
Le débat sur l’immigration a pris une ampleur inédite ces dernières années, du moins si l’on considère l’émergence d’options politiques prônant ouvertement l’expulsion massive d’immigrants, comme c’est le cas avec Donald Trump aux États-Unis, les Zemmouriens en France, l’AFD en Allemagne…. En ce sens, le discours public reflète une radicalisation des sociétés démocratiques et de leurs systèmes politiques, évoluant vers des positions où la terreur s’est imposée comme un instrument politique contre les immigrants, tout en prônant des mesures drastiques contre de larges pans de la population étrangère. Il s’agit d’un phénomène nouveau pour les générations actuelles, mais il a déjà ses antécédents.
L’administration de Dwight Eisenhower avait déjà lancé dans les années 1950 ce qu’on appelait « l’opération Wetback », un programme d’expulsion d’immigrants mis en œuvre par le procureur général américain de l’époque, Herbert Brownell. Ce programme utilisait des tactiques de type militaire pour expulser les immigrants mexicains installés aux États-Unis, dont certains étaient citoyens américains. Il s’agissait pour la plupart d’immigrants légaux qui avaient rejoint les programmes d’immigration de la première moitié du XXe siècle — comme le « Programme Bracero », qui était un accord entre les gouvernements des États-Unis et du Mexique —, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale pour soutenir l’économie de guerre dans un contexte où une grande partie de la main-d’œuvre locale avait été recrutée par l’armée et déplacée hors des États-Unis vers les théâtres de guerre du Pacifique, d’Europe et d’Afrique. Les travailleurs mexicains ont comblé cette pénurie de main-d’œuvre sur le marché américain.
Après la fin de la guerre et la démobilisation des troupes américaines, l’économie américaine n’a pas pu absorber le retour des vétérans de guerre sur le marché du travail, de sorte que l’expulsion des Mexicains est devenue un impératif pour maintenir la stabilité sociale et économique du pays. C’est ainsi que les conditions socio-économiques extraordinaires découlant de la fin de la Seconde Guerre mondiale se sont combinées au rôle de l’immigration irrégulière à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, ce qui a été une source d’inquiétude des deux côtés du Rio Grande.
L’opération menée par le gouvernement américain a déporté un nombre important, bien qu’indéterminé, de Mexicains. Cependant, la plupart de ceux qui ont quitté le pays, peut-être environ un million au total, l’ont fait de leur propre initiative en raison de la campagne médiatique d’intimidation menée dans la société américaine, ainsi que du climat d’hostilité projeté par les autorités fédérales elles-mêmes. Le gouvernement a utilisé la propagande en publiant un rapport accusant les immigrants, sans aucune preuve, d’être responsables de nombreux problèmes économiques du pays. Les travailleurs mexicains ont été accusés de voler les emplois des Américains et d’apporter la mort et la maladie dans leur pays d’accueil. De même, la présence d’immigrants a été présentée comme une invasion, en plus d’être associée à l’infiltration des communistes par la frontière sud. Il s’agit sans doute d’une dialectique très similaire à celle utilisée aujourd’hui par Donald Trump.
Si quelque chose a caractérisé la campagne d’Eisenhower, ce sont ses efforts pour faire connaître le plan du gouvernement pour les immigrants. L’objectif, selon les historiens, était une offensive de relations publiques pour faire pression sur les immigrants clandestins du pays afin qu’ils fuient plutôt que de risquer que leurs familles soient capturées lors de raids surprises. Certains historiens affirment que deux fois plus d’immigrants ont quitté volontairement les États-Unis que ceux qui ont été expulsés. Le problème dans tout cela est que la peur a été utilisée pour instiller la terreur parmi les travailleurs mexicains qui, voyant l’atmosphère de plus en plus hostile qui se développait autour d’eux, ont choisi de quitter les États-Unis par peur d’être expulsés.
La politique d’immigration de l’administration Trump recourt à des pratiques similaires à celles de l’administration Eisenhower, une pratique que Trump lui-même avait déjà vantée pendant la campagne électorale à chaque fois qu’il abordait la question de l’immigration. La rhétorique hostile, accusant les immigrants d’être des criminels et de souiller le sang des Américains, et ses intentions d’expulser au moins 11 millions d’étrangers soupçonnés de résider illégalement aux États-Unis, font partie d’une stratégie médiatique visant à terroriser la population immigrée. Cela est particulièrement évident en ce qui concerne les tentatives du gouvernement fédéral de mettre fin aux soi-disant sanctuaires d’immigrants – des endroits où les juridictions locales favorisent d’une manière ou d’une autre la présence d’immigrants et où les autorités locales ne parviennent pas à faire respecter les décrets fédéraux sur l’immigration. Les menaces du gouvernement fédéral et, en général, la détermination des autorités à expulser le plus grand nombre possible d’immigrants ont provoqué une peur généralisée parmi les immigrants de Chicago, au point qu’ils ont choisi de ne pas quitter leur domicile. Le gouvernement Trump terrorise donc les immigrés et cela va aller en s’aggravant si les Américains et notamment la communauté hispanique ne réagit pas.