D’un 18 Mars, l’autre

Les 18 mars

Tout ce qui touche au mouvement ouvrier est peu ou prou occulté par les médias officiels hormis le Premier Mai complètement dévoyé.

La Commune de Paris

Trahi par ses dirigeants félons, Paris, qui s’était soulevé le 18 Mars 1871, capitula après soixante-douze jours d’une lutte acharnée et l’armée gouvernementale versaillaise se livra à un carnage n’épargnant pas même les enfants.

Cronstadt

Le 18 mars 1921, le « camarade » Trotsky, avant de la jeter dans ses fameuses poubelles de l’histoire, écrasait Cronstadt, bastion portuaire bâti sur l’île de Kotline tapie au fond du Golfe de Finlande et principale base de la flotte baltique russe. Sa population, que traversaient les différents courants anarchiste et d’extrême-gauche, prêtait un vif intérêt à la vie du pays, aux désirs du peuple, à tous les problèmes politiques et sociaux. Aussi, en février 1917, se rallia-t-elle d’emblée à la révolution et prit-elle instantanément le rôle d’avant-garde.

Tout commença à Pétrograd (anciennement Saint-Pétersbourg) situé à une trentaine de kilomètres de Cronstadt. Fin février, l’hiver très rude et le manque de denrées de base rendaient la situation des ouvriers intenable. Jusqu’au pain qui était rationné et, faute de combustibles, les maisons ne pouvaient être chauffées. Les chemins de fer fonctionnaient à peine et beaucoup de fabriques fermaient leurs portes.

Les interpellations, les réclamations, voire les suppliques des travailleurs restaient sans effet. Le pouvoir bolchevique repoussait d’avance toute suggestion, toute collaboration, toute initiative. En guise de remède, il recourait de plus en plus à des réquisitions, à des expéditions militaires, à des mesures répressives, à la violence la plus arbitraire.

Des assemblées générales ouvrières se réunirent et rédigèrent des motions hostiles au gouvernement.

En dépit des campagnes de dénigrement visant à discréditer ce mécontentement, Cronstadt, solidaire des ouvriers de Pétrograd, leur envoya clandestinement des émissaires. Le message était clair : s’ils s’élevaient contre les nouveaux imposteurs, ils étaient en faveur des soviets libres, de la liberté d’organisation des travailleurs et d’une Révolution vraiment prolétarienne, elle les appuierait de toute la puissance de ses armes, de ses canons et de ses cuirassés. Le 22 février, des rassemblements spontanés eurent lieu à l’intérieur de la plupart des usines importantes. Le 24, troubles et grèves éclatèrent un peu partout et le 25, les grévistes incitèrent avec succès, les ouvriers des arsenaux et du port de Galernaïa à débrayer.

Le gouvernement créa aussitôt un « comité de défense », sous la présidence de Zinoviev, capable de coordonner les actions qui materaient les contestataires. Le 26, le soviet de Pétrograd se réunit d’urgence et, le 27, un nombre considérable de proclamations furent diffusées ou placardées. Le 28, les troupes communistes envahirent la ville donnant cours à une répression impitoyable.

C’est exactement le 28 février que les marins du navire « Pétropavlovsk » ripostèrent en adoptant un texte qu’approuva immédiatement un second vaisseau de guerre le « Sébastopol ». L’agitation gagna la flotte entière de la Baltique.

Le 1er mars, une assemblée publique se tint place de l’Ancre. Seize mille matelots travailleurs et soldats rouges y participèrent. Les délégués des commissions envoyées à Pétrograd présentèrent leurs rapports. Ils exprimèrent leur désapprobation des méthodes communistes étouffant les légitimes aspirations des ouvriers. La décision du « Pétropavlosk » fut ratifiée à l’unanimité malgré les diatribes virulentes des bolcheviques de service.

Cette célèbre résolution comprenait quinze points dont voici l’essentiel : « réélection des soviets au vote secret ; liberté de parole, de presse, de réunion et liberté syndicale ; libération de tous les prisonniers politiques révolutionnaires ainsi que des ouvriers, paysans soldats rouges et marins emprisonnés ; abolition de la propagande officielle ; cessation des réquisitions dans les campagnes ; égalité des rations pour tous les travailleurs en privilégiant seulement les métiers insalubres et dangereux ; liberté d’action donnée aux paysans sur leurs terres sans utilisation du travail salarié ; suppression des détachements de barrages empêchant la population de se ravitailler et disparition du service de garde communiste dans les usines et fabriques ; autorisation de la production artisanale libre n’utilisant pas de salariés… ».

 C’est ainsi qu’au soir du 2 mars, Cronstadt n’avait d’autre « pouvoir » que celui de son Comité Révolutionnaire Provisoire.

