
La Révolte
Dimanche 30 mai 1886
LE HAVRE
Le Havre a bien changé ? – Pardon, – les ministres Locroy, Granet et leur suite ont bien mangé. Les travailleurs doivent être contents – bien qu’ils aient le ventre creux – pour eux pas de place au banquet à bord de la Champagne, qu’ils ont pourtant construite. Hélas ! Faut-il donc que la ruse, l’intrigue et l’ambition arrivent à jeter tant de poudre aux yeux de ceux qui, produisant tout, ne jouissent de rien !
Dans la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 courant, il y a eu, dans notre ville de réaction opportuniste par excellence, plusieurs affiches de placardées invitant les ouvriers sans travail – et il n’en manque pas ici malgré les affirmations des écrivassiers de la localité qui osent écrire dans leurs canards que la crise est finie – à se rendre le 21 courant, à huit heures du soir, sur la place de la Bourse – palais de l’agiot – afin de prendre des mesures énergiques en faveur des sans-travail.
Bien que la police eût enlevé ces affiches afin d’éviter une indigestion aux ministres, les meurt-de-faim ont répondu avec empressement à cet appel de meeting en plein air.
Quel contraste ? D’un côté ripaille à la suite de la réception des ministres ; de l’autre, misère et arrestations à la suite de ce meeting.
A la suite du meeting, il y a eu des meurt-de-faim qui sont allés devant des boulangeries pour avoir du pain ; il en est une qui a refusé d’en donner. Quelques travailleurs sont entrés par la force malgré la police, en lançant des pierres sur les agents et les gendarmes. Il y a eu plusieurs arrestations, entre autres celle d’un père de famille de quatre enfants. Que vont devenir les pauvres petits êtres à la suite de ces monstrueuses arrestations ? Les compagnons du Havre ont formé un comité de secours. Malheureusement nos ressources sont minimes.
Les arrestations continuent. Nous vous tiendrons au courant.