Il est essentiel de raisonner librement, sans dogmes, sans formules ni préjugés

SEQUIVACAN

L’idée anarchiste, à travers le XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, a montré qu’elle possédait la capacité de s’articuler devant divers scénarii: son ampleur, son corpus jamais complètement défini et sa capacité à se réinventer, permettent d’appréhender à la fois les idées et les pratiques libertaires de différentes manières en fonction des époques et contextes sociaux. S’il est vrai que l’anarchisme a une essence qui le distingue des autres courants politiques, ses interrogations et ses certitudes peuvent nous interpeller en fonction des réalités locales. Pour cette raison, il est toujours nécessaire de se demander ce qu’est l’anarchisme aujourd’hui et, plus encore, quel rôle joue-t-il ou pourrait jouer dans nos localités.

Certes, pour comprendre le sens de la pensée libertaire, il est essentiel de raisonner librement, sans dogmes, sans formules ni préjugés. Ses connaissances ne sont pas basées sur des syllogismes, mais se construisent grâce à des expériences intellectuelles, corporelles et naturelles. Dans le premier cas, nous trouvons un nombre infini de littérature philosophique, historique et scientifique qui comprend des noms importants de penseurs et de militants anarchistes de base presque infinis qui ont participé à l’aventure de la connaissance à travers la presse ouvrière, la littérature, la musique, des brochures et des magazines et même des films, malgré l’exploitation et l’oppression constantes qui ont caractérisé les siècles derniers. Cependant, le fait que l’anarchisme perdure dans le temps n’est pas dû seulement à une expression intellectuelle de faux libérateurs contrairement aux divers courants marxistes par exemple cachant leurs massacres sous l’euphémisme de la  libération. Pour cette raison, comprendre les principes anarchistes est aussi une expérience naturelle, qui suppose une éthique et une manière d’être au monde, y agissant avec la conscience de faire partie d’un organisme, dilué et maltraité par les conséquences de pratiques de domination et d’exercice de la servitude à différentes échelles.

En d’autres termes, ce raisonnement libre détermine une certaine perspective, dépourvue de dogmes officiels et de juges mais claire dans son élan individuel, allant de notre propre existence au sens que nous donnons à l’histoire de l’humanité et à notre place en elle, en suivant les indices que notre territoire, nos familles et notre biologie nous donnent.

Pour cette raison, nous croyons que la pensée et l’action anarchistes méritent d’être constamment mesurées avec la réalité. Ce n’est pas une pièce de musée, ni une doctrine qui existait déjà. Sa projection collective favorise les relations humaines qui ne séparent pas la société et la politique, faisant de la promotion de la sociabilité dans les pratiques de liberté l’une des bases fondamentales de la vision anarchiste. C’est une éthique de la politique qui s’articule comme une bataille culturelle.

A étudier et apprendre de nos anciens, nous avons sauvé certaines expériences qui se sont développées au siècle dernier. Nous n’avons pas l’intention d’inventer une  histoire  de l’anarchisme, mais pensez plutôt à nos pratiques passées. Concrètement, la génération lointaine des années 1880, qui a su élever les idées libertaires dans des contextes où la confusion politique et la multiplicité des idées nouvelles arrivaient en Europe maintenaient en suspens l’avenir de la société ; c’était un creuset d’enseignements faisant le lit des idées libertaires les plus fertiles. L’école littéraire et le déploiement qu’elle a mené dans le domaine de l’éducation par exemple dont l’écho se fait encore  aujourd’hui entendre, et que nous sommes prêts à réactualiser et à repenser. De même, le développement dans le domaine syndical qui a été réalisé dans les années 1895, nous montre non seulement l’importance de la lutte ouvrière, mais aussi un ensemble de pratiques quotidiennes de grande valeur aujourd’hui, telles que l’action directe, le boycottage, l’entraide, l’horizontalité des Bourses du Travail, l’éducation ouvrière…

L’intérêt pour ces pratiques n’est pas lié à la nécessité d’une «récupération historique», ni à la volonté de constituer une collection intéressante de pièces pour la mémoire muséologique. Il s’agit plutôt d’un certain «retour», c’est-à-dire d’un «retour» sur certains événements qui mettent en tension la crise syndicale actuelle du XXIe siècle : intégration à l’Etat, dépendance aux partis politiques, dépendance aux subventions, désyndicalisation…et surtout morcellement syndical.

Ainsi, face à la crise actuelle que nous traversons en tant que société en raison d’une série de processus économiques imposés, exprimés par des crises fréquentes et la transformation vorace des relations économiques, et les blessures laissées par les régimes totalitaires qui ont détruit un certain espoir de la politique pour quantité de gens (les anarchistes, eux, n’ont jamais été dupes), nous proposons de récupérer une série d’expériences liées aux principes acrates épuisés ou directement disparus, tels que l’éducation ouvrière, l’éducation libertaire voire la lutte pour le respect des femmes y compris dans les milieux militants; ainsi que la valorisation et la promotion de pratiques nouvelles ouvertement opposées au système de production capitaliste, telles que les coopératives, la production agricole biologique, les jardins urbains, la lutte pour la libre transmission des connaissances et de la propriété intellectuelle…

Nous ne nous considérons pas comme des  utopistes car l’utopie d’aujourd’hui sera la réalité de demain. Pour cela, point de rigidité programmatique. Nous considérons qu’il est plus approprié d’aborder les multiples expériences qui se sont produites à la fois dans d’autres moments du mouvement libertaire et aujourd’hui. Pour cela, ajouté aux conditions des contextes, des événements, nous considérons qu’il est plus approprié d’insister sur l’idée de travail, de faire, plutôt que de respecter sans restriction certaines lignes directrices organiques que certains se jugent légitimes de s’octroyer au nom de l’avant-gardisme. Nous optons pour le dynamisme de nos idées et actions, plutôt que pour les diktats éclairés d’une organisation.