Pas d’équivoque sur les chambres à gaz

En nous intéressant à Emile Bauchet, militant du pacifisme intégral, décédé le 7 août 1973 à Villers-sur-Mer (Calvados), nous sommes tombés incidemment sur l’affaire Rassinier qui empoisonna la Fédération anarchiste et le l’UPF dans les années 1950…Nous reviendrons sur le parcours d’Emile Bauchet ultérieurement, mais il nous a paru important de revenir sur le cas Rassinier pour d’une part, réaffirmer notre opposition sans concession aux négationnistes, continuer le nécessaire et toujours actuel combat contre l’extrême-droite et d’autre part assumer la vigilance que l’on doit porter contre des militants qui cherchent un peu trop la lumière tout en étant mégalomanes voire mythomanes ; des Janus du militantisme. (Patoche- Gljd)

Sus à l’équivoque

Monsieur Faurisson, qui nie l’existence des chambres à gaz, se réfère à Paul Rassinier qui doute de leur utilisation, selon des arguments pour le moins légers : « Alors, me dira-t-on, pourquoi des chambres à gaz dans les camps de concentration ? Probablement – et tout simplement –  parce que l’Allemagne en guerre, ayant décidé de transporter le maximum de ses industries dans les camps pour les soustraire aux bombardements alliés, il n’y avait pas de raison qu’elle fît exception pour ses industries chimiques. Que des exterminations par les gaz aient été pratiquées me paraît possible sinon certain : il n’y a pas de fumée sans feu. Mais qu’elles aient été généralisées au point où la littérature concentrationnaire a tenté de le faire croire et dans le cadre d’un système après coup mis sur pied est sûrement faux. » (Le Mensonge d’Ulysse p.25)

Laissant à d’autres le soin d’ergoter sur le nombre et l’étendue des crimes hitlériens, je ne poserai que la question de savoir à qui profite un pareil débat et dans quelle intention il est engagé.

Il repose sur une équivoque permanente : on confond le droit à la liberté d’expression et l’approbation des thèses défendues. N’est-ce pas sur cette confusion que Chomsky peut paraître adopter les thèses du professeur Faurisson ? On assimile l’Allemagne (qui n’a pas le monopole du crime) et l’hitlérisme, et c’est sur ce différend que Rassinier en semblant prendre la défense de celle-là justifie celui-ci.

Il pourrait sembler, de prime abord, que c’est dans le louable souci de ne pas voir se perpétuer la légende des races maudites que fut écrit « Le Mensonge d’Ulysse » et, en ce cas, s’étonner que ce soit la droite et l’extrême-droite qui s’en soient revendiquées, ce qui ne peut surprendre que ceux qui ignorent le rôle double de son auteur.

Equivoque enfin que de mêler les anarchistes à cette affaire Faurisson, dont l’œuvre est éditée par une équipe « d’anarcho-situationnistes » ( ?) comme hier on qualifiait « d’anarchistes » les affirmations de Rassinier, dont les sympathies voilées pour le fascisme transparaissent pour qui sait lire.

A propos de Maurice Bardèche, il écrit : « Les gens de gauche, adoptant à partir de 1938-39 le nationalisme qui était de droite, ont par là-même, obligé la vérité qui était de gauche à chercher asile à droite et à l’extrême-droite. » (Le Mensonge d’Ulysse, P. 14)

Quand la droite et l’extrême-droite ont-elles cessé d’être nationalistes ?

On peut lire un peu plus loin : « A ce sujet une petite histoire qui fait état d’un ordre soi-disant donné par Himmler et sur lequel la littérature concentrationnaire est très prolixe : celui de faire sauter tous les camps à l’approche des troupes alliées et d’y exterminer ainsi tous leurs occupants, gardiens y compris.

« Le médecin chef SS du Revier de Dora, le docteur Plazza, le confirma dès qu’il fut capturé et en eut la vie sauve. Au tribunal de Nuremberg, on le brandit contre les accusés qui nièrent. Or dans le Figaro du – janvier 1951, sous le titre « Un juif négocie avec Himmler » et sous la signature de Jacques Sabille on a pu lire : « C’est grâce à la pression de Gunther exercée sur Himmler par l’intermédiaire de Kersten (son médecin personnel) que l’ordre cannibale de faire sauter les camps à l’approche des alliés – sans ménager les gardiens – est resté lettre morte. » (Le Mensonge d’Ulysse, P. 24 et 25)

A quel titre « l’historien Rassinier » donne-t-il pareil crédit au témoignage de Jacques Sabille (qui innocente les dirigeants hitlériens) et à quel titre fait-il si bon marché de celui du docteur Plazza (qui les accable) ?

Qui l’autorise à conclure ?: « Ce qui signifie que cet ordre, reçu par tout le monde et abondamment commenté, n’a jamais été donné. »

Qui lui permet d’extrapoler?: « S’il en est ainsi des ordres d’exterminations par les gaz… »

Un peu plus loin, son livre confirme son attirance pour le nazisme ; il nous présente un codétenu pour lequel il ne cache pas sa sympathie et dont voici le langage : « Les Allemands, quand ils parlent de l’institution, emploient le mot Schutzhaftlager, ce qui veut dire camp de détenus protégés. Au moment de son arrivée au pouvoir, le National-Socialisme, dans un geste de mansuétude, a voulu mettre ses adversaires hors d’état de lui nuire, mais aussi les protéger contre la colère publique, en finir avec les assassinats au coin des rues, régénérer les brebis égarées et les ramener à une conception plus saine de la communauté allemande, de sa destinée et du rôle de chacun dans son sein. Mais le National-Socialisme a été dépassé par les événements, et surtout par ses agents. » (Le Mensonge d’Ulysse, P. 93 et 94)

Tel est selon Rassinier, qui approuve ces propos, le visage de l’hitlérisme.

