Le trotskysme est-il soluble dans l’anarchisme ?/

Le trotskysme est-il soluble dans l’anarchisme ?

 La mobilisation sur les retraites a permis à l’ancien Courant Communiste Révolutionnaire du NPA, devenu entre-temps « Révolution Permanente », de faire une percée médiatique. Fort de quelques centaines d’adhérents, l’organisation d’Anasse Kazib est intervenue fin mars à Gonfreville l’Orcher, près du Havre, devant les raffineurs en grève. La camionnette de Révolution permanente était bien présente sur site. Depuis quelques années, les Trotskystes de toutes obédiences se livrent une guerre sans merci avec les anciens staliniens au sein de la CGT pour prendre la tête de l’UL. Les difficultés de communication commencent à poindre aussi entre l’UL d’Harfleur et l’UL du Havre. Une actrice comme Adèle Haenel ainsi que Frédéric Lordon ont donné une certaine visibilité au courant R.P., maintenant concurrent du NPA. Les militants R.P. ont monté le réseau grève générale parce que la grève générale, à juste titre, ça se prépare. Ils ont maintenant une organisation jeunesse : « Poing levé », ce qui leur permet d’intervenir dans une vingtaine d’universités et dans plusieurs lycées. Tout comme l’UCL, R.P. s’investit dans les luttes environnementales, LGBTQIA+, féministes, antiracistes, gilets jaunes, anti -violences policières… bref tout ce qui bouge en plus du côté lutte des classes. Les militants R.P. ratissent large, espérant damer le pion au NPA qui a déjà vu fuité bon nombre d’adhérents chez Ensemble ou chez les Insoumis. Leur côté extra-parlementaire pourrait plaire à certains libertaires. Mais voilà, tout trotskyste qui se respecte se réfère à Lénine et donc à l’avant-garde du prolétariat. Il faut une organisation révolutionnaire qui regroupe les éléments les plus radicaux afin de diriger les masses. C’est un discours bien huilé qu’on pensait remiser au placard. Mais non. Dans la pratique R.P., un petit groupe indique la marche à suivre, le programme… le tout édicté par une direction qui s’assure de la formation théorique des militants. Les mauvaises langues disent que R.P. est une émanation de révolutionnaires sud-américains. A cette allure-là, nous allons voir ressurgir le CHE. El commandante. A une époque, pour les plus anciens, nous entendions dans les manifestations « Che Che Guevara, Hô Chi Hô Chi Minh». Ce qui nous faisait bien rire quand on connaissait le point de vue du dirigeant vietnamien qui entendait éradiquer le trotskysme petit bourgeois. Car dans certains milieux, on est toujours le fasciste ou le petit-bourgeois de quelqu’un.

L’idéal marxiste est entaché du sang de millions de déportés, de massacrés, de fusillés, de torturés, de l’enfer du Goulag… sans compter les violences psychologiques. Le logiciel hégélo-marxien légitime la violence. Nous lui préférons le logiciel libertaire qui n’emploie pas des moyens contraires au but fixé : l’égalité économique et sociale dans la liberté. Nous attendons toujours que le Parti Communiste Français fasse l’inventaire du génocide stalinien. Que les anciens maoïstes fassent l’inventaire des massacres sous Mao, Pol Pot…Que les Trotskystes fassent l’inventaire des premières déportations de Russes, des massacres d’ouvriers, de la persécution de nombreux militants dont les anarchistes, sous la houlette du camarade Léon. Et le fait que Trotsky ait été assassiné par ordre de Staline ne change rien au fait que c’était à son niveau un assassin qui avait le sang de milliers de travailleurs et militants sur les mains.

Les ennemis de nos ennemis ne sont cependant pas nos amis. Si aujourd’hui, nous nous retrouvons dans des grèves aux côtés de militants de tous bords, nous n’en approuvons pas pour autant leur dialectique et leurs pratiques. Les militants R.P. n’ont ni plus ni moins que la même pratique d’entrisme dans les syndicats que leurs prédécesseurs staliniens et trotskystes. Politique de fraction, contrôle du syndicat, utilisation du syndicalisme à des fins autres…en attendant peut-être d’avoir le nombre suffisant de parrainages pour se présenter à l’élection présidentielle. On peut avoir un discours extra-parlementaire quand on ne peut se présenter puis prendre un virage à 90 degrés le moment venu. La LCR de Krivine avait déjà donné le la.

