Le réveil de l’Islam

Si le christianisme est en régression et l’islam en progrès dans les pays d’Afrique et d’Asie, la raison en est simple : le christianisme y représente la résignation et l’islam la révolte. Or c’en est fini de prêcher la résignation aux masses misérables ; c’est maintenant la voix de la révolte qui seule est écoutée.

A cause de cela, le christianisme est en recul partout dans ce qu’on appelle le « tiers monde », où il incarnait la soumission aux conquérants européens, à ceux qui faisaient suer le burnous dans les latifundia du Maghreb, à ceux qui coupaient les mains des Congolais pour n’avoir pas récolté assez de latex. La croix symbolise pour l’Africain et l’Asiatique l’agenouillement devant l’exploiteur blanc ; le drapeau vert est pour eux l’emblème de l’homme debout, tenant tête à ses maîtres d’hier, clamant sa volonté de ne plus retomber en sujétion.

Voilà ce qui explique le dynamisme mobilisateur de l’islam à l’aube de l’an 1400 de l’hégire, et le discrédit où, dans l’aire pauvre du monde, le christianisme est tombé. En Asie, où ce dernier ne représentait que des minorités, cela peut sembler peu probant, puisque l’islam y avait déjà partie gagnée ; c’est surtout l’Afrique qui est l’enjeu de la nouvelle conquête. Or l’Afrique, disputée aux animistes par la croix, par le croissant et par les multiples syncrétismes nés d’un œcuménisme christo-païen, est fatalement influencée en faveur de l’islam par ce qui se passe en Asie, notamment en Iran, en Afghanistan et au Pakistan.

En Iran, l’islam est au pouvoir dans des conditions révolutionnaires ; il y a déclaré une guerre impitoyable à l’Amérique et à l’Occident, dont la richesse insulte au paupérisme indigène. En Afghanistan, l’islam, dans l’opposition, a soulevé les populations contre un gouvernement soutenu par l’Union soviétique, c’est-à-dire par un Etat européen qui a annexé la moitié de l’Asie à son impérialisme administratif, militaire et policier. Grâce aux transistors et aux relais hertziens, l’Afrique n’ignore rien de tout cela ; et c’est à elle que Khomeiny a pensé le jour où il a libéré en priorité les otages noirs. Les Blacks Muslims de Harlem ont, à cet égard, été des précurseurs – ou, comme on dit, des « types qui ont eu le nez fin » ; ils ont subodoré de bonne heure la potentialité agitatrice de l’islam.

Pour certaines écoles spiritualistes, il est hors de doute que cette reviviscence de la mosquée est une victoire de l’esprit sur la matière, puisque les vieilles valeurs exaltées au nom du Coran s’opposent à la fois au matérialisme dialectique des Etats marxistes et au matérialisme économique des pays bourgeois, couvrant du même qualificatif de « païen » ce qui se réclame de la science et des droits de l’homme, ce qui ressortit au culte roumi ou huguenot, et tout le bazar électroménager des multinationales américaines.

Naturellement, nous avons de l’événement une optique différente.

Que l’islam, à son origine, ait correspondu à un progrès mental et social, il se peut. Si Mahomet comme prophète, ne fut probablement qu’un imposteur, il a déclenché un mouvement historique qui, en mettant fin à l’émiettement classique de l’ancienne Arabie idolâtre, a fait accomplir un pas à une partie de l’humanité. Il s’ensuivit, on le sait, une avance considérable dans les rapports sociaux, les conditions humaines, les lettres, les arts et les sciences.

Mais cela, c’est le passé, et les considérations comparatives entre société islamique et société préislamique sont du domaine du dilettantisme philosophique. La réalité est que l’islam est un mouvement confessionnel totalitaire, inspirateur de fanatismes qui ne le cèdent en rien à ceux qu’ont animés les autres religions, polythéistes ou monothéistes. Au pouvoir, il ne se montre tolérant que s’il y est contraint par la présence d’une opposition suffisamment résolue ou par la force de ses propres intérêts ; le cas des Juifs ou des Coptes ne dément point cette assertion, au contraire. Quant à sa volonté de conquête des esprits par la violence, la rigueur, l’autorité, il n’est, pour en avoir une preuve, que de voir agir le gouvernement du Pakistan depuis la chute et la pendaison d’Ali Bhutto : il islamise de force à toute berzingue. L’iman iranien chiite Khomeiny ne s’en cache d’ailleurs pas : dans un livre qui est un véritable Mein Kampf, il appelle l’islam universel à la subversion totale, à une guerre sainte qui reprenne les choses où elles en étaient restées après la bataille de Poitiers gagnée par Charles Martel, à une anti – croisade qui fasse enfin triompher partout le drapeau des califes.