Il m’apparaît superflu de multiplier les exemples et de décortiquer davantage « Le Mensonge d’Ulysse » où sa justification du fascisme apparaît en filigrane.

Au surplus, l’accueil que lui firent les mouvements racistes, et pronazis en apporte la confirmation.

Mais un témoignage autrement accablant condamne Rassinier, c’est le comportement de Rassinier lui-même.

Rappelons pour mémoire, les étapes de sa carrière : Né à Bermont (Territoire de Belfort), le 18 Mars 1906, il dirigeait avant-guerre la Fédération communiste indépendante de l’Est, formée de dissidents du Parti communiste.

En 1932, cette Fédération fusionnait avec le groupe Souvarine.

Poursuivant son évolution, il est en 1939 secrétaire de la Fédération socialiste de Belfort, et en 1940 lors de l’occupation, l’un des fondateurs du mouvement Libération-Nord. En 1943, il est arrêté et déporté successivement à Buchenwald et à Dora.

A son retour, lors de la Libération, il se présente aux élections en juin 1946, en tant que second de Naegelen, sous l’étiquette socialiste.

Celui-ci ayant été élu et décédant 2 mois plus tard (août 1946), Rassinier occupe sa place de député jusqu’en novembre 1946, date de nouvelles élections où il est battu.

Jusque-là, comme on peut le voir, rien ne permet de cataloguer cet ancien parlementaire, ce ci-devant socialiste, communiste, parmi les anarchistes.

C’est alors qu’il va se sentir touché par la Grâce.

Il aborde aux milieux anarchistes où l’on se plaît à penser, selon une morale humaine que « le sage n’est jamais qu’un pécheur repenti ».

Mais bientôt son étrange comportement, ses prises de position systématiques contre tout ce qui est de gauche, son silence sur tous les crimes de la droite (et surtout d’extrême-droite) vont le rendre suspect à tous.

Une enquête va le démasquer qui permettra de mettre à jour son rôle trouble et double.

Collaborateur du journal fasciste « Rivarol » sous le pseudonyme de Bermont (lieu de sa naissance) tandis qu’il collabore encore à la « Voix de la Paix », la chose sera publiquement établie, lors d’un procès qu’il intente à Bernard Lecache qui l’avait qualifié de fasciste.

Afin d’éviter toute polémique inutile, appelant des prises de position subjectives, nous donnons ci-dessous copie de la correspondance échangée entre Monsieur Jean Berthet et JP. Bermont :

Perpignan, le 3 septembre 1964

Monsieur,

Il y a longtemps que je remets à plus tard la rédaction et l’envoi de cette lettre. Je m’y décide. Simple lecteur de « Rivarol », je me permets de vous suggérer les propositions suivantes : « J’ai lu avec un vif intérêt la suite d’articles que vous avez fait paraître au sujet du procès de Francfort. Ne pensez-vous pas que, réunis dans un fascicule, ils pourraient être diffusés utilement pour rétablir la vérité et servir notre cause. Le prix de revient de cette brochure, par sa modicité, le mettrait à la portée de toutes les bourses et lui assurerait une large diffusion.

Je crois même pouvoir trouver parmi mes amis quelqu’un qui se chargerait de l’édition au plus bas prix et accorderait les plus larges crédits.

Je serais très heureux d’avoir votre avis en la matière et d’apprendre qu’une suite favorable puisse être donnée à ce projet.

En m’excusant du dérangement que je vous cause, je vous prie de croire, Monsieur, à toute l’admiration que je ressens devant vos éminentes connaissances.

Jean Berthet, Perpignan, Pyrénées Orientales

Réponse de Rassinier-Bermont :

Asnières, le 9 septembre 1964

Cher Monsieur

Votre lettre du 3 courant, relative à l’édition de mes articles de Rivarol en brochure.

Les Italiens ont eu la même idée que vous. Ils se sont adressés à Rivarol qui possède les droits de reproduction.

Vous devriez soumettre votre idée à Rivarol et reprendre le texte italien (il comporte quelques mises à jour par rapport aux articles.)

Avec mes bons sentiments

Jean-Pierre Bermont

Le graphologue, expert devant les tribunaux, ayant conclu que les écritures de J.P. Bermont et de Paul Rassinier étaient indiscutablement d’un même scripteur, celui-ci dut le reconnaître devant le tribunal.

Ceci nous dispense d’autres témoignages comme celui de nos compagnons d’Allemagne qui s’indignaient de voir Rassinier opérer des tournées de conférences outre-Rhin, sous l’égide de son éditeur K.H. Priester, un des piliers de l’internationale des anciens nazis et cofondateur du mouvement de Malmoe (apologue de Hitler et de son régime).

Par la suite, son rôle de mouchard au compte du fascisme étant démasqué, Rassinier continua de collaborer, mais sous son nom cette fois, au journal Rivarol.

Nous nous en voudrions de nous acharner sur un cadavre bien oubliable, mais puisqu’il refait surface, nous nous devions d’apporter un témoignage que nous pourrions étayer par celui de nombre d’autres dont nous avons le dossier.

Libre à ceux qui, pour conforter leur défense du fascisme, ont recours à la référence à un personnage dont la vie ne fut qu’un long mensonge, mais qu’on ne commette pas celui de le présenter comme anarchiste, alors qu’il n’a jamais été dans leurs rangs qu’un indicateur.

Maurice Laisant – Rédacteur du « Libertaire », presse de l’Union des Anarchistes (Texte paru dans le libertaire N° 20 de juillet-août 1981)