Certains croient le socialisme enterré parce que le bolchevisme s’est effondré en Russie et que le Parti socialiste en France est réduit à peau de chagrin. C’est voir les choses à une échelle qui n’est pas celle de l’histoire et du temps. Les solutions socialistes subsistent, qu’il s’agisse de celles qu’on a mal utilisées ou de celles qu’on n’a pas employées encore. Les idées socialistes, au nombre desquelles les idées socialistes libertaires, vont peut-être rester un moment dans le creux de la vague, comme celles des Encyclopédistes sous la Restauration, qui reparurent en 1830, en 1848, puis concrètement et plus durablement après 1870. Et malgré la chute de la Commune. Le socialisme libertaire reste donc une voie à explorer.
La déliquescence du Parti Socialiste
Comment le Parti socialiste qui ne manquait pas de politiciens retors s’est-il laissé manoeuvrer jusqu’à la consomption où nous le voyons sombrer depuis une vingtaine d’années ? La cause de discrédit n’est pas douteuse : il n’a pas réalisé les grandes choses que le peuple, à tort ou à raison, attendait de lui. Il a disposé, pendant un temps suffisamment long, d’un pouvoir majoritaire. Il avait promis de « changer la vie », de changer la société, et il avait tous les atouts principaux pour le faire étant donné le nombre de députés, présidents de régions, maires de grandes villes élus sous l’étiquette socialiste… Le chômage n’a pas été vaincu et avec Mauroy, ce fut le tournant de la rigueur, sans compter les promesses non tenues. Le P.S. n’a pas changé les choses, n’a pas changé la société d’où sa disqualification dont sa chute est la conséquence. Alors pourquoi ce parti de gouvernement n’a-t-il pas changé la société, n’a-t-il pas réalisé le socialisme ?
Tout d’abord, la plupart des personnes qui ont voté « socialiste » ne savent pas ce qu’est le socialisme, et si elles veulent mettre au premier rang les droits des travailleurs, elles n’ont pas de vue précise du socialisme qu’elles souhaitent ni les moyens possibles pour l’instaurer en dehors des traditionnelles élections. La versatilité des consultations électorales n’est plus à démontrer et les électeurs socialistes d’hier, se sentant trahis, ne sont plus ceux d’aujourd’hui.
Chaque état-major politique a ses séides et ses professionnels de la politique. L’état-major socialiste dont bon nombre sont issus des rangs trotskystes savent très bien ce qu’est le socialisme doctrinal mais, arrivés au pouvoir, n’ont plus aucune envie de le réaliser. La lutte des places remplace la lutte des classes. Le mot « socialisme » a servi et peut encore séduire un électorat crédule mais aujourd’hui les temps sont plus difficiles car les gens ont du recul. Aristide Briand, à l’aube de la troisième république fut un partisan de la grève générale puis il sera onze fois président du Conseil et vingt-six fois ministre sous la Troisième République. Beau carriérisme. Laval a commencé socialiste et a fini dans la Collaboration comme beaucoup d’anciens socialistes ou communistes (Doriot…).
Plus près de nous, Rocard fut membre du PSU, classé à l’extrême gauche, puis il exerça la fonction de Premier ministre de 1988 à 1991 sous Mitterrand. Si les voies du seigneur sont impénétrables, nous constatons que les ambitions conduisent souvent du militantisme « pur et dur » au conformisme des gens arrivés.
En clair, les politiciens socialistes ne voient le socialisme qu’au travers du prisme des résultats électoraux qui génèrent sièges de parlementaires, fauteuils ministériels, voire présidences (Mitterrand, Hollande).
Ainsi, certains militants de base, dévoués et sincères, pensent qu’avec des réformes, quelques doses de socialisme dans le capitalisme…il est possible d’arriver au socialisme. Nous notons que ce sont les mobilisations ouvrières qui ont permis des avancées sociales (congés payés…) et non les parlementaires, de leur propre initiative. Le réformisme a donc échoué et le socialisme qui devait changer la vie aussi. Il faut dire qu’un Premier ministre comme Jospin et plus tard un Manuel Valls ne se revendiquaient plus du socialisme. Qu’un 21 avril 2002 vint remiser Jospin au placard. Et en 2017 ce fut Macron, un ancien ministre d’Hollande qui supplanta ce dernier.
