Effectivement la répression contre les militants qui se heurtent frontalement au patronat et à l’Etat, notamment les écologistes, nous fait penser aux militants syndicalistes du début du XXème s
La grève des Terrassiers
Une grève des Terrassiers fut déclarée au cabinet de Monsieur Monnier, juge de paix du deuxième arrondissement, le 27 juin 1909.
Le lendemain matin à 10 Heures eut lieu à la Maison du Peuple une réunion des ouvriers terrassiers. A l’ouverture de la réunion le commissaire de police de la quatrième section, muni d’une délégation préfectorale, se présente à la porte de la réunion ouvrière. Le service d’ordre ouvrier s’oppose à son entrée dans la salle et avertit Vallin, le secrétaire général du syndicat du Bâtiment.
Celui-ci arrive près du commissaire et lui soumet les revendications des grévistes.
Fort de son mandat le commissaire insiste pour entrer dans la salle, sort son écharpe de sa poche et déclare : « Je suis commissaire de police ,et, seule , une résistance me fera quitter les lieux. »
Vallin répliqua que son intention n’était pas d’employer des actes de violences et au commissaire de rétorquer : « En me touchant, cela suffit. »
Vallin mit tout doucement la main sur le bras du commissaire, lequel sortit aussitôt…
La nuit même, vers minuit et demi, à la sortie de la Bourse du Travail, Vallin fut arrêté en vertu d’un mandat d’amener du Juge d’instruction Monsieur Vernis, mandat d’amener qui fut vite transformé en mandat de dépôt, et conduit à la maison d’arrêt.
Monsieur de Pressensé, Président de la Ligue Française pour la Défense des droits de l’Homme et du Citoyen interviendra auprès du Président du Conseil, Ministre de l’Intérieur et des cultes car Vallin s’était plaint d’être resté 24 Heures sans manger du fait de son arrestation.
A l’audience du 5 juillet 1909, au tribunal correctionnel du Havre, sous la présidence de M. Tassard, M. Demangeat substitut, prononça un réquisitoire très modéré dans la forme où il s’attacha à démontrer que la réunion était publique et que, par conséquent, le commissaire était en droit d’y assister.
Vallin déclare quant à lui qu’il a agi consciemment , mais que c’était pour éviter de plus graves conflits, car pendant qu’il parlementait avec le commissaire, une certaine agitation commençait à se produire dans la salle. Il annonce aussi que la réunion était essentiellement corporative donc à caractère absolument privé.
Chargé de la défense, l’avocat Jennequin, s’élève d’abord contre la sévérité de l’arrestation que rien, d’après lui ne justifiait.
Il argumente ensuite sur le fait que les convocations avaient été faites verbalement et individuellement, et non par voie d’affiche ou de journal…
Résultat des courses, Vallin écope de 10 jours de prison et une amende de 5 francs !
Pour comprendre un peu mieux cet acharnement judiciaire contre Vallin il faut préciser le contexte social dans lequel intervient cette sentence.
Le Préfet a donné l’ordre à la police locale et à la gendarmerie de surveiller étroitement les déplacements des grévistes et d’intervenir sur les chantiers au moyen de rondes et de patrouilles…
Malgré cette surveillance les terrassiers appliquent la technique du sabotage (décision confédérale). Dans la nuit du 2 au 3 juillet, les chantiers des travaux d’adduction d’eau sont sabotés à Harfleur et Gonfreville l’Orcher. Les tranchées sont déboisées sur une longueur de 70 mètres et 5 tuyaux de conduite pesant chacun 1200 kilogrammes furent jetés dedans ainsi que divers matériels.
Le Sous-Préfet du Havre prescrivit le remblaiement dans les endroits menacés d’éboulement (les routes, en raison de la nature marécageuse du terrain), travail qui fut effectué par les employés de la voirie du Havre sous la protection des gendarmes…Les cantonniers de la ville du Havre cessèrent le travail…A défaut d’ouvriers, les autorités étaient prêtes à faire appel aux militaires au nom de la sécurité publique.
Les Terrassiers s’en prirent aussi au chantier Leborgne à Sainte-Adresse ainsi qu’au Nice Havrais : boisages de tranchées démolies, wagonnets et brouettes culbutés…Idem sur les chantiers Brossier et de l’usine d’incinération de la ville du Havre. Radicatel était menacé. La troupe fut consignée, notamment pour aider la gendarmerie devenue en nombre insuffisant.
Voilà la situation sociale concernant les Terrassiers.
L’emprisonnement de Vallin ne changea en rien la combativité des travailleurs du bâtiment.
690 travailleurs du bâtiment appartenant à 16 entreprises havraises firent grève du 28 juin au 9 août 1909.
