitrage. Les grévistes l’acceptent. Les patrons le refusent et maintiennent leurs décisions antérieures.

A la fin de cette semaine, une certaine agitation règne chez les patrons. Par affiches, ils annoncent qu’ils donneront 1 fr. 50 aux manœuvres au 1er janvier. Ils ne parlent pas des ouvrières. La manœuvre : diviser pour régner, était trop grossière.

Puis une usine se détache du groupe patronal, entre en pourparlers avec le Comité de grève et offre 1 fr. pour les ouvriers et 1 fr.50 pour les manoeuvres. Mais en ce moment, après intervention de l’inspecteur divisionnaire du travail, les grévistes décident d’accepter l’arbitrage du Ministre du Travail. Les pourparlers avec l’usine citée sont alors interrompus.

Du côté des grévistes, on a pris un engagement ferme d’accepter les décisions de l’arbitre. Du côté patronal, il n’en est pas de même.

Ces messieurs les patrons iront causer à Paris et ensuite ils décideront s’ils peuvent accepter l’arbitrage. Il est à peu près certain qu’avant même de quitter Douarnenez, ils étaient décidés à ne faire aucune concession et à repousser l’arbitrage ministériel. C’était tout simplement pour la galerie qu’ils faisaient le voyage. Ils allaient à Paris « par politesse ».

Douarnenez, 10 janvier.

A Paris, le lundi 15 les pourparlers sont vite arrêtés. Les patrons maintiennent leurs décisions et refusent l’arbitrage.

Par son refus brutal, le patronat, responsable de la grève, qui n’hésite pas à faire régner la misère aux foyers des travailleurs de Douarnenez, portera l’entière responsabilité des incidents qui pourront se produire.

A Concarneau et à Audierne

Du 14 au 17 décembre, la délégation ouvrière est à Paris. Regardons ce que, furent les mouvements de Concarneau et d’Audierne.

Depuis plusieurs semaines, le mécontentement couvait chez Carnaud, principalement ; aux réclamations des ouvrières, la Direction se contentait de répondre : « Si les salaires ne vous plaisent pas, prenez la porte. »

Le 15 décembre, le personnel quittait l’usine.

Peu après, le mouvement gagnait en partie l’établissement Chatelard. TilIon, secrétaire de l’Union régionale, Bonnieu, et une délégation du Comité de grève de Douarnenez assistaient les grévistes.

Malheureusement, il n’existe à Concarneau aucune organisation ouvrière de quelque envergure. C’est en vain qu’à plusieurs reprises, cette année, Tillon et Cueff, des Inscrits, Lucie Colliard et Simonin (Alimentation) essayèrent de syndiquer un prolétariat pourtant durement exploité.

D’autre part, les fabricants de conserves firent preuve d’habileté. Quelques jours auparavant, craignant la contagion du mouvement douarneniste, ils avaient, dans les usines travaillant le sprat, porté de 35 à 46 fr. le prix du travail d’une caisse de poisson. Enchantées de cet avantage obtenu sans aucune peine, les travailleuses de ces usines voyaient d’un mauvais œil cesser la fabrication des boîtes métalliques, ce qui les aurait entraînées à un chômage forcé.

Si la solidarité patronale s’effectue dans un syndicat œuvrant localement et nationalement, il règne dans le prolétariat un fâcheux égoïsme et un esprit de chauvinisme local qui entravent toute tentative d’émancipation : ces fâcheuses dispositions se manifestèrent par des injures adressées aux déléguées des grévistes de Douarnenez, faisant appel à la solidarité ouvrière.

D’autres circonstances défavorables pesaient sur ce conflit. A l’usine Chatelard, où les salaires sont très divers, un certain nombre d’ouvrières viennent de la campagne où l’usine les fait prendre le matin et reconduire le soir en camion automobile à 3 et 4 km. C’est là un personnel docile et qui se contente de peu.

Dans ces conditions, les tentatives de débauchage étaient vouées à l’insuccès au milieu d’un déploiement important de gendarmes, l’intervention nette contre les grévistes, du maire, qui osa faire placarder sur les murs une cynique proclamation favorisant les usiniers.

D’ailleurs, dès le lendemain de la grève, des défections se produisaient : chez Carnaud, deux des ouvrières chargées de présenter les revendications entraient les premières à l’usine.

Il était impossible de continuer la lutte dans de si mauvaises conditions. Après 4 jours de grève, ouvriers et ouvrières reprenaient le travail sans avoir obtenu aucun avantage.

A Audierne où l’exploitation est encore plus grande qu’à Douarnenez 0 fr. 70 de l’heure pour les femmes, 1 fr. pour les manœuvres), les tentatives d’organisation syndicale du personnel des usines de conserves ne réussissent pas. Les délégués de la C.G.T.U. Henriet, du P.C. et les grévistes de Douarnenez essayèrent de créer un mouvement de solidarité. Dans une seule usine, l’usine Ouizille, les femmes refusèrent de travailler le poisson venu de Douarnenez. Ailleurs, manœuvres et ouvrières refusèrent de sortir, les patrons leur ayant promis, assez vaguement d’ailleurs, les mêmes salaires qu’à Douarnenez.

