Du côté des dockers du Havre : février 2024

La série « De Grâce »

Franciscopolis, Le Havre Marat, Le Havre de Grâce, trois noms pour la Porte Océane. De plus en plus, la Ville du Havre sert de décor pour films. En ce qui concerne « De Grâce », Arte nous résume cette série TV qui se laisse regarder, même si un travail plus approfondi aurait donné un peu plus d’épaisseur à cette fiction : « Dans le milieu des dockers du Havre, une famille se déchire sur fond de trafic de drogue et de secrets enfouis. Thriller captivant, la série « De grâce », portée par des personnages tragiques et une mise en scène majestueuse, nous offre une tragédie qui dépasse l’intrigue policière. Avec Olivier Gourmet, Margot Bancilhon, Panayotis Pascot… » Et avec l’incontournable Pierre Lottin, jouant parfaitement la tête à claques et le vilain petit canard.

Pierre Leprieur (Olivier Gourmet)  est une figure respectée du  syndicat des dockers du Havre (4000 adhérents ce jour). Mais le soir de ses 60 ans, ses deux fils se retrouvent impliqués dans un trafic de cocaïne et mis en garde à vue. Sa fille, avocate pénaliste, va défendre ses frères qui clament leur innocence. Margot Bancilhon joue à la perfection et on sent tout l’amour d’une fille admirative de son père.

Le casting est solide, la voix Off de Pierrot (Pierre Leprieur) sublime le texte de la série « De grâce » : « Nous les dockers, on a toujours lutté pour faire entendre que cet endroit ne serait rien sans les hommes qui y bossent. Son cœur, ses muscles et son âme, ce sont les docks. Mais l’époque n’est plus la même. Les anciens avaient érigé une digue, un code d’honneur. Le trafic est un engrenage infernal. Marcel (le père de la femme de Pierrot) a vu avant les autres que la digue allait céder. Que les dockers sont des hommes et que, face à l’argent, les hommes vacillent. ». Du grandiose où on est happé d’emblée par l’atmosphère de cette intrigue familiale mais on s’attendait à mieux sur l’ambiance du port du Havre.

Evidemment, le trafic de drogue dont il est question dans la série fait écho au meurtre d’Allan Affagard, au Havre. Mais nous pourrions ajouter que les trafiquants de drogue essaient de gangréner tous les ports français du plus petit au plus grand, et donc pas seulement Le Havre. Qu’il en est de même, en pire, dans les autres ports européens.

Certes les scènes n’ont été tournées sur le port de la Porte Océane puisqu’il s’agit en l’occurrence des docks d’Anvers, en Belgique. Le port du Havre, ses carabots et ses millions de conteneurs dans lesquels transitent des marchandises du monde entier sont vus de loin via les docks du port belge, et c’est dommage.

Par ailleurs la série aurait mérité une connaissance plus approfondie du vocabulaire spécifique des dockers havrais. Un glossaire de l’argot portuaire est donné dans l’excellent livre de Daniel Hamel et Philippe Merrant. Nous aurions entendu parler de la bougette, la brème, la bordanche, un flacu, le Pain d’dix, prendre un tic-tac, faire une voltige etc.

La série aurait pu reprendre la figure de l’anarchiste havrais Jules Durand accusé à tort en 1910 et condamné à avoir la tête tranchée à Rouen. Au moins un portrait dans le local syndical.

S’instruire du passé anarcho-syndicaliste du syndicat des dockers aurait permis de comprendre l’état d’esprit actuel de cette corporation qui accepte une discipline librement consentie. Indépendance syndicale vis-à-vis de tout parti politique, pacifisme…sans oublier que les anciens étaient des libres-penseurs. Et que le secrétaire général CGT est entouré d’une commission syndicale…

On reste donc sur sa faim du fait qu’une place plus importante aurait pu être donnée au milieu portuaire havrais sur le plan humain… Mais bon, la série se laisse regarder comme toute bonne fiction.

Réforme des retraites pour les dockers et portuaires du Havre

Les carabots sont dans l’action pour cette semaine du 5 au 9 février 2024 mais ils pourraient durcir le mouvement si l’Etat ne les entend pas.