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Dans le numéro 37 du journal « Vérités » du premier août 1909 un bilan est dressé de la grève des Terrassiers : 36 arrestations – 308 jours de prison.
« Nous tenons à montrer publiquement la façon dont les autorités agissent envers des ouvriers légalement en grève pour des revendications que tout le monde reconnaît justes. Il faut que le public juge par lui-même de quel côté se trouve la violence la plus odieuse.
Depuis le commencement de la grève des terrassiers, c’est-à-dire en l’espace d’un mois, ont été condamnés et arrêtés les camarades dont les noms suivent : Vallin, 10 jours de prison ; Sébire, 1 mois ; Lecouvreur, 1 mois ; Béranger, 20 jours ; Maniable, 20 jours ; Bader, 1 mois ; Mottelay , 2 mois ; Marie, 2 mois ; Guégan, 1 mois ; Varet, 6 jours ; Legros, 6 jours ; Maze, 6 jours.
En prévention : Leguillermic, Olivier, Ledon, Bourhis, Toutain, Drouet, Minaux, Léger, Couturier, Pitray, L. Hautot, Gravot, Albangue, Godin, Gourdin, Lecouillard, Stephan, Blanchemain, Laffillé, Sument, Viel, Burel, Lainé.
En total, jusqu’à ce jour, 12 condamnations, montant à 308 jours de prison et 21 camarades en prévention attendant, sans illusion, le même sort que les autres. Et ce n’est pas fini. De plus une dizaine de camarades, partis du Havre depuis un certain temps, sont, paraît-il recherchés également.
Malgré tous les efforts sincères et l’éloquence des avocats : Maîtres Jennequin, Duteil et Eude, le tribunal, impitoyablement, a condamné par esprit de classe. Le droit de grève ? La légalité ? La justice ? Ces gens-là s’en fichent ; ils n’obéissent qu’à leurs ressentiments personnels de bourgeois étroits et égoïstes.
Notre camarade Vallin a envoyé, au procureur et au Sous-Préfet, une lettre de protestation contre ces arrestations arbitraires et particulièrement celle de Pitray, lequel n’a pris part à aucune manifestation n’ayant pas quitté le bureau de permanence de la grève où son travail le retenait…
Ceux qui ont encore quelques illusions sur la justice les auraient certainement perdues en assistant au procès de Vallin,Guégan, Bader…
Le bruit fait autour de Vallin, et malgré la satisfaction préfectorale, montra aux autorités la gaffe qu’ils avaient commise. A l’instruction, le commissaire Baldini fut forcé de reconnaître qu’il avait incité Vallin à le toucher et rectifia sa déclaration en ce sens ; à l’audience, un peu plus gêné par le public qui l’écoutait, il avoua timidement ne plus s’en rappeler.
Tout cela n’empêcha pas Vallin d’être condamné à 10 jours de prison. La conscience des magistrats étant soumise servilement aux ordres supérieurs…. »
Concernant l’intrusion du commissaire dans une réunion syndicale cela commençait à devenir une habitude, l’Union des Syndicats du Havre et de la Région eut à protester le 25 mai 1909 lors d’une réunion de son Comité général :
« L’U.S.H proteste énergiquement contre l’intrusion des policiers à différentes réunion privées, notamment à la réunion corporative du bâtiment qui eut lieu le dimanche 23 mai à la Bourse du Travail indépendante, 8, rue Jean Bart.
Constate que ces provocations faites dans un local privé ont entraîné l’arrestation arbitraire et illégale du camarade Julien Amourdedieu, envoie à ce dernier toute la sympathie des camarades syndiqués.
Entend rester maîtresse dans ses locaux et empêcher, par tous les moyens, les représentants de la loi de violer les libertés corporatives et syndicales. »
Les grèves des Terrassiers continuent malgré la répression :
58 grévistes dans les établissements Brossier (travaux du port) cessent le travail les 30 et 31 août. Idem le 20 septembre.
40 Terrassiers de l’entreprise Ambaud firent grève du premier au quatre septembre pour demander le renvoi d’un chef d’équipe. 50 ouvriers se mirent en grève du 18 au 20 septembre afin de demander ¼ H le matin et ¼ H le soir pour les casse-croûtes, toujours chez Ambaud (chantier de la gare maritime).
12 Maçons de chez Thireau et Morel et Cie , 15 Terrassiers des chantiers Vigné et Schneider du Havre se mirent aussi en grève.
Du 5 au 16 novembre de la même année une grève toucha les Terrassiers, les Tubistes et les Mouleurs pour une augmentation de salaire…
Les syndicalistes faisaient la tournée des chantiers pour informer leurs camarades de travail des avancées obtenues dans telle entreprise ou pour qu’ils se mettent en grève.
