
L’élite de la Terre, elle ne mène pas, comme le croit le vulgaire, une existence somptueuse en des demeures princières.
Elle n’est pas la prétendue noblesse héréditaire dont les exploits sont relatés en d’historiques mémoires. Car l’élite réelle n’est pas, tels les barons et les marquis, les ducs et les rois et autres rastaquouères, le fumier de l’Histoire, mais bien au contraire le sel de la Terre.
Elle ne s’appelle pas non plus Rothschild ou Rockeffer, Shylock, Krupp ou Schneider. En son sein, on ne trouve point de milliardaires, ni même de millionnaires.
Ceux qui méritent qu’on les considère comme l’élite de la Terre, ce ne sont pas les hommes d’affaires qui, convoitant des profits usuraires, se tiennent à l’affût à l’ombre des guichets bancaires. Ce ne sont pas des actionnaires de compagnies minières ou d’entreprises pétrolifères. Parmi eux ne figurent point les accapareurs de propriétés foncières, qui pressurent des populations entières, non plus que les grippe-sous aux rêveries boursicotières.
Ce ne sont ni des munitionnaires, ni des fabricants de canons, d’obus ou de gaz délétères qui, pour s’enrichir par la mort de ceux qu’ils nomment leurs frères, poussent sans trêve les nations à la guerre. Leur esprit ne tient pas dans les limites d’un tiroir-caisse, ni n’évolue sur l’aire d’un comptoir mercantile. Jamais ils n’adoptèrent la devise qui dit que les affaires sont les affaires : ils n’ont ni un cœur de pierre ni une âme boutiquière.
Ce ne sont pas les prêtres qui, pour les cerveaux ne pensant guère, célèbrent un dieu imaginaire et spéculent sur le mystère afin de vendre des prières. Aux pauvres en esprit, ils ne promettent point le Paradis en les menaçant de l’Enfer. Ils ne font pas prendre pour argent comptant d’absurdes fables millénaires. Ils ne vantent pas aux autres le sacrifice et l’abstinence pour atteindre un chimérique au-delà, tout en se hâtant de se goberger et de forniquer sur terre. Ils n’organisent point la résignation et la misère au profit des propriétaires. Ce ne sont pas des stipendiaires.
Non plus ce ne sont des politiciens qui savent y faire, vendeurs de votes aux enchères. On ne connaît nul d’entre eux qui légifère pour le compte des propriétaires.
Ce ne sont pas des magistrats violant journellement la justice selon les formes judiciaires. Des capitalistes, ils ne défendent pas le vol séculaire. Ils ne peuplent point les geôles avec les victimes des propriétaires.
Ce ne sont pas des folliculaires distillant le sophisme et propageant les nouvelles mensongères, ni des pitres littéraires ayant acquis la maîtrise de l’art d’écrire pour ne rien dire, bourrant le crâne du populaire avec le roman chez la portière, afin que s’éternise le règne des propriétaires. Ce ne sont pas des mercenaires tenus en lisière et pourvus d’une muselière.
Ce ne sont pas des brutes militaires à galons, plumets et chamarrures, qui contraignent de pauvres hères à des besognes meurtrières et leur font faire la guerre au bénéfice des propriétaires. Ils n’ont pas l’âme carnassière. Ils sont victimes parfois, mais jamais victimaires.
On ne les trouve point au nombre de ces hommes qui sont les maîtres sans pitié d’êtres plus faibles qu’eux et de la vie desquels ils font un calvaire en les forçant à subir leurs fantaisies cruelles jusqu’au fond de la chair.
Ce ne sont pas non plus de ces vils prolétaires que broie le système propriétaire et qui aspirent à en être un jour les âpres bénéficiaires.
Non, telle n’est pas l’élite de la Terre.
Les meilleurs de la Terre, ils ont la conscience claire et l’esprit tourné vers la lumière. Qu’ils aient en eux l’orgueil de Lucifer ou l’humilité de l’Ephémère, ils aiment la justice et ils aiment l’amour. Ces fils de Prométhée, ce sont des libertaires. La justice est dans les actes de leur vie exemplaire, comme en leur verbe révolutionnaire. L’amour élit sa demeure en leur cœur tumultuaire. Citoyens du monde, humanitaires, ils méprisent les frontières et abattent les barrières qui s’opposent au rêve fraternitaire.
Arrière donc, ô vous, oppresseurs et parasites, qui êtes la racaille de la Terre ; laissez passer les travailleurs et les scientistes, les artistes et les penseurs, les esprits forts et les cœurs doux et tous ceux qui produisent dans la joie oeuvrière. Vous n’êtes points leurs pairs. Laissez passer, dans son éclat solaire, l’élite de la Terre.