Nous nous référons souvent aux rapports annuels de l’Institut SIPRI. Le SIPRI est un institut indépendant basé à Stockholm qui collecte les données du monde entier. Pas de surprise, l’année 2023 a vu les dépenses d’armement exploser vers de nouveaux records. L’année passée a enregistré la plus forte augmentation des dépenses militaires dans le monde depuis plus d’une décennie. Ce qui est nouveau, c’est que l’on retrouve cette augmentation sur tous les continents. Les dépenses concernent donc les cinq continents, et pas seulement les pays en guerre. On sent poindre un avant-goût de réarmement avant la guerre… En mai 1989, notre journal « le libertaire » titrait : « Quelle Europe pour demain ? Civile ou militaire ? ». Nous avons la réponse aujourd’hui. Et nous constatons de même, des tensions internationales, ce qui active les dépenses d’armement un peu partout dans le monde même dans les pays où la pauvreté menace. Au total, les États ont dépensé 2 300 milliards d’euros, soit 6% d’augmentation par rapport à 2022, la plus forte croissance enregistrée par le SIPRI. Et si Gaza et la guerre en Ukraine dominent l’actualité, l’institut suédois a dénombré 56 conflits dans le monde. On est loin de la grande ronde fraternelle des Nations. Nous sommes dans un gaspillage éhonté. Bien sûr, les Etats-Unis, dans l’après deuxième guerre mondiale, dépensaient beaucoup d’argent car c’était l’époque de la guerre de Corée, le rideau de fer s’était abattu sur l’Europe, et chacun se préparait à une guerre…que l’on appellera la guerre froide. On y va, on n’y va pas ?
La France qui savait que la Guerre d’Indochine était perdue continuait cependant à voter les crédits militaires…pour rien. Les Etats-Unis ont dépensé des sommes folles pour la guerre au Vietnam, la France dépensa de même des sommes astronomiques pour la guerre d’Algérie qui prit fin en 1962.
En 2023, les États-Unis ont consacré 3,9% de leur PIB à leur défense, c’est le budget le plus élevé en valeur absolue vue leur richesse nationale ; mais c’est moins, en pourcentage, que la Chine, et surtout que la Russie qui est à près de 6%. Que ne pourrait-on faire dans les domaines de l’Education, la santé et la lutte contre le réchauffement climatique, par exemple, avec de tels budgets ?
Certains pays, convaincus que la guerre se rapproche d’eux, comme la Pologne, augmentent drastiquement leurs dépenses d’armement. Le Japon, quant à lui, double ses dépenses de défense.
La France augmente aussi ses dépenses pour arriver aux 2% fixés comme cible par l’OTAN.
Ces chiffres si effrayants soient-ils pour les pacifistes que nous sommes n’indiquent pas cependant le grand bond en avant de la technologie militaire. Nous sommes dorénavant dans l’ère du dôme de fer, des missiles et des drones, l’espace devient un enjeu guerrier, les conflits se jouent aussi dans le domaine cyber…Sans compter l’irruption de l’intelligence artificielle dans les systèmes d’armes (avec les dégâts que l’on connaît à Gaza) et les recherches sur « l’homme augmenté ».
Il manque 100 milliards d’euros pour aider les pays du Sud à financer leur adaptation au changement climatique (cf. la dernière COP)… Il manque de l’argent pour les services publics dans tous les pays. On manque d’eau et parfois de tout… mais avec l’esprit guerrier le monde est entré dans un nouveau cycle de dérèglement brutal. Ce sont les peuples qui feront les frais d’une éventuelle guerre, nucléaire ou traditionnelle. Avec des conséquences dont on n’a pas idée.
Après avoir pollué les champs de guerre (Ukraine, Gaza, Ethiopie…), les armées envisagent leur transition énergétique pour tenir compte du réchauffement climatique ? On pourrait penser à une vaste blague mais non. Enfin en théorie car il y a loin de la coupe aux lèvres.
C’est un sujet peu étudié que celui de la prise en compte des enjeux environnementaux et climatiques par le secteur de la défense. Mais gageons que les militaires vont essayer de se donner une bonne conscience écologique. Tout comme certains pays ne vendent des armes que si elles sont bien utilisées…
La France a testé pour la première fois sa bombe atomique en Algérie en 1960 et au cours des années 1960 en Polynésie française, plus particulièrement sur l’atoll de Mururoa. Les essais nucléaires ont été alors très critiqués, ce fut une première critique de l’impact écologique de la prolifération nucléaire et en particulier des essais. Et puis, nous avons participé au mouvement historique du Larzac qui rassembla des militants anarchistes, écologistes et pacifistes qui protestèrent contre l’extension du camp militaire. Des agriculteurs se sont de même positionnés comme défenseurs de la ruralité et se sont donc alliés aux autres protestataires. Des manifestations monstres ont abouti à l’abandon du projet de camp militaire en 1980. Ce fut un conflit gagné par des mobilisations conséquentes.
Aux Etats-Unis, la guerre du Vietnam a représenté une prise de conscience de la guerre destructrice de l’environnement.
La guerre a toujours détruit l’environnement mais le choc moral et juridique des effets environnementaux des guerres date du Vietnam avec l’utilisation du napalm et de l’agent orange pour détruire la jungle. La France a aussi utilisé du napalm dans les Aurès pendant la guerre d’Algérie.
Pour nous autres anarchistes, il n’existe que des guerres sales et ce dans tous les sens du terme. Une guerre propre n’existe pas. Une guerre ne sera, non plus, jamais écologique.
Certains naïfs se posent la question de savoir si la conception des armes est contrôlée d’un point de vue environnemental ? Adrien Estève (1) explique « Aujourd’hui, il se passe, ce qu’il s’est toujours passé : les industriels ont toujours eu des exemptions pour les activités de défense au nom de la sécurité nationale. Cela avait été assoupli à la fin de la guerre froide, où ils ont été obligés de se conformer à certaines réglementations, notamment européennes surtout, notamment sur l’usage de certaines substances dangereuses. Et aujourd’hui, je serai curieux de savoir ce qu’il en est. »
Pour nous autres libertaires, l’armée est un danger permanent. En fait les militaristes purs et durs sont une minorité (mais agissante) face au marais des timorés qui voudraient contourner l’obstacle au lieu de l’affronter. L’indifférence et la résignation sont aussi nuisibles à notre lutte antimilitariste que les propos des « va-t-en-guerre ». Le combat contre le S.N.U. est donc important pour sensibiliser la population et notamment les jeunes aux dangers de la militarisation de la société.
La guerre, c’est la victoire de l’internationale des gouvernements face à la mésentente des peuples.
Ty Wi (GLJD)
Adrien Estève est maitre de conférences, spécialiste des relations internationales à Sciences Po Strasbourg et il est l’auteur de « Guerre et écologie » et « Géopolitique de l’environnement » aux Puf .