La hargne patronale soutenue par le gouvernement, la justice et l’armée fédérait le mécontentement ouvrier. Mais la peur de perdre son emploi, d’être sur une liste noire, empêchait souvent les ouvriers de s’exprimer par la grève d’autant que les salaires suffisaient à peine à se nourrir en temps normal. De plus les meneurs, ceux qui subissaient une peine de prison étaient la plupart du temps congédiés de l’entreprise où ils étaient employés, cela calmait les ardeurs militantes…
La grève des mouleurs
Les mouleurs de l’usine Westinghouse firent grève du 19 novembre 1909 au 14 février 1910, date de la reprise du travail.
C’est le vendredi 19 novembre, à 7H et ½ du matin qu’ils décidèrent d’abandonner le travail. Le 20, ils écrivirent au directeur pour motiver leur décision ; ils voulaient :
- Le renvoi d’un ouvrier
- La suppression du marchandage
- Une augmentation de salaire
- La suppression des heures supplémentaires
95 mouleurs étaient en grève. La direction n’accepta pas de recevoir les grévistes. Aux ouvriers qui cessèrent le travail brusquement, il était dû 15 jours payés dont ils ne reçurent pas le montant. L’affaire vint aux Prud’hommes. Dans l’audience du vendredi 3 décembre 1909, le Conseil des Prud’hommes a rendu son jugement : il a ordonné le paiement de la quinzaine de travail et condamné chacun des ouvriers au paiement de l’indemnité de délai. Différentes juridictions n’admettaient pas qu’une grève soit déclanchée sans préavis de grève…Les mouleurs durent payer une somme équivalente à huit journées de travail comme préjudice causé pour brusque rupture de contrat. L’appel à la cour de cassation contre le jugement des Prud’hommes condamnant les grévistes fut rejeté.
En clair la société Westinghouse a intenté un procès aux grévistes pour brusque rupture de contrat ; elle retint leur paie afin d’y prélever les frais de procès qu’elle était certaine de gagner. Les grévistes ripostèrent en faisant une demande reconventionnelle pour retenue illégale de leur salaire. Ils furent déboutés et condamnés à payer , pour chacun d’eux, une somme égale à une huitaine de prévenance, soit au total : 6000 francs. Le conseil des prud’hommes avait rendu un jugement de classe…en faveur du patronat. Des manifestations de mouleurs sont organisées.
Après deux mois de lutte, bien soutenue par leurs organisations syndicales, pas un mouleur n’était remplacé, pas une défection ne s’était produite. Alors la direction de la Westinghouse cherche à embaucher des jaunes partout en France et même à l’étranger. Une vingtaine d’individus répondent à l’appel et sont hébergés à l’usine.
Quelques grévistes, une dizaine, furent démoralisés et reprirent le labeur. Face à cet acte peu solidaire, voire lâche, la majorité des grévistes entend continuer la lutte et se portent à la sortie de l’usine. Des invectives fusent…Un jaune, Thierry, est légèrement blessé dans des circonstances troubles.
La grève qui dura presque 3 mois, se termina au tribunal correctionnel du Havre lors d’une audience en date du 9 février 1910.
Huit grévistes furent arrêtés pour entrave à la liberté du travail, coups et blessures : Joseph Sommer, 36 ans ; Paul-Charles Mourgues, 17 ans ; Auguste Raphaël Garnier, 18 ans ; Jules-Eugène Herbot, 36 ans ; Ernest Geeroms, 38 ans, secrétaire du syndicat des mouleurs ; André Numa Legentil, Henri-Louis Poirier, 38 ans et Charles Lefrançois.
Les faits remontaient aux 25 et 26 janvier où la police veillait à l’entrée de l’usine pour laisser passer les non grévistes…La direction avait son plan. Représentée par Messieurs Unné et Combette, elle dépose plainte au nom des jaunes insultés et assaillis. Elle obtient du parquet l’arrestation de tout le comité de grève, soit neuf personnes .
Le Maire de Graville, Monsieur Valentino, donne son appréciation des événements. Il pense que la direction de l’usine Westinghouse s’est trop facilement émue et rend hommage aux ouvriers qui conduits par Geeroms, ont durant la grève conservé une attitude pacifique. Il regrette que les patrons n’aient pas répondu à son appel empêchant ainsi une rencontre sur un terrain d’entente possible…
L’avocat de Geeroms, Jennequin, regrette que l’article 414 qui punit les atteintes à la liberté du travail ne soit pas rayé du code pénal.