Les spiritualistes, eux, pavoiseraient bien à tort : la matière est derrière et dans tout cela, sous forme d’intérêts et de questions économiques. Et ça ne date pas d’hier. La ruée musulmane du VIIème siècle déjà était un phénomène aux solides racines matérielles, commandé à la fois par la démographie surabondante d’une péninsule en grande partie désertique et par des mutations sociales génératrices de profonds troubles intérieurs. Il est reconnu que le chômage chez les caravaniers, ruinés par les nouvelles techniques de la navigation pratiquée en Mer Rouge sur les bateaux syriens, égyptiens et éthiopiens, rendit des masses arabes importantes disponibles pour l’épopée qui devait les jeter sur l’Afrique et sur l’Asie méridionale.

Aujourd’hui, nul ne se hasarderait à contester les facteurs matériels qui agissent dans la révolution iranienne ; ils sont évidents, depuis l’inégalité par trop criante entre les niveaux de vie des peuples pauvres et ceux des nations favorisées, jusqu’aux questions pétrolières et tout ce qui touche les matières premières nécessaires à l’économie des pays supérieurement industrialisés. Cette concordance de l’activisme confessionnel et de la revendication populaire fait que l’islam est « dans le vent » au beau milieu du siècle et d’un monde scientifiques et rationalisés, et qu’avec ses prétentions universalistes il se présenterait presque comme une sorte d’ »internationalisme prolétarien ».

Est-ce à dire que nous allons nous faire musulmans et nous mettre à bêler « Allah !» avec les ayatollahs barbus et les innombrables moutons de Mohammed ben Panurge ? Evidemment non.

L’islam est, comme toutes les religions une expression de l’irrationnel et de la déraison, une aberration mentale et une imposture politique. La révolte qu’il prêche aujourd’hui, assortie de haine xénophobe ne saurait faire oublier qu’il a été pendant des siècles l’instrument des sultans, des émirs, des cheikhs, des khédives, pour courber la plèbe misérable sous un despotisme discrétionnaire, à coups de plat de sabre, à coups de fouet, à coups de fusils. L’islam esclavagiste a vidé l’Afrique intérieure de sa population noire plus activement, et aussi férocement, que sut le faire la traite « triangulaire » des négriers. Il a razzié les villages de la brousse pour avoir des femmes et des eunuques. Ses mamelouks et ses janissaires ont édifié des dictatures militaires devant lesquels l’Orient, le Maghreb, et jusqu’à l’Europe méridional ont été contraints à la soumission et au silence dans un climat de fatalisme et de terreur. L’islam n’a été d’aucun secours aux masses contre la tyrannie des califes, ni plus tard contre l’exploitation des coloniaux. Le fait qu’il s’est réveillé pour une « Reconquista » au nom du prophète ne doit pas faire oublier qu’il est outrecuidant de prétendre libérer les peuples quand, des siècles durant, on a enchaîné les corps et asservis les esprits.

Si encore l’islam pouvait se targuer d’humanisme ! Les révolutionnaires de 1789, s’ils ont dressé des échafauds, ont du moins brisé des chaînes et proclamé des droits. Mais l’islam ! Est-ce un exemple à proposer que de couper la main des voleurs – c’est-à-dire d’imiter ce que faisaient au Congo belge les bandits du « caoutchouc rouge » ?

L’amputation est redevenue une coutume pénale dans certains pays musulmans « libérés de l’impérialisme ». C’est un châtiment en vigueur dans le passé, et parfois mitigé de raffinement horribles. Dans un ouvrage récent, un auteur, musulman d’Afrique noire, M. Ibrahima Baba Kaké, relate une punition usitée au sein de l’armée marocaine quand les colonisateurs s’intéressèrent à l’empire chrétien : « Pour les voleurs, on pratique des incisions dans la paume de la main, on saupoudre la plaie de sel, on referme le poing, et on le coud dans une peau fraîche qui se resserre en séchant. Après guérison de la plaie, le gant est coupé, mais les doigts sont pris dans la cicatrice, et les ongles continuent de pousser et traversent les chairs en causant des souffrances intolérables ».

