Leçons sur la définition et l’histoire du fascisme

Leçons sur la définition et l’histoire du fascisme

(Suivi de « Le totalitarisme entre les deux guerres)

Les Editions Noir et Rouge ont eu l’excellente idée de publier ces textes de Luce Fabbri. Avec la publication du présent livre paraît pour la première fois un ouvrage en langue française signé du seul nom de Luce Fabbri (1908-2000), une intellectuelle italo-urugayenne auteure d’une œuvre importante, tant par sa qualité que par sa quantité, mais rigoureusement ignorée des éditeurs du Vieux Continent.

Que les Editions Noir et Rouge soient ici remerciées. D’autant que Luce Fabbri adopta bien avant Hannah Arendt la notion de « totalitarisme » pour désigner à la fois le nazi-fascisme et le « communisme » stalinien, sans se soucier des « fins ultimes » faussement affichées par ce dernier pour se distinguer du premier.

Nous choisissons quelques morceaux choisis du livre édité en novembre 2023.

Le trait le plus immédiatement visible dans le fascisme antérieur à la « Marche sur Rome » et qui, sans être une définition, apparut comme son principal trait distinctif, fut la cruauté impassible et antihumaine de ses méthodes de lutte.

Se sentir les maîtres de la vie d’autres humains produisait chez de tels individus une ivresse surhumaine, pour laquelle, semblait-il, il valait la peine de risquer sa propre vie et de jeter par-dessus bord le trésor quelque peu usé de la morale traditionnelle.

Les travailleurs  considéraient le fascisme comme un mouvement conservateur au service des organisations patronales, et fondamentalement antisocialiste. Les fascistes sont dès le départ des ennemis des coopératives, des syndicats, des autonomies municipales et, plus généralement du socialisme.

Le fascisme fut essentiellement le produit de la peur féroce de tous ceux qui jouissaient d’une situation plus ou moins stable, non liée totalement à un travail productif, ou d’un prestige fondé sur une échelle traditionnelle de valeurs face à l’inconnue d’une révolution qui paraissait inévitable. Dans la rue, le peuple, ivre d’une espérance vague, chantait « Nous voulons faire la Révolution ! Vive le socialisme et la liberté ! » Et le fascisme surgit contre le socialisme et la liberté, il surgit comme « contre-révolution préventive ».

Les fascistes apportent une méthode inédite de violence brutale et froide : employée comme source de plaisir – mais seulement de surcroît -, elle n’était pas le fruit d’une passion quelconque mais de la peur et du calcul. La violence répressive est la fille de la peur de perdre ce que l’on a, et de la haine à l’égard de ceux qui grimpent ou veulent grimper dans l’échelle sociale.

Les bandes fascistes, composées des débris de la guerre, chômeurs à temps complet, jeunes amoraux assoiffés d’émotions, étudiants enivrés de nationalisme et de vagues rêves de grandeur, étaient menés par d’ex-officiers et par des fils de grands propriétaires terriens, d’industriels et de commerçants. Ces derniers, c’est-à-dire les parents, payaient les frais et souriaient avec indulgence et complaisance. Les autorités locales les accompagnaient avec des sourires bienveillants. Ces jeunes gens avaient de bonnes armes et des moyens de locomotion rapides, qui leur permettaient de se rassembler et de fondre en grand nombre sur les proies qu’ils avaient choisies. C’est ainsi qu’ils conquirent l’Italie, ville après ville, village après village…

La date qui marque la légalisation plus ou moins complète de l’action fasciste n’est pas celle de la prise du pouvoir mais celle du 3 janvier 1925, le jour où Mussolini prononça ce discours décisif où il assuma la responsabilité de l’assassinat de Matteotti et des autres faits du même type qui avaient jalonné sa marche vers le pouvoir absolu. C’est la date de naissance du totalitarisme dont l’instauration allait cependant nécessiter encore un certain temps.

Un parti politique militairement organisé qui n’a pas de programme mais repose sur des mythes est un instrument de pouvoir et ne peut être rien d’autre.

Dans sa première période, le caractère le plus visible était plutôt la défense du capitalisme, qui n’est facile à concilier avec « la défense de la patrie » qu’en surface.

Partout, le fascisme parvint non seulement à se présenter comme l’expression la plus légitime d’une passion nationale agressive et amère mais capable d’utiliser aussi de larges contingents de jeunes gens faciles à enthousiasmer avec cette vague volonté collective de pouvoir qu’est le nationalisme, vu et ressenti dans les rues, comme une affirmation active, auréolé d’un halo de poésie épique, de gloire, de voluptueuse violence.

(à suivre)