Il y a progrès et progrès
Ceux pour qui les anarchistes représentent quelque chose les tiennent généralement pour des démolisseurs, qui voudraient tout jeter bas. Or, s’il est exact que les anarchistes ont clamé leur volonté de faire table rase du passé, comme le dit le chant révolutionnaire, cela signifiait qu’il importait, à leurs yeux, non pas de détruire le Parthénon, Lascaux ou la cathédrale Notre-Dame, mais d’abolir les institutions néfastes comme l’armée, de combattre les préjugés nocifs, de faire place nette des mensonges et des superstitions qui empoisonnent l’esprit humain. Ils ne fournissent pas de tueurs aux escadrons de la mort, aux tueurs du Hamas, aux soldats israéliens massacreurs d’enfants à Gaza, ni aux ayatollahs, pas plus qu’ils n’en fournirent à la Gestapo, au Guépéou ou à la CIA dans le passé.
Ce n’est pas eux qui ont jeté des bombes nucléaires à Hiroshima et Nagasaki, des bombes au Napalm en Algérie et au Vietnam, ce n’est pas eux qui ont brûlé des livres en place publique (encore moins à Saint-Imier en 2023), ce n’est pas eux qui ont falsifié l’histoire au nom d’une patrie, d’une doctrine ou d’un parti.
Une des écoles de l’anarchisme étant le socialisme libertaire, il est inévitable qu’ils ressentent jusqu’à un certain point l’abaissement infligé au socialisme d’aujourd’hui, alors qu’ils n’en sont nullement responsables. Il n’y a que le mot « socialisme » qui soit impliqué dans l’événement, non le principe, non l’essence même de la pensée des fondateurs. Les détracteurs actuels en abusent pourtant jusqu’à s’en prendre à l’idée de progrès. Invoquer le progrès humain serait une attitude dépassée, has been.
L’idée de progrès n’est pas absurde, mais il y a progrès et progrès. Nous pouvons considérer le progrès mécanique et scientifique, le progrès social et le progrès moral.
Disons dès l’abord que le progrès moral est celui dont il est permis de douter. Toutes choses égales (mais, égales, elles ne le sont jamais), l’homme est le même partout : Julien Teppe le répétait volontiers ; et il n’y a pas d’amélioration morale entre l’homme des cavernes et l’homme d’aujourd’hui ; les massacres, les destructions et les brasiers dont il couvre la planète prouvent que sa moralité moyenne est demeurée immuable. Son expansion numérique a multiplié sa malfaisance en même temps que son espèce ; le pourcentage de bénignité et de malignité dont celle-ci témoigne varie selon les lieux, les époques, en repos ou en mouvement, mais, l’un dans l’autre, l’homme demeure capable de douceur ou de cruauté, d’intelligence ou de bêtise, dans des proportions qui ne doivent pas avoir changé beaucoup depuis le néolithique voire le paléolithique.
Le progrès mécanique, lui, s’est énormément manifesté : la voile fut un progrès sur la rame, l’hélice un progrès sur la voile, l’électricité un progrès sur la vapeur, et c’est un progrès de traverser l’Atlantique plus rapidement, quoique à certaines périodes, de pauvres bougres comme les soutiers usaient leur santé pour ce faire. Sans compter les émissions de gaz à effet de serre…Puis les voitures et les avions facilitèrent les voyages et les transports, toujours en polluant un peu plus la planète. Mais le progrès mécanique ne peut être contesté.
Quant au progrès social, il suivrait la même courbe ascendante sans les résistances perpétuelles des capitalistes.
Si le progrès mécanique est acquis une fois pour toutes, car, une fois mises à la disposition de l’homme et de la femme, les inventions ne lui sont jamais retirées qu’il s’agisse de l’hélice, du réacteur, de la fission nucléaire, de l’informatique, des téléphones portables, les IRM ou de toute autre découverte. Même si certaines découvertes posent problème comme le nucléaire et toutes activités générant de la pollution en mettant en danger la santé des gens et même celle de la Terre.
Pour le progrès social, c’est plus complexe car en dehors de la lutte des classes au profit des patrons jusqu’à présent, on constate une élimination de l’homme de son champ productif, le champ du travail et son remplacement par des machines de plus en plus perfectionnées (robotisation du travail à la chaîne, scannérisation des articles aux caisses des supermarchés…). Sans compter que nous causons notre propre malheur en utilisant internet (commandes, réception des factures sur nos adresses mails, consultation de nos comptes sur le net, contribution à différentes tâches qui permettent aux administrations par exemple de supprimer des postes…).
Beaucoup de travailleurs se retrouvent alors sans emploi ce qui tarit le financement des assurances sociales, ce qui avec la casse des services publics nous ramène en arrière ou plutôt ne permet plus d’obtenir des acquis.
Tout progrès est donc relatif, c’est la définition même du mot. Or, le déséquilibre du monde actuel, après la revanche du capitalisme libéral sur un communisme barbare et un socialisme magouilleur qui n’allaient guère mieux, provient du mauvais rapport existant entre la tendance progressive de la science et de la technique et la tendance aujourd’hui régressive de la société. Contrarier le progrès social est l’attitude de ceux qui rêvent d’un retour du peuple à sa condition et à sa résignation d’autrefois, à l’acceptation du paupérisme, à la multiplication des mal-logés. Jamais l’assaut contre les conquis ne fut aussi vigoureux. Profiteurs et responsables de cet état de choses exploitent et entretiennent une crise qu’ils prétendent juguler.
Certains réactionnaires pensent même que c’est la fin de l’histoire; nous pensons au contraire qu’à trop tirer sur la corde, elle finit par se casser et c’est ainsi que l’on fera table rase.
PVBTW