Art.414- Sera puni d’un emprisonnement de 6 jours à 3 ans, et d’une amende de 16 francs à 3000 francs, ou de l’une ou l’autre de ces deux peines seulement, quiconque, à l’aide de violence, voies de fait, menaces ou manœuvres frauduleuses, aura amené ou maintenu, tenté d’amener ou de maintenir une cessation concertée de travail, dans le but de forcer la hausse ou la baisse des salaires, de porter atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail.
Les arrestations de militants se firent dans le plus grand désordre ; Par exemple le père Mourgue est huilier de son métier. Il ne travaille donc pas chez Westinghouse par conséquent il ne pouvait pas être gréviste. Il fut cependant arrêté et emprisonné 24 Heures. Il y avait eu confusion avec son fils…
Même erreur pour Legentil où le juge d’instruction, Monsieur Vernis, voulut arrêter le frère, le vrai Legentil étant en fuite. Le juge signa avec une singulière complaisance les mandats d’arrêt que désirait la société Westinghouse et terrorisa les témoins qui faisaient preuve d’honnêteté…
Le tribunal prononça les peines suivantes : Lefrançois, 2 mois de prison ; Geeroms, 1 mois ; Sommer, 4 mois ; Poirier et Legentil, tous les deux par défaut, à 20 jours et à 10 jours. Herbot est acquitté ainsi que Mourgues et Garnier qui sont remis à leurs parents.
Pour Sommer qui avait été accusé par les renégats de les avoir menacés de mettre « leurs tripes au soleil », le cas d’arbitraire fut encore plus flagrant.
Originaire de la Suisse allemande, Sommer ne parlait que très difficilement le Français et il lui était impossible d’avoir pu prononcé la phrase incriminée. Malgré les témoignages du père Mourgues et d’une locataire qui établirent que Sommer prenait son repas chez Mourgues à l’heure de la prétendue agression, le gréviste fut condamné à 3 mois de prison pour violences, et à un mois pour menaces en temps de grève.
Sommer, sujet suisse-allemand, après avoir purgé sa peine de prison fut frappé d’un arrêté d’expulsion sans qu’il ait même le temps de mettre de l’ordre dans ses affaires…Le procès de Sommer souleva l’indignation et malgré une forte mobilisation, un meeting de 2000 personnes à Franklin, rien n’y fit.
Pendant la grève plusieurs tracts s’adressèrent aux métallurgistes havrais pour dénoncer Monsieur Unné, le directeur de l’entreprise qui avait employé des jaunes sans formation pour contrer la grève des mouleurs. Ce dernier avait transformé les ateliers en restaurant aux heures des repas et en dortoir pendant la nuit. Dans un tract intitulé « A tous les Hommes intelligents…Jugez-en… » le Comité de grève s’adresse aux travailleurs : « Raccolages d’ouvriers non syndiqués dans tous les pays, à n’importe quel prix et n’importe quel individu. Plus besoin de références. Plus de certificats….Savez-vous mouler un peu, cela suffit, venez coucher à l’usine à une place spécialement affectée, une bonne à votre disposition, des révolvers pour vous défendre…( ?)
Vous pourrez faire des heures supplémentaires tant que vous voudrez, vous travaillerez les dimanches toute la journée. Nous nous moquons des lois françaises, et quand elles nous gênent nous connaissons les moyens de les détourner en notre faveur.
Vous serez choyé, dorloté , entouré de tous les soins de vos chefs, servi comme un Roi, à condition que vous consentiez à faire œuvre de jaune, à faire de vous un traître un goujat, un malpropre, un renégat… »
Que disait « Vérités » le journal de l’USH ?
« Le syndicat engage les grévistes à persévérer dans la lutte, jusqu’à ce que Monsieur Unné s’aperçoive que nous sommes des hommes et non des moutons dont on dépouille la laine pour l’entretenir, s’engage d’aider dans les mêmes conditions tous les grévistes jusqu’à la fin du conflit… » (le 1/2/1910)
Le 10 avril 1910 Vérités fait écho à la grève des mouleurs : « Dix huit mouleurs anciens grévistes ont été convoqués chez le commissaire de police ; ils sont accusés de manifestations bruyantes , tapages, bris de clôture…Les faits à raison desquels on les inquiète se seraient passés le 3 décembre à la suite du conseil des Prud’hommes. »
Soit quatre mois après les faits…l’acharnement de la justice.
La satisfaction des grévistes fut de voir le départ d’Unné et de Combette, le contremaître des mouleurs. La haute direction se séparait d’indésirables : les agents de maîtrise et certains syndicalistes.
Pour tout complément d’informations sur cette grève, lire « Histoire oubliée et méconnue du syndicalisme havrais, Tome 1 ».