Le libertaire de novembre 2018

Vive la guerre

1914-1918 : de commémo en commémo.

Si les poilus, après-guerre, célébraient l’armistice, ce n’était ni la patrie ni l’armée qu’ils glorifiaient mais ce qu’ils considéraient comme la Der des Ders. Ils avaient vécu l’enfer et les horreurs dont on peine à imaginer aujourd’hui l’ampleur. Au cul, le patriotisme, car on croit mourir pour la patrie et on meurt pour des industriels. Puis vinrent les anciens combattants de droite et de la droite extrême qui dans l’entre-deux guerres vinrent remettre au goût du jour le nationalisme et l’idée qu’on doit mourir pour la patrie… Et aujourd’hui, Monsieur Macron essaie de se refaire une virginité politique en commémorant, à tout-va, le centenaire de l’immense boucherie. Il espère capitaliser en remontant dans les sondages et préparer aux frais de l’Etat sa campagne pour les élections européennes de mai 1919. A chaque époque, ses valeurs et son actualité.

Ce que Macron, Merckel et les politiciens ne nous diront pas, c’est que les dirigeants politiques ne dirigent pas grand-chose ; ce sont des marionnettes aux mains des capitalistes. La Première Guerre mondiale était-elle prévisible ? Bien sûr. Francis Delaisi publiait, déjà, en Mai 1911, dans une brochure, « La guerre qui vient ». Et elle est venue, pire que ce que l’on pouvait imaginer. Delaisi nous renseigne sur les guerres d’affaires : « Autrefois, les peuples étaient des peuples de paysans, et tout naturellement leurs chefs avaient une politique de paysans : leur rêve était d’arrondir leur territoire, de prendre les champs du voisin. C’est pourquoi leurs conflits étaient des conflits de frontière, et leurs guerres des guerres d’annexion et de conquête. Napoléon, victorieux, s’emparait de la Belgique ; Bismarck, vainqueur, prenait l’Alsace-Lorraine, etc., etc…

Mais, aujourd’hui, tout est changé. Les grandes nations européennes sont gouvernées par des gens d’affaires : banquiers, industriels, négociants exportateurs. Le but de ces hommes est de chercher partout des débouchés pour leurs rails, leurs cotonnades, leurs capitaux. Dans le monde entier, ils se disputent les commandes des chemins de fer, les emprunts, les concessions minières, etc… Et si, par hasard, deux groupes rivaux ne peuvent s’entendre pour la mise en exploitation d’un pays neuf, ils font appel au canon.

C’est ainsi que nous avons vu, en 1895, les Japonais se battre avec les Chinois pour l’exploitation de la Corée ; en 1898, les Américains se battre avec les Espagnols pour l’exploitation de Cuba ; en 1899, les Anglais se battre avec les Boers pour l’exploitation des mines du Transvaal ; en 1900, l’Europe entière envahir Pékin pour imposer ses chemins de fer aux Chinois ; enfin en 1904, les Japonais et les Russes se massacrer pendant dix-huit mois pour savoir qui aurait le droit d’exploiter la Mandchourie.

Cinq guerres en dix années ! Le triomphe du pacifisme !… Toutes ces luttes sanglantes n’ont eu pour résultat aucune conquête : la Mandchourie fait toujours partie du Céleste empire ; la Chine a gardé son empereur ; l’Afrique du Sud forme un Etat politiquement autonome, et Cuba est une République indépendantes. Mais leurs chemins de fer, leurs emprunts, leurs tarifs douaniers sont la proie des vainqueurs.

Nos grandes oligarchies financières modernes ne cherchent plus des sujets, mais des clients ; elles ne font plus de guerres « patriotiques » à l’ancienne mode.

Ces gens d’affaires font des « guerres d’affaires »…. »

Delaisi nous parle du Maroc, de la Turquie…et des milliards d’emprunts à émettre à Paris, tant pour le compte de Londres que pour celui de la France, en cas de guerre : « Et nos grandes banques ont en souvenir les bénéfices énormes réalisés en 1871 et 1872. » La brochure est édifiante et mérite d’être lue dans son intégralité.

Alors Fêter la victoire ou défendre la paix ? Les libertaires s’étaient engagés contre la loi des trois ans, avaient appelé à l’insoumission pour certains, mais leur militantisme, pourtant non marginal à l’époque, a vite été évincé par la fièvre patriotique, d’autant que la guerre devait durer peu de temps. A Berlin, à mort les boches ! La fleur au fusil…Au bout du chemin et des parades, quatre années d’une mort qui rôdait et empestait les tranchées. Et si demain, un gouvernement appelait à faire la guerre en embrigadant les jeunes français en dehors de l’armée de métier. Quelle serait l’attitude de la population ? Peu de monuments aux morts ont été érigés contre la guerre. Que maudite soit la guerre à Equeurdreville-Hainneville (Manche) et à Gentioux (Creuse) et quelques autres à vocation pacifiste : Saint-Martin d’Estréaux (Loire), Dardilly et Villié-Morgon (Loire), Péronne (Somme)…ça fait peu au regard des milliers de monuments représentant un ou des poilus, le fusil à la main. Combien de monuments pour les condamnés pour l’exemple ? Pour ceux qui avaient peur et ont pris une balle dans le dos ; ils n’arrivaient plus à avancer, paralysés par le bruit de la mitraille et des obus, quand ce n’était pas les gaz…Roland Dorgelès dans les Croix de Bois nous livre des pages émouvantes : « Un souffle encore piqua sur nous…Je m’étais ramassé, la tête dans les genoux, le corps en boule, les dents serrées. Le visage contracté, les yeux plissés à mi-clos, j’attendais…Les obus se suivaient, précipités, mais on ne les entendait pas ; c’était trop près, c’était trop fort. A chaque coup, le cœur décroché fait un bond ; la tête, les entrailles, tout saute. On se voudrait petit, plus petit encore, chaque partie de soi-même effraie, les membres se rétractent, la tête bourdonnante et vide veut s’enfoncer, on a peur, enfin, atrocement peur…Sous cette mort tonnante, on n’est plus qu’un tas qui tremble, un cœur qui craint…Entre chaque salve, dix secondes s’écoulaient, dix secondes à vivre, dix secondes immenses où tient tout le bonheur, et je regardais Fouillard, qui maintenant ne bougeait plus. Couché sur le côté, le visage violacé, il avait le coup béant égorgé comme on égorge les bêtes. La puante fumée masquait le chemin, mais on ne voulait rien voir : on écoutait effaré. Piochant autour de nous, les obus nous giflaient de pierraille et nous restions tassés dans notre ornière, deux vivants et un mort. »

Peu réjouissante, la vie dans les tranchées. Mais en période de guerre, rien n’est drôle. Aujourd’hui, certains guerriers, comme en Syrie, mais dans bien d’autres contrées, utilisent le viol comme arme de guerre. Viol des femmes mais aussi des hommes…La guerre, c’est la pire des saloperies humaines. La paix se défend en période de paix ; quand un conflit est engagé, la bête resurgit et l’irrationnel prend le pas sur ce qui nous reste d’humanité.

Patoche (GLJD)

le Libertaire Novembre 2018