Jules Durand

Port LH

LA MORT DU PERE DE LA VICTIME

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            Un très douloureux événement rappelle aujourd’hui, avec une brutalité terrible, à l’opinion publique et au gouvernement, et à la justice de ce pays, qu’il y a une affaire Durand, comme il y a eu une affaire Dreyfus.       .

            Il y a près de trois ans qu’un homme, un jeune ouvrier du Havre, plein d’activité et d’intelligence, plein de généreux dévouement pour ses camarades de travail, a été condamné à la peine de mort pour un crime qu’il n’avait pas commis.

Au lendemain de cette abominable sentence, avec l’autorité que m’ont généreusement prêtée plus de cent cinquante de mes collègues de la Chambre, passionnément fidèle aux traditions de justice et de bonté fraternelle qui fait toute la force et tout le crédit de mon parti auprès du peuple, j’ai été amené à prendre en mains la cause de Jules Durand.

J’ai sollicité d’abord sa grâce, ensuite la révision de son procès.

Je passe, bien entendu, sur tous les efforts que j’ai tentés, avec d’autres pour arriver à la manifestation éclatante de l’innocence de Jules Durand, pour obtenir la réparation complète de la scandaleuse erreur de justice dont il est, avec les siens, la victime.

Jules Durand a laissé sa raison dans cet effroyable drame ; et parce que cet homme est perdu, et parce que sa conscience est morte, il nous a été jusqu’ici impossible d’obtenir la réhabilitation solennelle et complète que la société lui doit.

Il y a quelques semaines, c’était avant notre congé de Pâques, j’ai dit à la Chambre, à M. le garde des sceaux, qu’il fallait se hâter, que le pauvre père de Durand, si l’on tardait davantage, allait peut-être mourir de chagrin et de misère. Le malheur que je pressentais est arrivé. L’erreur de la justice a déjà fait deux victimes.

Le fils va mourir dans une maison de fous.

Le père est mort hier à l’hôpital.

  1. Descherdeer, qui fut au Havre le dévoué président du Comité de défense de Durand, me télégraphie la triste nouvelle

« Les dernières pensées du pauvre homme étaient, m’écrit-il, pour son fils et pour vous.

« Il y aura dimanche, au Havre, une imposante manifestation derrière le cercueil du père de Durand

« Pouvons-nous compter sur votre présence ?

Je réponds à M. Descheerder que je serai présent dimanche au Havre pour saluer, avec toute la population ouvrière de la grande cité, le brave homme qui vient de succomber avant le jour de la suprême réparation.

Je ferai mon devoir jusqu’au bout. Mais, comme tous mes amis du Havre, je suis las d’attendre et de lutter, il faut qu’on en finisse demain.

PAUL MEUNIERDéputé.

Journal Le Radical du samedi 24 Mai 1913