L’ordre mon cul, la liberté m’habite
Mais la société libertaire, comment ce sera ? Patatras ! Le problème, ce n’est pas qu’on rencontre régulièrement cette question ; elle est fondée, et de loin ! Il serait même inquiétant et appauvrissant qu’elle n’apparaisse pas, avec sa nécessaire et provocatrice candeur. Non, le problème – que dis-je, le drame ! – c’est que les réponses ne manquent jamais ! Il se trouve toujours, pour y répondre, des militants, des penseurs ; même des penseurs de la liberté. Il y a eu, entre autres, l’ahurissante obsession organisatrice de Pierre Besnard, Le Monde Nouveau, qui glace le sang tant elle gèle l’avenir, et régulièrement surgissent encore des utopies sur papier millimétré, des quadrillages de l’espoir, des cadastrages de la vie, des castrations de la liberté.
Définir un avenir – pire encore, l’Avenir, l’Unique, l’Universel (fût-il libertaire) – , déterminer à la place des gens de quoi leur vie sera faite, mettre en place l’itinéraire fléché de la liberté, ne peut être qu’une escroquerie liberticide. Je refuse obstinément et absolument de « voir » la société anarchiste. La verront ceux qui la feront et elle ne sera que ce que les gens en feront ; je n’ai pas à avoir de projet pour les autres et je refuse à quiconque d’avoir des projets pour autrui. Le faire est la négation même de la liberté.
La pensée libertaire repose – et ne repose que – sur le respect et l’autonomie des individus, non un individu idéal au nom duquel on peut prendre de brillantes positions théoriques et définir des stratégies générales et définitives, mais sur le réel désir des gens. La proposition libertaire, c’est donner à tous – c’est-à-dire à chacun – le moyen de définir et pratiquer leur vie comme ils l’entendent. […] il n’y aura de société libertaire que dans la mesure où elle sera une multitude d’expériences et de libertés échangées entre les gens…
Jean Victor Verlinde (2001)
« L’association idéale est le couple de personnes qui discute d’un problème commun en confrontant des jugements personnels et qui devient, par agrégation spontanée, un « petit groupe d’amis ». C’est de la multiplication et de l’interaction de ces petits groupes que naissent de vastes et fluides associations plus nombreuses, toujours multiples et spontanées, où les personnes associées ne sont portées que par leurs jugements personnels et ne se sentent liées qu’autant et qu’en tant qu’elles sont d’accord avec les autres sur de communes propositions d’action. […] De telles associations n’ont aucune permanence et aucune prétention d’unicité. Quiconque n’est pas d’accord n’a aucun devoir de s’y conformer. L’union y surgit de la convergence pour donner une solution commune à un commun problème. A peine ce problème résolu, l’association cesse d’exister. D’autres personnes, variablement groupées, font, dans d’autres associations, l’expérience de nouvelles voies. »
William Godwin (1791)