De l’utilité d’une CNT
Si de nombreux griefs peuvent être adressés à la CNT, peut-on cependant rejeter toute idée de construction d’une organisation anarcho-syndicaliste aujourd’hui, en France? Est-ce, comme on a pu le lire trop souvent, une CGT-SR bis, c’est-à-dire une CGT Sans Rien ? Est-ce que le combat syndicaliste est maintenant dépassé par le mouvement des gilets jaunes ou le combat écologiste doit-il primer sur un syndicalisme qui a déçu nombre de militants et semble dans l’incapacité de faire bouger les lignes? Que d’espoirs déçus au regard de l’énergie dépensée, parfois durant plusieurs décennies, dans l’ébauche d’une confédération syndicale qui a toutefois brillé dans l’immédiat après-guerre et pendant les années 2000-2010. Tout ça pour en arriver là, avec de multiples scissions à la clef et ces centaines d’adhérents qui sont partis sur la pointe des pieds à chaque conflit ou tension répétitive.
Pour autant qu’il nous soit permis d’avoir une opinion plus nuancée. Il faut être conscient qu’une organisation anarcho-syndicaliste, même avec 50 000 adhérents, ne pourra faire la révolution, seule. Cependant, pour qui cherche à peser sur le cours du monde qui nous entoure, c’est toujours plus agréable et valorisant d’appartenir à un cortège de 10 000 personnes à Paris et plusieurs centaines dans des villes de province que de se trouver reléguer en fin de manif avec une poignée de militants, si bruyante soit-elle. De solides sections syndicales peuvent aussi permettre de se faire entendre et obtenir quelques avancées sur les lieux de travail. C’est toujours un peu de dignité de gagner.
Les scissions récurrentes et les problèmes internes nuisent à l’image de toute organisation et procurent un climat délétère qui à terme finit son œuvre de destruction. Les problèmes de personnes prennent le pas sur les problèmes d’organisation. On connaît tous la chanson. D’autant que chaque nouvelle organisation pense que l’autre, qui s’est séparée ou a été exclue selon les interprétations, va péricliter et disparaître. Seule restera l’organisation qui avait la ligne juste comme disaient les Maos, ces staliniens qui rêvaient de voir défiler les troupes chinoises sur les Champs-Elysées…
En clair, une CNT avec un nombre conséquent d’adhérents et de militants peut avoir un avenir et une utilité sociale. Par le passé, les analyses et productions de la CNT ont été récupérées à de multiples reprises par des sections syndicales combatives de la CGT ou SUD. La bataille des idées se mène de front avec une présence régulière dans les entreprises et les quartiers, sur le terrain de la lutte de classe.
Si la CNT est un bon vecteur pour la construction d’une confédération syndicale, comment peut-on insuffler de bonnes pratiques et sur quels points peut-on s’accorder.
La CNT doit-elle être une organisation anarchiste ? Nous devrions plutôt poser comme questions : quelles sont les nécessités du moment et quels sont les besoins du mouvement ouvrier ? Concernant l’anarchisme, de nombreuses organisations maillent déjà le territoire et l’offre organisationnelle est déjà bien conséquente, sans compter les multiples groupes libertaires ou collectifs anarchistes que l’on trouve un peu partout en France. Ce n’est nullement une attaque contre les organisations spécifiques car nous pensons qu’elles ont leur utilité. Souvent, les syndicalistes ont la tête dans le guidon et c’est bien que d’autres travailleurs aient le temps de réfléchir sur nombre de sujets extérieurs au monde de l’entreprise. Bien entendu, cela ne remet pas en cause la capacité des syndicalistes à penser par eux-mêmes sur tous les sujets de société. Mais nous connaissons les problèmes de temps des uns et des autres. Le boulot, la famille, le milieu associatif, les contingences quotidiennes…tout ça, c’est chronophage et les journées ne sont pas extensibles.
Par contre, il faut afficher clairement la couleur : la CNT a pour finalité le communisme libertaire ; elle est pour une révolution sociale et libertaire donc pour l’égalité économique et sociale.
L’avantage d’une organisation syndicale, c’est que l’adhésion se fait sur la base de l’exploitation des travailleurs : il suffit d’être salarié, chômeur, étudiant…Elle prend en compte, de même, la nouvelle exploitation d’ubérisation de la société…l’intérim ou plus globalement l’éclatement du salariat.
