Imposture écologique?

Selon les sources, entre 48 000 et 100 000 personnes meurent chaque année en France à cause de la pollution de l’air. Sécheresses, incendies, inondations, tempêtes violentes, rétractations de terrain, océans pollués, courants marins contrariés, biodiversité en berne…sont des éléments tangibles et incontestables du dérèglement climatique.

La difficulté pour les anarchistes est de concilier à la fois la lutte contre ce dérèglement et la critique des acteurs capitalistes qui à la fois nous ont conduits à la situation que nous connaissons et leur capacité à rebondir dans le capitalisme vert où tous les éléments du greenwashing apparaissent tous les jours dans la bouche des économistes et des politiciens.

La transition écologique envisagée par Macron nous accompagne dans un changement de façade. Le système capitaliste a une capacité à rebondir, à se repositionner, à s’adapter…C’est sa marque de fabrique, celle qui consiste, une fois à bout de souffle, à continuer à engranger les profits car c’est sa raison d’être : gagner le maximum d’argent et garder le pouvoir. Mais comme les capitalistes de l’énergie, du moins la plupart, ne veulent pas tuer la poule aux œufs d’or, ils investissent dans le photovoltaïque, l’éolien…histoire de ne pas rater le coche des profits à venir tout en se donnant une image verte. Les industriels du charbon ont réinvesti dans d’autres énergies fossiles (pétrole, gaz) quand ils ont constaté que le charbon périclitait et n’était plus aussi rentable. Les grandes grèves des mineurs d’après-guerre en France ont accompagné leur chant du cygne. Idem pour les Anglais sous l’ère Tatcher.

Donc, oui, les patrons réinvestissent à chaque cycle de changement dans le rentable car ils anticipent les marchés, quitte à les aiguiller. En clair, la décarbonation, la lutte contre le réchauffement climatique…sont en train de devenir le leitmotiv du patronat qui va user jusqu’à la corde ses possibilités de profits actuels dans les énergies fossiles tout en investissant dans des énergies renouvelables qui supplanteront celles qui produisent trop d’émissions de CO2…Si nous savons que pour fabriquer des voitures électriques, des équipements photovoltaïques, éoliens…il faut utiliser beaucoup d’énergie et de matière, de l’extractivisme pour ne serait-ce que les batteries, que faire à notre niveau? Il faut des dizaines de milliards de tonnes de matériaux silicatés pour les panneaux solaires, les ordinateurs, les portables…Merci les Chinois qui produisent quasiment les trois-quarts de silicium métal dans le monde. Le capitalisme mondial a besoin d’une croissance constante pour s’assurer de juteux profits, son appétit est insatiable, c’est le tonneau des Danaïdes. Le gouvernement français de même ne jure que par la croissance, tout en affirmant une écologie à la française.

La planification écologique du gouvernement Macron s’insère dans le cadre d’engagements internationaux en matière d’environnement. Il va falloir rattraper le retard et réduire de manière drastique les émissions de gaz à effet de serre. Macron reconnaît un triple défi, « celui du dérèglement climatique et ses conséquences, celui d’un effondrement de notre biodiversité et celui (…) de la rareté de nos ressources ». Il affiche aussi la volonté de concilier souveraineté, compétitivité et justice sociale. Tout un programme qui n’a pas été mis cependant en application lors du précédent quinquennat.

Concernant la justice sociale, en macronie, c’est pipeauland. Il ne suffit pas de dire qu’il faut accompagner les plus modestes pour que cela se fasse par enchantement. C’est sur ce type de propos que l’on voit la déconnexion des élites libérales et technocratiques avec ce qu’il se passe dans la réalité des gens, des gens vrais pas des fichiers Excell.

Si l’on prend les vignettes Crit’ Air et l’interdiction faite aux véhicules les plus polluants (4 et 5) de ne plus pénétrer en centre-ville des villes qui ont instauré une ZFE, nous allons aboutir à deux conséquences pour les milieux populaires. La première, c’est que l’interdiction de rouler dans ces zones empêchera certaines personnes de travailler en ville ou accroîtra leur temps de trajet maison-travail, ce qui ne relève pas d’une amélioration des conditions de travail. La seconde, c’est la forte probabilité de chasser des villes les plus démunis, ce qui accélèrera la gentrification de certains quartiers. Voilà deux conséquences non prises en compte par les pouvoirs publics et qui pénaliseront le prolo moyen. Ce qui peut paraître progressiste est dans les faits une mesure discriminatoire envers ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter une voiture neuve comptant ou en leasing. Et ce n’est pas la perspective de pouvoir acheter des voitures électriques à 100 euros par mois annoncé par le chef de l’Etat qui changera globalement ce que nous dénonçons. Ces voitures proposées le seront au compte-gouttes et la fin du thermique s’éloigne de plus en plus.

