Le Libertaire de décembre 2024

Une liberté illusoire

Les économistes bourgeois nous disent être partisans d’une liberté illimitée des individus et que la concurrence est justement la condition de cette liberté. Mais quelle est cette liberté ? Et d’abord une question fondamentale : est-ce le travail séparé, isolé, qui a produit et continue de produire toutes les merveilleuses richesses dont notre siècle tire sa gloire ? Nous savons bien que non. Le travail isolé des individus serait à peine capable de nourrir et vêtir un petit peuple de sauvages ; une grande nation ne devient riche et ne peut subsister qu’avec le travail collectif, solidairement organisé. Puisque le travail pour la production des richesses est collectif, il semblerait logique que le soit aussi la jouissance de ces richesses. Eh bien, voici ce que ne veut pas, ce que repousse absolument l’économie bourgeoise. Elle veut que cette jouissance soit isolée et réservée à quelques individus. Mais de quels individus ? De tous ? oh, non. Elle veut la jouissance pour les forts, les intelligents, les habiles, les heureux. Ah oui, surtout des heureux.

Après, la société bourgeoise dira à tous ceux-ci : luttez, disputez-vous, la récompense, le bien-être, la richesse, le pouvoir politique. Quelle égalité y a-t-il dans cette lutte fratricide ? Aucune, absolument aucune. Les exploiteurs, unis, en petit nombre, sont ferrés de pied en cap, forts de leur instruction et de leurs richesses héréditaires, alors qu’un million d’hommes du peuple se présentent quasi nus, seuls avec l’ignorance et la misère également héréditaires. Quel est le résultat fatal de cette concurrence soi-disant libre ? Le peuple succombe, la bourgeoisie triomphe : et le prolétariat enchaîné est forcé de travailler pour le bourgeois, son éternel vainqueur.

[…] L’ouvrier, il est vrai, a toujours le droit d’abandonner son patron : mais en a-t-il les moyens ? Et, s’il le fait, est-ce pour commencer une existence libre où il serait son propre patron ? Non, il se vendra à un autre patron ; il y sera fatalement poussé par cette même faim qui l’avait déjà vendu au précédent. Par conséquent, sa liberté, la liberté de l’ouvrier tellement vantée par les économistes, les juristes et les républicains bourgeois, n’est autre qu’une liberté théorique, sans aucune possibilité de réalisation : une liberté entièrement fictive, un mensonge. La vérité est que toute la vie de l’ouvrier ne montre qu’une désolante série de servitudes à terme – juridiquement volontaire mais économiquement forcée – une succession de servitudes momentanément interrompue par une liberté de faim par conséquent un véritable esclavage.