Les bolcheviques utilisèrent le mensonge et la calomnie afin de tromper l’opinion et de se justifier – procédé qui leur était coutumier – grâce aux moyens d’information et de propagande réunis entre leurs seules mains. Ils vilpendèrent la mutinerie de Cronstadt en la présentant comme une insurrection contre-révolutionnaire dont les gardes blancs étaient les instigateurs. Simultanément, ils se hâtèrent de préparer leur attaque. Ils sentaient que la rébellion pouvait s’étendre à d’autres régions et présenter un réel danger pour eux. Promptement, Trotsky mit sur pied des unités militaires spéciales aidées par des détachements de la Tchéka et des régiments de « koursanti » (élèves-officiers). Il fallait se dépêcher car le dégel approchait et la citadelle fortifiée, libérée de la couronne de glace qui la reliait à la terre deviendrait quasiment imprenable.

Le 6 mars,, un appel radiodiffusé du Comité révolutionnaire disait entre aiutres : « Notre cause est juste. Nous sommes pour le pouvoir des soviets et non des partis », réclamant en cela l’application de la constitution du 10 juillet 1918 qui stipulait que tout le pouvoir central et local appartenait aux soviets. La dictature bolchevique, dès le début, viola la Constitution en ne l’appliquant pas.

Trotsky répliqua : « Rendez-vous ou je vous canarderai comme des faisans ». Le lendemain, il ordonna, en accord avec Lénine de bombarder la ville. Le « canardement » se poursuivit à longueur de journée et de nuit. Aucune aide ne pouvait venir de Pétrograd en état de siège, sillonnée de militaires et de policiers et soumis au régime de terreur de Zinoviev et des hauts fonctionnaires.

 Cronstadt se battit désespérément mais Trotsky faisait venir des troupes fraîches et bien entraînées. Un terrible déluge d’obus précéda l’assaut final du 16 mars. Les femmes du peuple, dignes de leurs aînées de 1871, montrèrent un courage et une activité extraordinaires.

En dépit de tant de bravoure et d’héroïsme de la part de la population, Cronstadt succomba le 17 et beaucoup de marins préférèrent mourir en combattant plutôt que d’être lâchement assassinés dans les sous-sols de la Tchéka.

Au petit matin du 18, des matelots résistaient encore tandis que commençait la chasse aux vaincus à travers les quartiers en ruine de la cité suppliciée.

Les 14 000 habitants et marins tués n’empêchèrent pas les bolcheviques et le parti communiste d’avoir le culot de commémorer publiquement, ce jour-là précisément, la Commune de Paris et de fêter, en même temps, l’anéantissement de Cronstadt ! Et, pour que sa victoire fût complète, Trotsky se précipita à Pétrograd afin de liquider de façon identique les prolétaires insoumis.

Les semaines qui suivent, des centaines de prisonniers remplirent les geôles édifiées du temps des tsars et, pendant des mois, la Tchéka fusilla à tour de bras sans faire de quartier.

Le chef suprême de l’Armée rouge célébra Cronstadt comme « l’orgueil et la gloire de la révolution russe », disait-il, lorsqu’elle l’aida à prendre le pouvoir, puis tourna ses mortiers contre cette « gloire » devenue « canaille » contre-révolutionnaire quand elle se dressa face à la déviation et à l’imposture du parti bolchevique !

Le même sort avait été réservé aux Communards parisiens, massacrés, pourchassés, emprisonnés, déportés, insultés, odieusement diffamés et traités de « bandits » par le sinistre Thiers et son soudard sanguinaire, le général Gallifet.

Si Lénine peut être comparé au premier, le surnom attribué à Trotsky de « Gallifet de Cronstadt » restera la marque de son infamie et jamais, le sang des victimes répandu par ces deux bourreaux, à un siècle d’intervalle, ne sèchera sur les pages du grand livre des révoltes ouvrières !

Claudette Chéber

PS : Si nous nous attachons à un point d’histoire, ce n’est pas par nostalgie mais parce qu’il éclaire de nos jours les faiblesses d’analyses du courant marxiste. Si certains trotskystes d’aujourd’hui ont fait leur mea culpa par rapport à la tragédie de Cronstadt mais les trotskystes se revendiquent toujours d’un Etat prolétarien avec ses moyens coercitifs au titre de la violence légitime d’Etat. D’autres sont toujours partie prenante d’un Etat transitoire, ce qui a été invalidé par l’Histoire même. Ils ont eu beau rôle de se défausser sur le stalinisme et ses monstruosités mais Lénine et Trotsky  étaient bel et bien les précurseurs de Staline. L’épisode de Cronstadt démontre à quel point, les bolcheviques, une fois arrivés au pouvoir, se sont empressés de liquider tous ceux qu’ils jugeaient dangereux pour leur maintien au pouvoir.

En clair, à partir du moment où un courant de pensée léniniste qu’il soit trotskyste ou stalinien ou castriste ou maoïste ou etc. arrive au pouvoir, il entend s’y maintenir et pour cela il liquide toutes les oppositions, surtout si elles sont révolutionnaires. Pour les anarchistes, antimilitaristes, l’armée sert toujours les intérêts de l’Etat. Ne pas analyser les structures étatiques, c’est nous condamner à revivre les mêmes drames que Cronstadt, les mêmes drames que la bureaucratisation de la société avec une nouvelle classe de fonctionnaires au pouvoir. Donc, le léninisme est encore et toujours à combattre quels que soient ses nouveaux oripeaux.

Goulago (GLJD)