Evolution et Anarchie

Il semble que la vie soit pleine de contradictions, certaines d’ordre naturel, d’autres imposées par la société. Dans ce dernier groupe de contradictions, on trouve une masse de mots et d’idées. Je voudrais faire référence spécifiquement à deux mots qui contiennent deux grandes idées, des idées qui, à mon avis, sont essentielles au développement sain des sociétés humaines et qui, par erreur ou par malveillance préméditée, ont été utilisées pour les faire apparaître comme contradictoires et opposées dans leur sens. Je fais référence aux mots Évolution et Anarchie. Ce que je vais essayer d’expliquer brièvement.

L’évolution, selon le dictionnaire, signifie un processus universel consistant en un changement progressif des êtres vivants et d’autres objets du monde naturel vers une amélioration constante. Si l’humanité, par prédisposition naturelle, comme tous les êtres vivants qui peuplent la Terre, est un être évolutif, et si l’Évolution consiste à « modifier pour supprimer les défauts en recherchant une amélioration constante », alors l’être humain, étant un être évolutif, du point de vue social et politique, avance directement vers l’abolition des erreurs sociales dont il souffre aujourd’hui ; comme : la guerre, l’envie, l’exploitation, etc. Et en même temps, il crée les piliers d’un ordre social harmonieux basé sur : la paix, l’amour, l’équité et la liberté.

Anarchie vient du grec et signifie : état d’un peuple et, plus exactement, d’un milieu social sans gouvernement.

Le mot Anarchie, qui devrait s’écrire correctement An-arquia, et qui en ayant le préfixe An, qui est un privatif, explique clairement qu’il est le contraire de désordre, puisqu’il ferait apparaître dans sa traduction un Anti. C’est-à-dire que si nos adversaires veulent dire désordre, ils disent en réalité Arquía, et non An-archie, qui serait anti-désordre. Ceci expliqué, on comprendra parfaitement que, tandis que la société évolue constamment vers sa perfection, en épurant tout ce qui est nuisible à un développement sain et qui devient un obstacle évolutif, elle se rapproche d’un environnement social anarchique. C’est-à-dire à une organisation sociale fondée sur des accords mutuels, sans coercition ni violence d’aucune sorte pour l’organisation de la vie sociale.

Si l’évolution signifie un chemin constant vers la perfection de l’être social et vivant, et de tout le milieu qui l’entoure et avec lequel il cohabite, et si l’Anarchie n’est rien d’autre qu’un moyen social de relations mutuelles et constantes entre les êtres vivants de la manière la plus harmonieuse et la plus libre qui ait pu être établie, l’Évolution et l’Anarchie sont deux constantes qui avancent, l’une à la recherche de l’autre, dans la consommation de la perfection sociale.

On nous dira que nous avons tort, que l’Anarchie signifie exactement le contraire de ce que nous venons d’affirmer, que l’Anarchie signifie chaos et désordre. Il est logique de penser de cette façon, nos cerveaux ont été bombardés de ce mensonge pendant des générations entières, prémédité par tous les gouvernements. Ils, conscients de l’étymologie, c’est-à-dire de l’origine et du sens réel des mots, omettent le véritable sens de ce mot et, de la manière la plus scélérate possible, le déforment de sorte que les gens ressentent une répulsion envers les idées qui en émanent. Il est logique qu’après des siècles de division de la société humaine en classes sociales simplifiées entre exploités et exploiteurs, ces derniers recourent à n’importe quel prétexte, même déguisé en scientifique, pour ne perdre aucun de leurs privilèges.

Premièrement, les rois et les prêtres parlèrent des desseins de Dieu et de la nécessité de les voir tyranniser le peuple sous la menace de l’enfer, car telle était la volonté du Tout-Puissant. Bien que peu à peu les bourgs furent créés, ce qui réduisit le pouvoir des comtes et fit que les paysans cessèrent d’être esclaves, la farce du droit divin du roi dura encore de nombreuses années, cette période historique étant connue sous le nom de féodalisme. Ce n’est qu’en 1789, avec la Révolution française, qui culmina avec la guillotine (le roi de France Louis XVI, une partie de la noblesse), que le monde passa progressivement du féodalisme aux États dits démocratiques, dotés d’une organisation économique structurée dans ce que nous connaissons aujourd’hui comme le capitalisme. Ce dernier modèle économique s’est lui aussi progressivement développé au cours des 200 dernières années, au détriment des droits et des libertés des peuples, grâce à leurs luttes et à leur organisation contre l’exploitation et les inégalités qui sont des produits directs du système capitaliste.