Les dirigeants nouveaux du Pakistan, ceux qui ont pendu Ali Bhutto, ont fait fouetter publiquement des centaines de personnes. Mais l’islam, qu’ils font embrasser de force aux non-croyants, n’a rien à voir, disent-ils : la tradition judiciaire est une chose, la foi religieuse en est une autre. Argument spécieux, puisque l’islam désavoue toute laïcité par le fait qu’il imprègne et assume chaque action faite à chaque instant par chaque adepte du Prophète. Les mêmes politiciens musulmans pakistanais ont déclaré qu’ils envisageaient pour leur pays la possession de la bombe atomique, mais que ce serait une bombe « spécifiquement islamique » : la bombe de la guerre sainte, quoi ! Voilà qui nous rassure ! Entre les bombes chrétiennes, les bombes marxistes et les bombes musulmanes, nous ne craignons vraiment plus rien. Et ces gens prétendent rejeter et combattre les « valeurs » occidentales, alors qu’ils se préparent à emprunter à l’Occident ce qu’il y a de pire, son invention la plus néfaste : l’arme nucléaire !

Certes, il y aura des résultats positifs qui ressortiront du réveil désordonné des populations orientales. Comme l’écrivait le grand et cher Hugo : « Les Révolutions qui viennent tout venger/ Font un bien éternel dans leur mal passager ».

Mais, tout en nous sentant solidaires des masses insurgées qui refusent de supporter plus longtemps leur sort misérable, nous ne nous joindrons jamais aux funestes illusions de la guerre sainte. Il n’y a pas de guerre sainte. Toute guerre est maudite, avilissante, ignominieuse. La seule qu’on puisse justifier, celle que l’affamé livre à l’affameur, l’opprimé à l’oppresseur, l’esclave au maître, n’est que le juste combat de la vie contre la mort, de la liberté contre la tyrannie ; elle n’est pas « sainte » pour ça, et nous ne la qualifierons jamais ainsi. Elle est tout simplement inévitable, et du même coup regrettable ; elle est, elle, la vraie « reconquista » des classes déshéritées et dépouillées, avides de justice et de dignité, non pas un « djihad » prêché et livré pour des prières et des prosternations.

Devant les turbulences de l’islam asiatique, la chrétienté schismatique d’Orient a fait de discrets appels au Vatican, où règne un pape musclé issu d’un pays où coexistent le fanatisme catholique le plus obsolète et une résignation patiente au blochevisme du grand « protecteur » voisin. Le pape est donc allé en Turquie, en cette Turquie presque expulsée d’Europe qui, jadis, mena le croissant jusqu’à Vienne, semant sa route de squelettes d’infidèles, comme à la Tour des Crânes de Nis. Y-a-t-il de la croisade dans l’air ? Ou du syncrétisme ? Ou de l’œcuménisme ?

Toujours est-il que nous n’emboîterons point le pas au très herculéen  saint-père ni à qui que ce soit.

Car même dans leurs moments de trêve et de compromis, et même quand elles fulminent contre la guerre et l’impérialisme, toutes les religions rêvent d’une guerre et d’un impérialisme, qui leur assureront la victoire sur le démon de l’incroyance : c’est le nom que les sectaires donnent à la liberté de pensée.

P-V. Berthier (Février 1980)

Ce texte maintenant daté n’en exprime pas moins la position des libertaires vis-à-vis de toutes les religions. La religion musulmane qui se réveille à cette époque n’avait pas encore vu le califat de Raqqa et ses exactions…

Nous constatons que l’Etat français utilise aujourd’hui les abayas pour détourner la colère des gens vis-à-vis de la réforme des retraites qui vient de passer mais aussi de la situation catastrophique de l’école : classes chargées, séparatisme social en faveur de l’école privée et des enfants de classes aisées, bas salaires des enseignants…

Pour autant, les anarchistes que nous sommes combattons toutes les religions. Ni dieu ni maître ni tribun ni prophète ! Nous ne baisserons pas la garde vis-à-vis des islamo-fascistes.