Plusieurs personnes nous ont contactés en indiquant qu’on trouvait peu de traces de l’implication des anarchistes dans la défense de Jules Durand. Nous publierons de temps à autre des textes relatifs à l’engagement des syndicalistes anarchistes pour tirer Durand des griffes de la justice. En réalité, dans de très nombreuses Bourses du Travail où la présence des libertaires est palpable, ces derniers n’ont pas ménagé leur peine pour mobiliser les ouvriers et populariser l’Affaire Durand.
La Bourse du Travail de Brest et Jules Durand
(Extrait d’un rapport du Commissaire spécial de Brest en date du 18 décembre 1910)
« Le meeting organisé par la bourse du travail pour protester contre la condamnation à mort de Durand, secrétaire des charbonniers du Havre, a eu lieu ce matin, salle du treillis vert, sous la présidence de l’anarchiste Roullier, secrétaire général de la Bourse, assisté des sieurs Kerdoncuff, ouvrier à l’arsenal, et Simon du syndicat du bâtiment. Environ 400 personnes y assistaient.
Après quelques mots de Roullier et de l’anarchiste Pengam, l’anarchiste Jules Le Gall prend la parole. Il dit que tous les moyens sont bons pour arracher Durand, non point à la mort, car il est certain qu’on ne l’enverra pas à l’échafaud, mais au bagne. « Il faut, s’écrie-t-il, se mettre à la place de ce malheureux et faire ce que nous voudrions qu’on fit pour nous-mêmes. L’effort sera long, mais s’il est soutenu, nous serons sûrs de la victoire. Le cas de Durand peut déchaîner l’orage et le jour est peut-être proche, où le prolétariat vainqueur verra enfin le mieux être, dans une société où il n’y aura plus ni autorité, ni propriété. En quoi, nos aînés de 1789 ne nous ont-ils pas donné l’exemple, quand il a fallu se libérer des entraves de la noblesse et du clergé.
Parlant de l’inculpation de « complicité morale », qui a servi de base à l’accusation, Le Gall estime que, seules la classe bourgeoise et sa presse, qui soutiennent des jaunes, sont responsables moralement du meurtre de Dongé.
Le révolutionnaire Martin vient dire qu’un seul est responsable de la mort de Dongé, c’est M. Briand, président du conseil.
Le sieur Vibert, secrétaire du syndicat du port, ne s’explique pas que le meurtre banal de Dongé, survenu au cours d’une rixe d’ivrognes, ait fait autant de bruit, d’autant plus que cet ouvrier qui avait abandonné sa femme et ses enfants était loin d’être recommandable. Mais il fallait dit-il enrayer le mouvement syndical et, lui attribuer ce crime, c’était le paralyser. En condamnant Durand, on désagrégeait sa corporation, on portait atteinte à la bourse du travail.
Vibert engage à faire de l’agitation jusqu’à ce que Durand et les six autres syndicalistes soient rendus à la liberté.
Le sieur Masson, Commis des postes et conseiller général, termine la série des discours.
Au nom du parti socialiste unifié, il s’élève avec force contre « l’abominable verdict de Rouen » et prie tous les travailleurs de se tenir prêt à manifester leur indignation au cas où Durand ne serait pas remis en liberté.
L’anarchiste Roullier donne rendez-vous pour mardi soir, à la bourse du travail, à tous les militants, à l’effet d’élire un comité d’action chargé d’étudier les moyens à employer pour propager l’agitation et envisager notamment la question de la grève générale, si la révision du procès n’est pas consentie.
Il donne lecture de l’ordre du jour par lequel les assistants convaincus de l’innocence de Durand, protestent contre le verdict de la Cour d’assises et réclament la révision du procès ; protestent également par esprit de solidarité, contre la condamnation à mort, pour un soi-disant complot contre le Mikado, des 26 militants anarchistes et socialistes japonais.
La sortie s’est effectuée sans incident. »