L’Etat économique des sociétés actuelles montre que, pour changer les choses de manière bénéfique aux plus démunis et aux travailleurs, il faudrait une révolution. Mais les socialistes ne sont pas prêts à la faire d’autant que la composition sociologique du PS actuel ne comprend plus guère d’ouvriers, de paysans et de chômeurs.
La déliquescence du Parti Communiste
De Maurice Thorez à Jean-Paul Sartre, de Louis Aragon à Georges Marchais, tous les communistes possédaient le code de décryptage analytique reposant sur l’interprétation orthodoxe, c’est-à-dire léniniste et stalinienne, des écrits et du message politique de Karl Marx. C’était l’époque de l’URSS, un bilan globalement positif, le socialisme réel sur un sixième du globe…malgré ses millions d’assassinats.
Pourtant la doxa marxiste n’avait pas prévu la fin de l’URSS qui est tombée comme un château de cartes en décembre 1991. Le grand effondrement du marxisme qui était censée être la fin de l’histoire. Ceux qui pratiquaient et professaient doctement le marxisme n’avaient rien vu venir. La boussole marxiste n’est plus aimantée.
Les anarchistes n’ont jamais été dupes de la mystification de la patrie du socialisme. Déjà, Bakounine et autres Jurassiens avaient perçu très lucidement ce que risquerait de devenir une société fondée sur un socialisme autoritaire, quelle en serait l’évolution et quels vices internes menaceraient ses destins. Les faits leur ont donné raison. La dislocation du capitalisme d’Etat en Russie, où l’on usurpait le nom de socialisme, ne laisse aucuns regrets chez les libertaires.
En 1992, l’homme nouveau n’est pas apparu mais le désordre économique et politique a ressurgi : guerres ethniques, triomphalisme revanchard des religieux orthodoxes, éruptions de panslavisme, mafias en tous genres, intégrisme en Asie musulmane…les vices de la société capitaliste ont gangréné très rapidement la société russe. L’autocrate Staline n’était plus là pour assassiner et emprisonner son peuple.
La tyrannie partisane avait étouffé la liberté de pensée et aujourd’hui, c’est un autre autocrate, Poutine, un ancien du KGB, qui est aux manettes.
Mais tous les partis communistes européens ont périclité. Leur presse n‘est plus subventionnée par la maison mère russe et il ne demeure qu’un carré d’irréductibles pour regretter Joseph Staline et ses goulags. Pourtant certains s’essaient encore à sortir le grand maître Karl Marx du bourbier dans lequel ses disciples l’ont fourré. Manque de discernement et d’analyse.
La déliquescence de l’anarchisme ?
Au premier abord, il semblerait que les organisations anarchistes ne se portent pas au mieux de leur forme. La F.A. possédait un hebdomadaire et plusieurs groupes libertaires possédaient un organe papier de presse, « le libertaire » par exemple, longtemps mensuel. De nombreux groupes libertaires avaient des locaux pour accueillir les sympathisants…Ce qui est loin d’être le cas de nos jours.
Mais si l’anarchisme d’organisations périclite lui aussi comme le PS ou le PC, cela ne veut pas dire que les idées anarchistes ne circulent plus et ne sont plus en vogue. Au contraire, les libertaires sont bien plus présents sur la toile, en adéquation avec leur temps, et les livres sur l’anarchisme sont de plus en plus nombreux à être édités grâce à quelques équipes militantes. L’écologie radicale puise dans les racines profondes de l’anarchisme pour mener à bien ses actions et la réflexion.
Pour nous autres anarchistes, la réalité ne se conforme à long terme à aucun dogme parce que sa remise en cause et sa remise à jour dépendent de facteurs sans cesse variables et de paramètres qui sont toujours à rectifier. Fidèles à nos invariants, nous n’avons aucun intérêt à calquer nos analyses sur celles des marxistes ou des réformistes, leurs déboires sont suffisamment éloquents pour qu’on n’emprunte pas la même voie.
A ce titre, de nombreux compagnons ont pensé à tort que le déclin du PC annonçait des jours meilleurs pour l’anarchisme sur le plan militant. Force est de constater que l’analyse était mauvaise. L’extrême-droite par contre se refait une santé par effet de balancier. Et là, l’antifascisme ainsi que la crise du dérèglement climatique sont les deux problèmes à traiter urgemment par les libertaires.
Burno (GLJD)