
Bienvenue dans le passé car nous sommes revenus au XIXème siècle sur le plan de la transmission des patrimoines et des fortunes aujourd’hui. Cela a bien entendu des incidences sur la montée de l’extrême-droite car si l’ascenseur social est en panne et que l’héritage est prédominant dans la constitution du patrimoine, les classes ouvrières et la classe moyenne qui n’ont que leur travail pour accéder à la propriété se sentent lésées voire déclassées.
Beaumarchais dans le Mariage de Figaro le disait déjà : « Vous vous êtes donnés la peine de naître et rien de plus ». Et bien de nos jours, c’est toujours pareil : l’ordre social se transmet et se consolide par l’héritage. Vous avez beau travailler dur, faire des heures, nada, vous n’arriverez jamais à atteindre une position patrimoniale élevée. Bien entendu, on nous servira toujours le fameux self made man, mais la mécanique de l’héritage est bien huilée et ne profite qu’aux individus issus de familles riches. Aujourd’hui, la fortune héritée représente 60% du patrimoine national. On est passé de 35% en 1975 à 60% en 2024. Le fossé s’accroît. Les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres.
Alors, quand le gouvernement Bayrou cherche des sources de financement pour combler la dette et boucler ses budgets, plutôt que de s’en prendre aux retraités et aux actifs, qu’il aille taper au porte-monnaie de ceux et celles qui possèdent des milliards de patrimoine. Ce ne serait que justice.
Dans les quinze prochaines années, ce sont 677 milliards par an qui seront versés par de riches Français à leurs enfants. Voilà de quoi combler les déficits. Gageons que le gouvernement ne touchera pas à cette manne car ce serait s’attaquer aux privilèges de sa caste.
Tandis que les revenus du travail stagnent ou s’érodent, que le chômage est toujours présent, la Bourse et l’immobilier de luxe se portent bien. Sans rien faire, c’est là toute la magie du système. L’optimisation fiscale et les tambouilles permettent de transmettre de l’argent, notamment par des exemptions multiples, à ses héritiers. Liberté, égalité, fraternité, devis que l’on trouve sur les frontons de nos mairies relève du mythe et de la fiction.
Non seulement les riches polluent la planète mais de surcroît leurs placements boursiers et financiers n’alimentent quasiment plus l’investissement donc le dynamisme économique, ce qui pénalise les travailleurs qui n’ont que leur travail pour vivre.
Les jeunes, partout en Europe, ont du mal à se loger et ils se paupérisent. La pauvreté touche maintenant les petits retraités et la jeunesse. Dix pour cent des jeunes de 20 à 29 ans vivent sous le seuil de pauvreté en France.
C’est un bilan qui en dit long sur l’état de notre société inégalitaire. Le temps passe mais les richesses restent dans les mêmes mains.
Nous tenons à évoquer ce que disait Bakounine du droit d’héritage au mitan du XIXème siècle :
« L’égalité et la justice réclament uniquement : une organisation de la société telle que tout individu humain naissant à la vie y trouve, en tant que cela dépendra non de la nature mais de la société, des moyens égaux pour le développement de son enfance et de son adolescence jusqu’à l’âge de sa virilité, pour son éducation et pour son instruction d’abord, et plus tard pour l’exercice des forces différentes que la nature aura mises en chacun pour le travail. Cette égalité de point de départ, que la justice réclame pour chacun, sera impossible tant qu’existera le droit de succession.
La justice, autant que la dignité humaine exigent que chacun soit uniquement le fils de ses oeuvres. Nous repoussons avec indignation le dogme du péché, de la honte et de la responsabilité héréditaires. Par la même conséquence nous devons rejeter l’hérédité fictive de la vertu, des honneurs et des droits ; celle de la fortune aussi. L’héritier d’une fortune quelconque n’est plus entièrement le fils de ses oeuvres et, sous le rapport du point de départ, il est privilégié.
Abolition du droit d’héritage. Tant que ce droit existera la différence héréditaire des classes, des positions, des fortunes, l’inégalité sociale en un mot et le privilège subsisteront sinon en droit, du moins en fait. Mais l’inégalité de fait, par une loi inhérente à la société, produit toujours l’inégalité des droits : l’inégalité sociale devient nécessairement inégalité politique. Et sans égalité politique, avons-nous dit, point de liberté dans le sens universel, humain, vraiment démocratique de ce mot ; la société restera toujours divisée en deux parts inégales, dont l’une immense, comprenant toute la masse populaire, sera opprimée et exploitée par l’autre. Donc le droit de succession est contraire au triomphe de la liberté, et si la société veut devenir libre, elle doit l’abolir.
Elle doit l’abolir parce que, reposant sur une fiction, ce droit est contraire au principe même de la liberté. Tous les droits individuels, politiques et sociaux, sont attachés à l’individu réel et vivant. Une fois mort il n’y a plus ni volonté fictive d’un individu qui n’est plus et qui, au nom de la mort, opprime les vivants. Si l’individu mort tient à l’exécution de sa volonté, qu’il vienne l’exécuter lui-même s’il le peut, mais il n’a pas le droit d’exiger que la société mettent toute sa puissance et son droit au service de sa non-existence.
Le but légitime et sérieux du droit de succession a été toujours d’assurer aux générations à venir les moyens de se développer et de devenir des hommes. Par conséquent, seul le fonds d’éducation et d’instruction publique aura le droit d’hériter avec l’obligation de pourvoir également à l’entretien, à l’éducation et à l’instruction de tous les enfants depuis leur naissance jusqu’à l’âge de la majorité et de leur émancipation complète. De cette manière tous les parents seront également rassurés sur le sort de leurs enfants, et comme l’égalité de tous est une condition fondamentale de la moralité de chacun, et que tout privilège est une source d’immoralité, tous les parents dont l’amour pour leurs enfants est raisonnable et aspire non à leur vanité mais à leur humaine dignité, s’ils avaient même la possibilité de leur laisser un héritage qui les placerait dans une position privilégiée, préférant pour eux le régime de la plus complète égalité.
L’inégalité résultant du droit de succession une fois abolie, restera toujours, quoique considérablement amoindrie, celle qui résultera de la différence des capacités, des forces et de l’énergie productive des individus, différence qui, à son tour, sans jamais disparaître entièrement, s’amoindrira toujours de plus en plus sous l’influence d’une éducation et qui d’ailleurs, une fois le droit de succession aboli, ne pèsera jamais sur les générations à venir. »
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Mikhaïl Bakounine (1865)