Contrairement aux militants trotskystes de R.P., nous ne pensons pas que nous sommes dans un moment insurrectionnel. Un moment certes où les choses peuvent bouger, où on peut obtenir des acquis, mais de là à penser que l’insurrection vient comme le disait déjà une petite brochure, certainement pas. Nous pensons même que la société se fascise au travers de l’Etat et que les gens deviennent de plus en plus racistes. Certes, de petites lueurs se font jour comme dans les luttes environnementales, dans certaines entreprises notamment quand une lutte est victorieuse pour les salaires…Mais globalement les idées du Rassemblement National ne reculent pas car nous n’avons pas trouvé la bonne méthode. Même les directions auto-proclamées de partis d’avant-garde ne l’ont pas non plus.

Si nous pouvons être d’accord sur le fait que les journées de grève saute-mouton n’ont pas donné grand-chose et que l’Etat réprime de plus en plus, la politique des « y a qu’à, faut qu’on » n’a pas plus abouti. L’exemple de la venue de Marine Le Pen au Havre au carré des Docks, le Premier Mai, l’illustre bien. Les militants de R.P. devaient avoir une stratégie alternative face à celle des syndicats…et on attend toujours, car il y a parfois loin de la coupe aux lèvres. Marine Le Pen a bien tenu son banquet de la Nation…N’en déplaise à tout le monde, y compris les anarchistes.

Mais pour en revenir au titre de l’article, nous voulons bien insister sur le fait que les libertaires n’ont pas la mémoire courte et que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Les libertaires appartiennent à la gauche antitotalitaire, antilibérale et antimarxiste, pour autant que quelques marxistes ne soient pas totalitaires. Nous sommes de la mémoire des vaincus, de ce socialisme libertaire qui a été victime de Kronstadt, du pouvoir bolchevick, de l’Armée rouge militarisée par Trotsky. Celle qui a vu la révolution Makhnoviste se faire écrasée par cette armée dite du peuple.

Nous appartenons à un courant de pensée ostracisé qui n’a pas pignon sur rue et qui est systématiquement disqualifié par les éléments du courant autoritaire : communiste du PC, chapelles trotskystes, socialistes à la Manuel Valls…

Le léninisme, comme tout courant autoritaire, ne peut que s’appuyer comme il l’a déjà fait que sur la Terreur, la dictature du prolétariat, l’armée, la violence de l’Etat, les expropriations violentes contre tous ceux jugés ennemis de leur révolution. Les marxistes ont une vision de la révolution basée sur la minorité qui impose sa volonté par force aux autres. Il suffit de relire Engels et de constater ce qui s’est réellement produit en Union soviétique et autres pays se réclamant du marxisme-léninisme. Les purges, les assassinats de masse.

L’exclusion de l’Internationale de Bakounine, James Guillaume…préfigurait déjà les méthodes autoritaires de Marx et ses affidés.

Alors, non, le trotskysme n’est pas soluble dans l’anarchisme. Il n’aspire qu’à prendre le pouvoir comme les autres. Il remettra le couvert pour bâillonner les opposants, ceux qui réclameront les véritables soviets. Ils peuvent se parer du terme d’autogestionnaire, ce dernier est incompatible avec l’Etat.

Les libertaires, peu audibles depuis que la CNT a quasiment disparu des radars, ont pourtant des propositions pour endiguer le nouveau capitalisme qui vous va surveiller et réprimer de plus en plus.

Il s’agit pour nous de remettre les questions sociale et environnementale au centre des préoccupations des gens. Les anarchistes ne sont pas là pour faire du marketing politique car nous n’aspirons à aucun strapontin politique ; ce n’est pas la conquête du pouvoir qui nous motive mais sa destruction. Contrairement aux marxistes qui font de la conquête du pouvoir politique, l’alpha et l’oméga de leur idéologie.

Ti Wi (Groupe Libertaire Jules Durand- GLJD)