La mobilisation se fait crescendo : un arrêt de travail de quatre heures a eu lieu lundi 5 février 2024, puis à l’appel national de la Fédération des ports et docks, une grève de 24 heures mercredi 7 février. Les dockers et portuaires ont bloqué tous les accès aux terminaux le matin. D’immenses panaches de fumée  ont voilé le ciel havrais. Des pneus ont brûlé et noirci l’atmosphère. Et la Fédé vient d’annoncer trois nouvelles journées de grève d’ici à la fin février.

En réalité, les travailleurs dockers et portuaires n’ont jamais cessé leur combat, engagé en 2023, contre la réforme des retraites. Déjà contre la réforme des retraites pour aller à 62 ans, c’était négatif, alors c’est évident que le passage à 64 ans passe encore plus mal.

Les dockers ont choisi de bloquer tous les terminaux : le terminal de l’Europe, l’Atlantique, Les Amérique, le terminal roulier de Bougainville, le multivrac ou encore le multimodal mais aussi à la porte François 1er qui mène à Port 2000 et à la CIM. Il ne faut pas oublier que 5000 camions passent tous les jours sur le port du Havre, c’est dire le poids économique du port.

Le syndicat des dockers s’exprime par la voix de son secrétaire général : « C’est une réforme injuste et injustifiée. Nous, dockers, avons une espérance de vie inférieure de huit ans à celle des autres travailleurs. […] L’amiante, les lombalgies, la surdité et plus de cancers… Voilà la pénibilité et les conséquences de notre métier, sans oublier les appels sur les jours de repos parce que des bateaux arrivent.»

Le syndicat compte aujourd’hui 4 000 adhérents dont 2 800 dockers actifs. Depuis 2023, les heures supplémentaires et shifts exceptionnels sont supprimés.

De leur côté, les travailleurs portuaires d’Haropa ont signalé leur mouvement avec plusieurs  grands feux de pneus et se sont rassemblés devant le centre administratif d’Haropa Port au Havre.

Ils réclament aussi, à juste titre, un départ à la retraite à 55 ans. La Fédération des ports et docks réclame aussi, par cette mobilisation, une somme de 10 milliards d’euros dans le développement des ports. Le responsable syndical des portuaires du Havre indique : « Alors que l’Europe investit massivement dans les ports du range nord ou en Espagne, il n’y aura pas un centime pour la France. Le canal Seine-Nord risque de détourner le trafic parisien vers les ports du Nord ».

« Si on n’a pas de réponse, on continue la lutte et on est déterminés », assurent les syndicalistes. Jusqu’au blocage des ports de France s’il le faut?  La balle est dans le camp du gouvernement. Sans réponse de sa part, il y aura en effet une montée en puissance de la lutte, préviennent les dockers.

Malgré un trafic global en baisse, Haropa port a augmenté son chiffre d’affaires de presque 10 %. De l’argent, il y en a. Il suffit de trouver un accord pour les retraites.

Un point d’histoire

Dans sa réponse à Gaston Leval, Albert Camus écrivit en 1952: « Nous devons alors trouver en nous-mêmes, au cœur de notre expérience, c’est-à-dire à l’intérieur de la pensée révoltée, les valeurs dont nous avons besoin. Si nous ne les trouvons pas, le monde croulera, et ce n’est peut-être que justice, mais nous nous serons écroulés avant lui, et ce sera infamie.[…] Bakounine, cet infatigable révolutionnaire savait lui-même que la vraie réflexion va sans cesse de l’avant et qu’elle meurt à s’arrêter, fût-ce dans un fauteuil, une tour ou une chapelle. Il savait que nous ne devons jamais garder que le meilleur de ceux qui nous ont précédés. Le plus grand hommage, en effet, que nous puissions leur rendre consiste à les continuer et non à les consacrer : c’est par la déification de Marx que le marxisme a péri. La pensée libertaire, à mon sens, ne court pas ce risque ».

Goulago (GLJD)