Douarnenez : 4ème semaine de grève

Au retour de la délégation, dans un vaste meeting, elle est acclamée. Pas une défaillance.

Des mesures sont prises par le Comité de grève pour renforcer encore l’action. Les pêcheurs qui vendent leur pêche aux usines (sprat, sardine) ne sortant pas, il est décidé d’empêcher le poisson des autres ports, même celui acheté par les mareyeurs, d’entrer en ville. C’est ainsi que la sardine partie de Saint Guenolé pour Douarnenez est expédiée sur Audierne et Quiberon.

Le jeudi 18 décembre, les grévistes, devant le refus brutal des patrons d’accepter l’arbitrage ministériel, vont donner aux Béziers et Cie, une bonne petite leçon. Aux environs de la gare, un camion qui contenait des caisses de sardines et qui, pour éviter de traverser la ville, avait fait le tour par Ploaré et Pouildavid, fut arrêté et quelques caisses furent enlevées et transportées à la cantine. Le Comité de Grève les fit rendre le soir même.

Résultat : les camionneurs de la ville ne voulant pas être rendus responsables des troubles qui pourraient se produire décident de ne plus effectuer les transports des usines.

5ème semaine. Deux jours avant le départ de la délégation pour Paris, l’usine Quéro entrait en pourparlers avec le Comité de grève et offrait 1 fr. et 1 fr. 50 de l’heure. Suspendus pendant quelques jours, les pourparlers reprennent dès le retour des délégués et aboutissent le lundi, 22 décembre, à un accord. Le contrat est signé (il est à peu près le même que celui que les patrons signeront le 6 janvier) : 1 fr. et 1 fr. 50 de l’heure, 50 % d’augmentation pour les heures supplémentaires (après la 10e heure), 50 % d’augmentation pour les heures de nuit (après minuit), révision du contrat tous les six mois, et le travail reprend dans cette usine le mardi 23. Le bloc patronal s’effrite. A ce moment, il est permis d’espérer que les autres patrons, qui ne possèdent qu’une seule usine à Douarnenez, suivant l’exemple de Mme Quéro, se détacheront du Syndicat patronal et entreront en pourparlers avec le Comité de Grève. Il n’en a rien été par la suite.

Un autre fait important marque cette semaine de grève. Tous les pêcheurs réunis, même ceux qui ne vendent pas aux usines, décident de rester à terre, montrant ainsi qu’ils sont solidaires des grévistes qui luttent depuis plus d’un mois contre le patronat rapace de Douarnenez. La grève est générale dès le dimanche 21.

Le Noël approche. Le Comité de grève pense aux petits enfants. Pour eux, il organise une fête le mercredi 24. Ils auront tous un jouet et des friandises.

6ème semaine. Les secours des organisations ouvrières arrivent et les gros sous des travailleurs viennent alimenter les cantines ouvertes dès le début de la grève. Tous les jours, il est servi 2.000 à 2.200 repas complets aux grévistes et à leurs enfants : soupe, ragoût, cidre, à midi; soupe, pain, confiture, le soir. Malheureusement les locaux sont trop petits et l’on est dans l’obligation de faire 3 ou 4 services. Pour obvier à cet inconvénient, le Comité de grève, tout en continuant les soupes pour une partie des grévistes, commence le 27 décembre, à distribuer aux familles qui préfèrent prendre leur repas à la maison, les vivres nécessaires : pain, viande, légumes frais, haricots, graisse, confiture, etc. Les distributions seront faites trois fois par semaine : les lundi, mercredi et vendredi.

Dimanche 27, élections municipales complémentaires. Une seule liste, celle du P. C. La grosse majorité des travailleurs de Douarnenez répond au préfet qui a suspendu Le Flanchec à la suite des incidents du 4, en élisant, dès le premier tour et avec un chiffre de voix jamais atteint, toute la liste communiste.

Le reste de la semaine se passe dans le calme.  La première équipe des briseurs de grève est arrivée depuis quelques jours de Paris, puis distribue gratuitement l’Aurore Syndicale, journal des « syndicats réformistes » à la solde du patronat.

Tout le monde sent que le cap de janvier sera dur à doubler. La première semaine de janvier sera décisive, quoiqu’il n’y ait pas eu de rentrées individuelles, il semble y avoir une certaine lassitude chez quelques manœuvres. La grève pèse lourdement sur les épaules de ces malheureux travailleurs qui naturellement n’ont pas un sou d’économie (salaire 1 fr. 30 de l’heure). Les femmes paraissent plus résolues à tenir longtemps encore.

Aussi le Comité de Grève, qui a déjà fait de très grands efforts pour assurer le ravitaillement, va encore faire un nouvel effort financier. Un secours de 10 fr. est donné à tous les grévistes.

