La machine à décerveler

Que les Eglises soient le foyer ou le carburateur d’où s’élance la première impulsion d’une machine à décerveler, cela paraît une évidence. André Malraux nous avait prévenus : le XXIè siècle sera un siècle religieux. En d’autres termes, que ne contrediraient ni Voltaire, ni Diderot, ni Helvétius, ni Bakounine, ni Hugo, ce sera un siècle de guerres de religions. En effet, il n’y a jamais eu dans l’Histoire d’époque profondément religieuse qui n’ait été entachée de violences et d’atrocités. Il n’y a aucune raison pour qu’il en aille différemment à l’avenir. Il suffit de voir ce qu’il s’est passé récemment avec le califat de Raqqa, les attentats entre musulmans en Irak et en Iran, la guerre entre le Hamas et les Juifs en Palestine, entre les Chrétiens et les musulmans au Haut-Karabakh… et il n’y a pas si longtemps au Liban entre toutes les confessions ainsi qu’en Irlande du Nord entre Chrétiens (catholiques/protestants).

Où est la machine à décerveler qui agite ainsi les hommes et les rend querelleurs et parfois fratricides ? Elle est partout. Elle est si vaste que nul ne peut l’embrasser d’un seul coup d’œil ; on n’en distingue jamais, de la place qu’on occupe, qu’un piston, une bielle ou un rouage. C’est une machine qui fonctionne de manière négative, pour une production voulue et systématisée, comme si elle fabriquait de la non-matière intellectuelle.

Les Eglises s’alimentent toujours avec le même combustible ou le même carburant immatériel mais onéreux : Dieu. Qu’il s’appelle Dieu à Rome, Allah à la Mecque, Yahvé à Jérusalem ou de quelque autre nom en quelque autre lieu, aucune importance ; son existence étant affirmée avec effronterie bien qu’elle soit improbable, c’est ce sempiternel toupet qui donne à la machine son élan.

Les rouages religieux de la machine sont chez nous parfaitement huilés même si la religion catholique perd de sa superbe en France.

Dans le monde entier, l’actualité fait ressortir comment le pouvoir religieux, c’est-à-dire clérical, est en train de monter à l’assaut des institutions civiles (Israël, Afghanistan…), quand d’aventure, comme à Téhéran, il ne détient pas déjà les rênes de l’autorité.

Mais, dans ce contexte de ce sujet brûlant, il sied de mettre aussi en lumière d’autres pièces de la diabolique …pardon ! de la divine machine à décerveler. En dehors de la religion, qui est une superstition officialisée, il y a des superstitions adventices, marginales, officieuses, qui jouent le même rôle sous des pavillons schismatiques, ou hérétiques, ou païens ; les sectes sont le vecteur de ces doctrines décerveleuses, au nom d’un spiritualisme qui ne se réfère qu’à des chimères, qui tourne à vide et qui moud du néant : ce qui est bien le résultat attendu de la machine. Ces sectes sont ignorées ou condamnées par les Eglises, qui feignent d’en combattre la concurrence ; finalement, celles-ci et celles-là contribuent à la même opération globale, qui est de miner la disponibilité critique par l’endoctrinement et la foi. Des gens qui se sont indignés du lavage de cerveau pratiqué par les marxistes (et ils eurent raison de le faire) participent à ce bourrage de crâne qui n’a rien à lui envier, et pour lequel, Eglises et sectes quémandent votre concours et vos deniers !

Si l’Union soviétique, avec sa dictature matérialiste scientifiquement organisée, a longtemps perverti les classes exploitées par l’illusion d’un faux socialisme, en réalité Etat militaire et policier, aujourd’hui, les Etats-Unis et quelques pays européens dans leur mouvance politico-financière, ne sont pas en reste, qui, par le truchement de la télévision commerciale, abreuvent et abêtissent les peuples d’Occident avec des productions (et des coproductions) filmées qui atteignent le zénith de la bêtise. Ce ne sont que « phénomènes étranges », « faits troublants », maisons hantées, occultisme cauchemardeux, onirisme hallucinatoire, pouvoirs et facultés extraordinaires, sorcellerie, parapsychologie, vampirismes, incubes et succubes, apparitions sataniques, exorcismes et envoûtement…, tout ce qui insinue dans les têtes à décerveler la crainte de l’au-delà, la présence du surnaturel, l’illusion concrète de l’irréalité.

N’insistons pas sur la complicité objective des journaux qui publient un horoscope quotidien, accréditant ainsi les mystifications de l’astrologie, comme si des astres situés à cent millions d’années-lumière et peut-être éteints aujourd’hui pouvaient avoir une influence quelconque sur nos destinées.

On nous demande parfois en quoi consiste notre politique. Un anarchiste peut répondre à cette question. Notre politique- ou, si l’on préfère, notre attitude face au problème que nous venons d’évoquer – consiste à n’apporter pas même un atome de combustible ou de carburant à la machine à décerveler ; elle consiste à refuser toute allégeance à ce qui n’est pas évidence et certitude tout en gardant une pleine conscience de notre imperfection et de notre faillibilité en accordant à la fiction sa place légitime ; à n’accepter l’hypothétique et le conjoncturel que sous réserve d’expérience et sous bénéfice d’inventaire, et surtout à fuir ces Opus Dei ou ces saintes Harmandad des modernes conjurations. Bref à faire en sorte que la machine fonctionne sans nous, aussi longtemps que les peuples ne sauront pas s’en libérer.

PVB