Le nouveau paupérisme

« Restaurants du cœur », Secours populaire, « Musique au cœur », sans compter les diverses officines d’obédiences religieuses, voilà quelques associations qui soutiennent la charité publique.

Les dons affluent et il se présente de plus en plus de personnes pour en bénéficier. Fondés en 1985 par Coluche, les restaurants du cœur, par exemple devaient avoir une existence éphémère. C’était pour faire prendre conscience du désarroi et de la pauvreté des gens. Une quarantaine d’années  plus tard, non seulement ces restaurants du cœur deviennent pérennes mais ils sont fréquentés par de plus en plus de bénéficiaires. Ils croulent sous la demande.

Certes, on peut se féliciter de la générosité et de l’entraide des bénévoles mais une société basée sur des entreprises « charitables » n’est ni bonne ni juste. Le cirque philanthropique renforce au final le paupérisme car la charité, ce n’est pas la lutte pour une vie digne.

Dans une société qui regorge de tout, il ne devrait plus y avoir de pauvres. Or, l’évolution actuelle est en sens contraire : enrichissement scandaleux d’une catégorie privilégiée, appauvrissement de la multitude. On en reviendrait presque au temps de Zola.

Sous ses apparences doucereuses et compatissantes, ointes de morale et de religion, cette société est dure et impitoyable. Nous faisons un pas en arrière et les mesures envisagées par le gouvernement Attal vont accentuer le phénomène, notamment parmi les chômeurs.

Si cette société est inhumaine, ce n’est pas par sadisme, ce n’est pas gratuitement. Cela résulte de de façon logique de ses structures, qui ne sont pas adaptées aux changements survenus dans le monde de la technique. Elle veut produire de plus en plus avec de moins en moins de producteurs. Des producteurs, il n’y en aura bientôt plus besoin, mis à part une poignée de spécialistes. Quoique des signes permettent davantage d’optimisme quand on voit le retour en arrière du plan caisses automatiques aux Etats-Unis. Sans compter que les clients préfèrent l’humain aux machines. Mais la tendance générale est là.

De toute évidence, que la misère soit en extension au milieu d’une surabondance de biens sans cesse croissante constitue une anomalie. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’une telle contradiction dans les mœurs et dans les faits exige d’être réparée. Mais le progrès social – malgré des améliorations que personne ne peut contester – a accumulé un tel retard par rapport au progrès industriel et scientifique, et l’esprit qui anime les institutions est demeuré si archaïque que, pour rééquilibrer la société, il faut une révolution.

Ce mot lui-même a besoin d’être réactualisé. On en est resté à des conceptions vieillottes. La remise en ordre de l’économie, de la production et aussi des mentalités que la confusion générale désaxe, n’a pas besoin de la guillotine sur la place de la Concorde, ni d’un goulag pour l’assainissement des cerveaux. Les propositions libertaires ne manquent pas, ne serait-ce que dans le Libertaire hors-série que nous avons publié en février 2024.

La mise en place de telles propositions serait sans doute un bouleversement, mais ne faut-il pas bouleverser une société qui rétrograde, qui se trompe de route, qui voit s’enfler démesurément les fortunes et se rabougrir les petits porte-monnaie, qui couvre d’or les commissionnaires en armes et bloque le salaire des actifs, la pension des retraités, l’indemnité des chômeurs ? Réponse : il faut la bouleverser, et une foule de gens, beaucoup plus qu’on ne croit, en sont conscients.

Mais alors, dira-t-on, si tant de citoyens sont ralliés à cette idée, d’où vient qu’elle chemine si peu, ou si lentement ? Car, il faut le dire, on ne l’entend pas prôner à tous les carrefours, fussent-ils tenus par des gilets jaunes. Comment parler d’une Révolution nécessaire (sans guillotine, sans goulag, sans pétroleuses et sans guérilleros) à un peuple qu’effraie le plus petit changement, qui crie au charron contre la moindre réformette et qui, lorsqu’il se soulève, le fait généralement pour des revendications modérées, pour des augmentations de salaires par exemple (même si c’est nécessaire). Le peuple, lui aussi, comme ses dirigeants, est figé dans des idées primitives, dans des attitudes arriérées. Il est pourtant capable de se secouer de temps à autre, contrariant par-là les désirs de ses gouvernants, attendu que le souci majeur de toute équipe au pouvoir est d’abord que ses assujettis se tiennent tranquilles. S’il ne va pas très loin dans ses actes et dans ses desseins, il y a à cela des raisons profondes difficiles à avouer.

Par un simple examen de l’histoire récente et contemporaine, il sait que les Révolutions amènent des jours tragiques et des lendemains amers. Il a vu des révolutions se produire dans divers pays, et cela, loin de l’encourager, l’a plutôt dissuadé. Il voudrait bien une révolution qui répartisse enfin de façon équitable ces richesses dont nous sommes submergés, qu’il produit et dont on lui mesure la consommation au point que pour bon nombre, sans la générosité des plus charitables, on verrait mourir de faim les plus démunis. Cette Révolution, sans soldats de l’An II et sans Fédérés, il faudrait être fou pour ne pas la souhaiter : donc il la souhaite. Mais, en même temps, il la craint parce qu’il n’est pas sûr que, commencée par un bon programme, elle ne s’achèvera pas comme celle de Russie ou n’évoluera pas comme celle d’Iran.

En premier lieu, la situation du monde est devenue telle que toute révolution est internationalisée dans les vingt-quatre heures. Autrement dit, les grandes puissances choisissent leur camp. Ensuite, n’importe quel mouvement social, si spontané qu’en soit le début, si probe qu’en soit l’origine, est rapidement accaparé (ou plutôt récupéré) par les communistes et les trotskystes. Or dans son ensemble, le peuple n’aime ces politiciens. Il a ses raisons pour cela. En France, leurs propos contiennent parfois des vérités, des critiques justes, des propositions sensées. Mais leur image est détruite par leur passé d’autant qu’ils fonctionnent toujours avec les mêmes logiciels. Personne n’a vraiment envie d’être sous le joug de tels militants. Nous pourrions remplir plusieurs pages du libertaire pour dénoncer le passif des communistes de Staline en passant par Pol Pot et idem pour les trotskystes dont leur tête pensante a militarisé le travail au début de la Révolution russe sans compter les massacres à Cronstadt ou en Ukraine.

En disqualifiant le concept même de Révolution socialiste, ces exemples navrants n’ont pas accéléré chez nous les succès de l’action populaire, et toute la crédibilité du mouvement ouvrier en a été affectée. C’est pour cela que les libertaires n’ont aucun intérêt à faire la courte échelle aux « révolutionnaires » d’aujourd’hui dont la filiation stalinienne ou trotskyste est réaffirmée via le léninisme. Le logiciel libertaire ne demande qu’à faire sa place dans la Révolution de demain mais sans trahir son idéal et en mettant en adéquation les moyens et les buts affichés contrairement à d’autres. (lire la P.J.)

PVB et Ty Wi (GLJD)