De son côté, le Comité de secours du Quotidien et du Parti socialiste verse également 10 francs à chaque gréviste.

Le 1er janvier sanglant

Le 1er janvier : Le matin, 16 individus de l’officine réformiste de la rue Bonaparte à Paris sont arrivés à Douarnenez. La journée est calme. Le soir les provocations des briseurs de grève commencent. Ils cherchent un incident. Vers 19 heures, la triste nouvelle « Le Flanchec vient d’être tué » se répand comme une traînée de poudre dans toute la ville. Que s’est-il passé ?

Dans un café, sans rixe, sans bagarre, des fascistes tirent des coups de revolver : Le Flanchec est blessé au cou, son neveu à la tête traversée par une balle, trois autres camarades sont blessés. Leur coup fait, ces canailles se réfugient à l’Hôtel de France.

Aussitôt, toute la population est dans la rue.

Les gendarmes essaient de dégager les abords de l’hôtel où une partie de la bande vient d’être arrêtée. Ils chargent, les deux premiers rangs sabre au clair, mais la foule riposte et les pierres volent. Bientôt, le cordon de gendarmes qui se trouve devant l’hôtel ne suffit plus, il est balayé et le rez-de-chaussée de l’hôtel est envahi.

C’est une véritable émeute.

Détail comique. Au moment où la foule commençait à se masser devant l’hôtel, les quelques bourgeois, qui s’y trouvaient, – c’est l’heure de l’apéritif –  sont pris d’une sainte frousse. Ils se sauvent par une petite porte de derrière, quelques-uns même, dit-on, par-dessus le mur.

Jusqu’à une heure avancée dans la nuit, la population reste dehors. Une réunion a lieu aux halles; les délégués prêchent le calme. Une manifestation s’improvise sous la pluie.

Ce soir-là, et une fois de plus, le sang-froid des délégués du Comité de Grève retient la foule et de nouveaux accidents sont ainsi évités.

Le vendredi 2, après une courte réunion, une manifestation monstre parcourt la ville. Devant les usines, la juste colère populaire se manifeste, car on accuse certains patrons de Douarnenez d’être les complices de l’assassinat de la veille.

Septième semaine. C’est la dernière semaine de grève. Les événements se précipitent. Les patrons ont peur. L’accusation pèse sur eux.

Le dimanche 4, par affiches, ils promettent 1 fr. et 1 fr. 50, disent qu’ils vont organiser un système de primes à la production et engagent leur personnel à rentrer.

Lundi 5. Aucune rentrée, réunion le matin, à 7 heures 30, suivie d’une manifestation. Dans l’après-midi, ils consentent à causer avec les grévistes. L’accord se fait sur le salaire horaire, mais le tarif des heures supplémentaires reste en discussion.

Le soir, tous les grévistes et de nombreux pêcheurs vont chercher Le Flanchec à la gare.

Mardi 6. Les patrons, par affiches font de nouvelles propositions, mais ne veulent pas reconnaître les syndicats. Dans la soirée, quelques-uns d’entre eux sont appelés à Quimper, et après une entrevue avec le préfet qui avait convoqué, le matin, le vice-président de la Chambre de Commerce, ils décident d’accepter tout de suite toutes les conditions du Comité de grève et de signer le contrat. C’est la victoire.

Nous ne savons pas encore exactement ce qui s’est passé à Quimper ce jour-là. On raconte que la police aurait découvert des papiers compromettants pour les patrons. Ceux-ci auraient envoyé une assez forte somme au « syndicat réformiste ». Il faudra que l’instruction en cours éclaircisse bien ce point.

Vers 18 heures, le contrat fut signé devant le juge de paix par les délégations ouvrières et patronales. Voici les principaux points :

 1° Aucun renvoi pour faits de grève et action syndicale.

2° Salaire horaire de 1 fr. pour les femmes et 1 fr. 50 pour les hommes.

3° 50% d’augmentation pour les heures supplémentaires après 10 heures de travail.

4° 100 % pour les heures supplémentaires de nuit, après 10 heures de travail et après minuit.

5° Les ouvrières seront payées à partir du moment où elles sont convoquées à l’usine.

6° Augmentation générale des salaires dans les usines métallurgiques (diverses catégories).

7° Deux heures par jour de congé payé seront accordées aux apprentis pour suivre les cours professionnels de l’E. P. S.

8° Augmentation proportionnelle des salaires du personnel payé au mois, etc.

9° Révision possible du contrat tous les 6 mois.

Le soir toute la population est aux halles.

Le Comité de grève est acclamé.

Le lendemain, jour de fête, une manifestation grandiose parcourt la ville. On lit la joie sur tous les visages.

La grève est terminée. Le travail est repris partout le jeudi, 8 janvier.

La grève de Douarnenez a été une belle grève et la grande victoire remportée sur le patronat aura une forte répercussion dans tous les ports bretons.

E. ALLOT.