Nous voulons clarifier quelque chose, afin d’éviter tout malentendu ou confusion. Comme nous l’avons déjà souligné, dans l’histoire des sociétés humaines, comme dans celle des autres sociétés d’êtres vivants sur Terre, il y a un développement continu vers la perfection sociale, c’est-à-dire un processus évolutif constant. Mais s’il y a une chose qu’il faut clarifier, c’est que les processus évolutifs que subit la vie dans son ensemble ne se produisent pas par génération spontanée, mais qu’il existe toujours une entité ou un facteur au sein des sociétés qui encourage cette réaction évolutive.

Dans les sociétés humaines, il y a toujours eu une confrontation entre les deux forces qui la composent. D’un côté, il y a les classes dirigeantes (rois, magistrats, politiciens, juges, bourgeoisie, grands hommes d’affaires, banquiers, etc.) qui résistent à leur position en érigeant toutes sortes d’obstacles, tels que les lois et les décrets divins, pour se maintenir comme exploiteurs de la société. D’autre part, il y a les classes exploitées (ouvriers, paysans, petits propriétaires, toute la classe ouvrière dans son ensemble) qui, seulement au prix d’une lutte sociale tenace et souvent héroïque, dans toutes ses nuances, sont celles qui représentent le facteur qui rend possible l’évolution de l’environnement social, car sans la pression et la résistance constantes à l’oppression des classes dominantes, les classes ouvrières n’auraient conquis aucune des libertés dont nous jouissons actuellement. Sans ces luttes et cette organisation des classes populaires, l’organisation sociale resterait dans un état de semi-esclavage, voire d’esclavage.

L’humanité, si elle était autorisée à évoluer librement et à se développer naturellement, progresserait vers l’anarchie, c’est-à-dire vers un ordre naturel basé sur l’entraide, la solidarité et la liberté. Mais il est clair que la classe sociale qui dirige le monde ne permettra pas à l’évolution sociale de se diriger harmonieusement vers cette amélioration. Habitués à l’oisiveté et au parasitisme, ils créent des formes corrompues de coexistence dans le but de disperser toute tentative d’améliorer les conditions de vie des classes populaires, favorisant un manque de solidarité et un égoïsme marqué par un manque d’empathie envers ceux qui souffrent le plus, essayant de saper depuis les racines notre instinct naturel d’entraide et de solidarité.

Si quelque chose pouvait être clair, c’est que, bien que la nature avance inévitablement vers la perfection des sociétés de tous les êtres vivants qui peuplent la planète, y compris l’espèce humaine, cette dernière ou plus précisément une poignée d’humains qui contrôlent leurs sociétés par l’oppression et une structure pyramidale maintenue par des relations de pouvoir et la violence, ralentissent le processus évolutif. Nous n’atteindrons la dernière étape de l’évolution sociale que si nous poursuivons la lutte commencée par nos ancêtres. De même que les esclaves ont versé leur sang pour en finir avec leurs maîtres et l’esclavage, de même que les vassaux du féodalisme ont coupé la tête des rois avec la guillotine et ont ouvert la voie à une plus grande liberté politique, de même que la première classe ouvrière a lutté sans relâche contre l’exploitation qui lui était infligée, obtenant de grandes améliorations en termes de salaires et d’emploi, il nous appartient de suivre ce courant évolutif et révolutionnaire. Nous ne pourrons peut-être pas faire de grands pas vers une société anarchiste, vers une amélioration sociale où les contradictions sociales telles que les différences de classe seront abolies, mais nous pouvons faire en sorte que le progrès ne s’arrête pas pour longtemps en exerçant des pressions, en nous organisant et en luttant contre les institutions qui entravent l’harmonie sociale. Si nous voulons une société où il n’y a plus de faim, plus d’exploitation, plus de haine et tout le mal qui existe aujourd’hui, nous devons lutter par tous les moyens possibles contre le système capitaliste, contre toutes les formes de domination, d’où qu’elles viennent, contre l’État et le capital, pour l’An-archie !

Mont Francisco Castaneda                                                                                                                                                                                                                                    Melchor Ocampo, État du Mexique.