Système absurde et injuste

Ni dieu ni maître ni tribun ni prophète

Il ne faut surtout pas que, sous couvert de combattre l’intégrisme musulman, on favorise ou stimule le racisme et la ségrégation. Mais il ne faut pas non plus que, sous prétexte d’antiracisme, on fasse preuve d’aveuglement et d’indulgence envers l’intégrisme, danger majeur- dans toutes les confessions – pour la laïcité et pour la liberté de pensée.

Le Libertaire – Janvier 1988

Absurde et injuste

Tous les systèmes sociaux sont viables, même les plus injustes et les plus absurdes. Il n’était pas juste, ni très logique, que, dans la Grèce et la Rome antiques, dans l’empire Ottoman et jusque dans les Etats-Unis du XIXè siècle, une partie de la population fût esclave, c’est-à-dire obligée de travailler sans recevoir de salaire, sans posséder aucun bien, sans jouir d’aucun droit.

Pendant des siècles, une catégorie d’hommes a évité et fui le travail tout en profitant au maximum des bienfaits que celui de la multitude leur procurait. Le travail était tenu pour une malédiction et l’état oisif comme un honneur.

Les choses et les mentalités ont évolué. De nos jours, tout le monde se targue d’exercer un métier plus ou moins utile, d’effectuer un labeur plus ou moins rémunéré, d’assurer une production quelle qu’elle soit ou un service. Cependant, la science s’est ingéniée à rendre le travail de moins en moins nécessaire, de sorte qu’une large fraction de la population en est privé (à temps complet ou à temps partiel), et du même coup, se trouve exclue des avantages que la revendication séculaire des masses avait fini par faire obtenir à celles-ci. Sans compter les boulots à la con dénoncés par David Graeber où plus on fait un travail d’utilité sociale moins on est reconnu et payé.

Autrefois, les déshérités majeurs étaient des esclaves, affectés aux plus durs travaux. Aujourd’hui les grands déshérités sont les chômeurs, qui n’ont plus de travail du tout et que le gouvernement Attal entend indemniser de moins en moins. Situation absurde et injuste, mais, répétons-le, les systèmes sociaux les plus absurdes et les plus injustes sont viables. Ils ne changent, et leur stabilité n’est compromise que si une révolution les bouleverse, ou lorsqu’une lutte interne les agite et en corrige les perspectives et les fondements.

Sans être de ceux qui rejettent systématiquement sur la société la responsabilité de tous les maux, comme si cette grande coupable n’était composée que d’individus innocents, nous sommes en droit de rechercher si les absurdités et les injustices dont se plaignent tant de gens ne viennent pas de la manière dont elle est organisée.

Comment un système social qui n’accorde le nécessaire que contre de l’argent, et qui ne donne de l’argent qu’en échange de travail, ne serait-il pas menacé d’ébranlements brutaux et profonds le jour où, comme c’est le cas à l’époque contemporaine, il n’est plus capable de procurer du travail à tout le monde, ni par conséquent d’assurer le nécessaire à chacun ?

Le remède majeur dont on use traditionnellement pour atténuer ce vice économique est la charité. Mais la charité n’établit pas l’égalité des conditions, elle entretient la misère à jamais, parce que contrairement aux mesures collectives de solidarité, elle suppose toujours la même main qui donne à la main qui reçoit, elle implique à titre permanent l’existence de la richesse et de l’indigence, de la pléthore et du besoin. La charité, quelle que soit sa valeur morale, ne saurait constituer une solution quand la surabondance des biens produits provoque la convoitise et incite à la prodigalité. En rendant moins sensibles les défauts du système, elle les éternise. C’est pourquoi, malgré ses efforts et ses vertus, les ébranlements dont nous venons de parler – profonds et brutaux – sont à prévoir. Ils sont quelquefois à souhaiter, même si leurs abus et leurs déviations sont à craindre.

PVB