Le Havre: anarcho-syndicalisme

Jace

L’anarcho-syndicalisme aujourd’hui

Le regard porté aujourd’hui sur l’anarcho-syndicalisme a considérablement changé depuis l’effondrement des régimes dits communistes notamment l’URSS et les pays de l’Est. Le crédit de ces derniers a largement été entamé par les révélations faites sur les crimes de masse orchestrés par le régime stalinien ainsi que la surveillance totalitaire de la population soumis au joug du petit père des peuples, crédit politique dont a bénéficié jusqu’à il y a peu de temps encore le point de vue des historiens et propagandistes du mouvement communiste français et international. Ce point de vue était majoritaire et relayé par une partie aussi des intellectuels ayant pignon sur rue. Bien des historiens ont encore du mal à se débarrasser de leurs préjugés y compris politiques du fait de leur appartenance et de leurs croyances.

Nous constatons depuis quelques années au Havre que plusieurs délégués syndicaux de la CGT se réclament de l’anarcho-syndicalisme ce qui pourrait être de bon augure si l’anarcho-syndicalisme n’était pas dénaturé. Un anarcho-syndicaliste ne peut par exemple appeler à voter pour des députés puisque l’anarcho-syndicalisme est contre le parlementarisme par exemple. L’appel à voter pour un député est une ligne rouge largement dépassée. Le terme anarcho-syndicalisme est porteur et vecteur d’optimisme à condition de ne pas usurper le terme et le contenu même de l’anarcho-syndicalisme. Un petit rappel historique s’impose donc.

Au-delà des joutes byzantines entre anarchistes et communistes autoritaires, les militants ouvriers ont eu à choisir entre deux orientations différentes de l’émancipation ouvrière à l’époque de la Première Internationale.

Le point d’achoppement entre marxistes et anarchistes est essentiellement celui de la conquête du pouvoir politique. Alors que les marxistes considèrent la conquête du pouvoir politique comme le premier devoir de la classe ouvrière, les anarchistes acquis au fédéralisme de Proudhon et au programme de Bakounine prônent l’abolition complète des classes et l’égalité économique et sociale des individus des deux sexes. Pour aboutir à ce but, ils veulent l’abolition de la propriété individuelle et du droit d’héritage, et surtout que les Etats politiques et autoritaires en place se réduisent à de simples fonctions administratives des services publics dans leurs pays respectifs, et que soit établie l’union universelle de libres associations, tant agricoles qu’industrielles. C’est en gros le programme de l’Alliance de la démocratie socialiste édicté par Bakounine. L’Alliance se déclare athée ; elle veut l’abolition des cultes, la substitution de la science à la foi et de la justice humaine à la justice divine.

Ces unions sont les ancêtres des syndicats. Pour davantage de précisions, dans le livre « L’Internationale » de James Guillaume, celui-ci précise la pensée des partisans de la Jurassienne : «  Le doute n’est plus permis aujourd’hui. La liberté sans l’égalité politique et cette dernière sans l’égalité économique, n’est qu’un leurre…L’égalité réelle, qui consiste en ce que tous les individus soient en possession de tous leurs droits…ne peut être obtenue que par la révolution sociale ».

Les anarchistes ressentaient une profonde aversion des partis politiques et voyaient en eux un tremplin pour ambitieux. Tant qu’à la conquête de l’Etat par les ouvriers, cette dernière était vaine car l’Etat, organisme vivant, ne visait qu’à se renforcer. Par conséquent les joutes politiques permettaient d’intégrer au système parlementaire ceux qui recouraient à ce jeu sans changer pour autant l’ordre des choses.

Le syndicalisme offrit alors aux libertaires un horizon et se fixa comme objectif la socialisation révolutionnaire de l’économie et l’émancipation de la classe ouvrière par elle-même (cf la Charte d’Amiens). Il adopta l’action directe comme arme de combat. On est loin des appels à voter pour tartempion fut-il considéré comme un député votant des lois favorables aux ouvriers. D’autant que les anarcho-syndicalistes ont toujours dit que la plupart du temps une « loi en faveur des travailleurs » n’est que l’aboutissement d’un rapport de force.

L’anarcho-syndicalisme ne peut donc être une succursale d’une machine électorale. Il ne suffit pas de se réclamer de l’indépendance syndicale pour être anarcho-syndicaliste. C’est nécessaire mais non suffisant.