Contrairement à un groupe affinitaire qui affilie sur une base idéologique, le syndicat est une organisation nettement plus large. A la CNT, tout nouvel adhérent sait que l’organisation est anticapitaliste et a une vision autogestionnaire de l’organisation. Après, dans la pratique, on sait pertinemment que nombre de syndiqués viennent au syndicat pour ce que l’on appelle les revendications immédiates et matérielles. Est-ce pour autant que la CNT cesse d’être libertaire? Non. Et ce dont on est certain, c’est que pour peser socialement, il faut du monde. Même avec du monde, c’est difficile. Alors, le syndicalisme groupusculaire n’a aucune chance de faire vaciller le patronat et encore moins l’Etat. Et puis le groupuscule est souvent sectaire et peu attrayant.
Les coups de gueule, l’agitation impuissante, les critiques systématiques des autres…ne font guère avancer la cause anarcho-syndicaliste que l’on défend.
Il ne suffit pas d’être armé théoriquement, il faut parallèlement l’être numériquement. Nous prenons souvent l’exemple de la CNT-FAI pour étayer nos dires. Si la CNT espagnole comptait plus d’un million de personnes, la Fédération Anarchiste Ibérique ne totalisait que 30 000 militants en 1936. La FAI ne cherchait pas l’hégémonie au sein de la CNT mais entendait peser sur la pratique et l’orientation confédérale. Le mouvement libertaire a eu une influence réelle en Espagne car il était armé politiquement et avec des assises ouvrière et paysanne nombreuses.
Aujourd’hui, les militants anarcho-syndicalistes entendent être « maîtres » chez eux c’est-à-dire qu’ils désirent pratiquer le fédéralisme qui dans la réalité se traduit par une autonomie des syndicats, structures de base d’une confédération.
La structure de base de la CNT est le syndicat d’industrie et ces syndicats d’industrie regroupent des sections syndicales d’entreprises et se fédèrent sur le plan horizontal (UL, Bourse du Travail, UD, UR) et sur le plan vertical en Fédérations d’industrie. Sachant que bon nombre de compagnons préfèrent le militantisme horizontal ainsi que des syndicats intercorporatifs, ces derniers ayant l’avantage de l’interprofessionnel et de moyens financiers plus conséquents. Cependant, la CNT se doit de prendre en compte d’autres dimensions que celles de l’entreprise ou du lieu de travail : écologie, droit au logement, antiracisme, antipatriarcat, antifascisme, accès à la culture…
Comme dans toute organisation, des points de vue divergents se font jour. Si la reconnaissance des décisions de congrès est évidente, il faut laisser cependant à chaque syndicat la possibilité d’appliquer ou non les décisions majoritaires de congrès surtout si ces décisions pénalisent la possibilité de s’implanter durablement et numériquement dans des entreprises. Son corollaire implique que le syndicat en désaccord avec une motion ne puisse nuire à l’application des motions majoritaires. Ce qui laisse par exemple la liberté à certains syndicats de se présenter à certaines élections professionnelles et à d’autres de boycotter les élections professionnelles. De même pour l’outil juridique. Est-il plus judicieux et moins coûteux de passer par des avocats (profession libérale), de mandater des compagnons calés sur le droit du travail ou de rémunérer des militants pour la prise en charge de la défense prudhommale et autres dossiers très techniques de représentativité…La CNT 76 avait à une époque des copains responsables de C.E., ce dernier payant un conseil juridique. Il suffisait de poser des questions par écrit ou au téléphone pour avoir un juriste comme interlocuteur, et dans des délais assez rapides.
Ce qui a gêné de nombreux cénétistes avant la scission avec la CNT-SO, c’était le poids du syndicat du nettoyage. Mais avec le principe d’un syndicat une voix, l’orientation de la CNT ne risquait rien. Et si le principe fédératif avait été appliqué, le syndicat, dans le respect de son autonomie aurait pu continuer à fonctionner selon les modalités définies en son sein.
Bref le Fédéralisme syndical permet un point d’équilibre entre une diversité cohérente de syndicats et l’autonomie des syndicats en opposition à tout centralisme démocratique.
Comme on le voit dans ce court texte, l’internationalisme n’est point mentionné. Ce n’est pas un oubli mais avant de s’atteler à la tâche internationale, il est préférable au préalable de consolider une CNTF.
Patoche et Ti wi (GLJD)