
Mettre en opposition émancipation individuelle et émancipation collective est contreproductif. Ne penser qu’à l’émancipation collective comme source unique d’émancipation appartient à la mouvance marxiste. Il faudrait libérer la société de ses carcans pour libérer les individus. Pour certains anarchistes, il faudrait plutôt inverser la problématique : c’est en libérant chaque individu que l’on pourra libérer la société. Pour les anarchistes synthésistes, il faut marcher sur ses deux jambes : émancipation individuelle et collective. L’émancipation individuelle donne un exemple de ce que pourrait advenir la société si ne serait-ce que 5% des individus vivaient de manière anarchiste et l’exemple ferait tâche d’huile, ce qui favoriserait l’émancipation collective qui a son tour permettrait à un plus grand nombre de s’émanciper ; ce serait un cercle vertueux. De fait, il est plus facile d’essayer de s’émanciper individuellement car cela ne dépend que de vous alors que si l’on attend que l’émancipation collective change les individus et la société, on risque d’attendre longtemps. De surcroît, nous avons vu où nous menait les régimes communistes se référant au marxisme léninisme : les déportations, les camps, les assassinats de millions de personnes…et au bout du compte, un manque de liberté où une nouvelle aristocratie bureaucratique prend le pouvoir. Alors, l’émancipation collective comme unique source d’émancipation, on s’en méfie. Poutine est l’héritier de cette pseudo-émancipation collective du socialisme réel et de l’homme nouveau.
Le libéralisme économique ne vaut guère mieux car la société dite libérale est obnubilée par l’accumulation et le profit dans laquelle l’homme passe au second plan pour beaucoup travailler et consommer, ce qui fait entrer l’humanité dans le travail forcé (notamment le salariat) et la superficialité. Les libertaires aspirent plutôt à ne pas gâcher leur existence et à profiter de davantage de temps libre pour lire, s’instruire, s’amuser, jardiner, se consacrer à un hobby, aller à un spectacle, s’entraider, partager avec d’autres etc.
Aujourd’hui, le système nous cantonne dans une liberté qui est celle des capitalistes qui conduisent leurs affaires au détriment du plus grand nombre; dans ce système point de liberté ou alors elle est réduite à la portion congrue et l’individu ne peut mener sa vie comme il l’entend. La première des libertés est celle de renoncer à un emploi aliénant, de ne pas avoir de patron et de n’être le patron de personne. Concernant les métiers aliénants, on peut les coupler aux emplois qui n’ont aucune utilité sociale. Quelle est l’utilité sociale des salariés des plateformes téléphoniques qui vous harcèlent par des appels intempestifs et récurrents plusieurs fois par jour ; quelle est l’utilité sociale de la pervenche qui vous colle une prune ; quelle est l’utilité sociale des salariés qui fabriquent des bombes, des mines antipersonnel, des engins de guerre…et on pourrait lister tout un tas d’emplois de ce type.
De nos jours, nous constatons une porosité entre le monde des affaires et les politiciens. A cela, il nous faut ajouter l’indigence des médias notamment de la presse qui se révèle, pour l’essentiel des titres, être une presse d’opinion. Dans la relation au salariat, le travail n’a plus beaucoup de valeur. La preuve, tous les métiers d’utilité sociale sont sous-payés alors que des emplois basés sur la spéculation sont largement mieux rémunérés. Pour les travailleurs, le travail n’est qu’un outil pour gagner sa vie. Et l’ascenseur social n’existe que dans l’idéologie du self made man cautionné par un système politique où le citoyen voit son rôle réduit à celui de spectateur et de consommateur, la plupart du temps soumis à la publicité qui envahit nos vies. La société nous accule à une faillite morale. Pourtant cette dernière pourrait être évitée si nous refusions de ne plus gaspiller notre vie au service du profit car nos vies valent plus que leurs profits.
Dans le cadre d’une émancipation individuelle, il faudrait choisir un métier en adéquation avec ses aspirations profondes et ne jamais devoir renoncer au temps libre. Cette émancipation nécessite le nécessaire effort intellectuel, un côté autodidacte afin de s’abstraire du modelage éducatif parental, scolaire et de la société.
Aujourd’hui, de nombreux anarchistes délaissent le terrain syndical, notamment ceux et celles qui ont participé durant quelques décennies à faire vivre une CNT, pour militer dans des cadres de la mouvance écologiste. Le principe de défense de la nature comme force supérieure est à opposer à tous ceux et toutes celles qui aujourd’hui détournent le regard lorsqu’il est question de répondre aux enjeux climatiques et environnementaux.
Quelques-uns continuent à militer dans les syndicats en insistant sur le côté écolo et en mettant au premier plan le dérèglement climatique. Pourquoi pas ? Ce dont nous sommes certains, c’est que militer dans une CNT qui n’aurait pas pour finalité « le communisme libertaire » n’a aucun sens pour un anarchiste. Autant militer alors dans n’importe quelle centrale syndicale. Et il y a pléthore de l’offre syndicale ; pour les résultats que l’on connaît.
Pour les libertaires, un autre futur est possible, loin des injonctions du monde actuel où tout s’accélère de plus en plus rapidement. Mais si le présent n’augure rien de bon de par son actualité anxiogène, il est nécessaire de rappeler que les anarchistes ont un projet de société alternatif et qu’il fera bon vivre en Anarchie, à condition de s’en donner les moyens.
Ty Wi (GLJD)