En ce qui concerne, les PAC (Pompes à chaleur air-eau), il en va de même. C’est cette méconnaissance des travailleurs et leurs moyens financiers, qui nous sidèrent. A moins que le gouvernement ment et nous gave de mots creux pour des maux bien réels, ceux du dérèglement climatique.

Si les PAC ont le vent en poupe, c’est qu’elles permettent de chauffer l’eau en puisant les calories de l’air extérieur, ce qui en fait un mode de chauffage « écologique ». L’Etat subventionne les PAC sous conditions : revenus, travaux de rénovations complémentaires, artisan agréé pour la pose…Mais pour qui connaît les ressources financières des Français, ce ne sont pas les plus modestes qui ont déjà bien du mal à remplir leur frigo et payer leurs factures, qui vont bénéficier de ces aides. Ceux et celles qui ont des difficultés financières ont d’autres priorités. Le plan d’aide en l’état actuel des choses, c’est de l’esbroufe quant au public visé.

Et ces PAC tant vantées par Macron ne sont pas exemptes de problèmes. Par temps froid, son efficacité diminue et sa consommation électrique augmente. On a vu certaines personnes l’hiver dernier, être moins bien chauffées avec leur PAC neuve qu’avec leur ancienne chaudière à gaz. Quand on est obligé de prendre en complément un radiateur électrique pour se chauffer, on peut se demander si ça vaut vraiment le coup. A moins que le but soit de consommer davantage d’électricité ce qui validerait les tenants du nucléaire. Donc la performance d’une PAC est liée au climat ce dont Macron ne nous parle pas.

D’autre part les nuisances sonores ne sont pas à négliger quand on veut éviter des conflits de voisinage.

La PAC n’a donc pas que des avantages, surtout que celle-ci ne peut être efficace que si le logement est bien isolé, ce qui engendre d’autres coûts supplémentaires. Et au final, en achetant une PAC, c’est un surcoût atteignant jusqu’à 7000 euros par rapport à une chaudière au gaz selon Que Choisir d’octobre 2023.

Et nous pourrions enfoncer le clou sur la dépendance de la France pour tous les ingrédients nécessaires à la fabrication des batteries et tout ce qui concerne la transition écologique. Nous avons déjà abordé la question dans un précédent article du libertaire. Sans compter cette tendance à jouer sur les peurs, tout comme les complotistes et l’extrême-droite du déni écologique, qui sert bien le gouvernement.

Pour autant, les libertaires ne peuvent-ils que se cantonner aux traditionnelles récriminations contre « le système » qui accule de plus en plus de gens à la pauvreté. Défendre les plus démunis, malgré leurs erreurs, malgré leurs fautes… ! Pour plagier Séverine (Avec les pauvres, toujours…), c’est dans notre ADN ainsi que notre combat contre les injustices, tous les pouvoirs et les dominations.

Mais les temps sont au changement climatique et il nous faut intégrer, non pour singer les gauchistes, la dimension du dérèglement climatique. Ce n’est pas parce que les grands groupes se positionnent aujourd’hui en faveur de l’écologie, qu’il faut se désintéresser du problème écologique. Il y a certes une imposture écologique de la part des tenants du capital et du pouvoir mais cela ne nous dispense pas de contrer et de dénoncer les imposteurs. Si pour certains, l’écologie est un commerce comme un autre, ce n’est pas le cas pour les anarchistes. A ce titre, nous devons revoir nos modes d’intervention.

Nous ne sommes pas des perdreaux de la dernière couvée et nous ne sommes pas prêts à avaler toutes leurs couleuvres. Nous sommes par exemple toujours contre le nucléaire car il est potentiellement dangereux à court terme et il le sera d’autant plus sur le long terme avec l’enfouissement des déchets radioactifs. Quel cadeau pour les générations futures !

Nous restons donc sur nos deux jambes pour avancer vers un autre futur. On ne peut tenir compte du dérèglement climatique sans tenir compte des réalités des conditions de vie des travailleurs. On ne peut se battre aux côtés des travailleurs qu’en luttant aussi contre les effets du dérèglement climatique car les plus démunis, en France comme partout dans le monde, seront les premières victimes du chaos climatique.

Ty WI (GLJD)