Le terme « libertaire » est synonyme d'anarchiste

Moulin menhirs

Que d’ignominies ont été déversées sur les idées anarchistes, ou si vous voulez les idées libertaires. La capacité de falsifier l’anarchisme a toujours eu cours, autant du côté des communistes autoritaires que des libéraux. A entendre les communistes léninistes, toutes tendances confondues, l’anarchisme serait d’essence petite bourgeoise, même si l’implantation libertaire dans le milieu ouvrier n’est plus à démontrer. A écouter les libéraux les plus purs, et du moins au niveau théorique, on arrive à une confusion terminologique qui donne des frissons.

Le terme « libertaire » est synonyme d’anarchiste, n’en déplaise à ceux et celles qui essaient de détourner et récupérer  le mot « libertaire ». D’ailleurs, notre mensuel « le libertaire » est une revue de synthèse anarchiste. Les « libertariens » n’ont donc rien à voir avec l’anarchisme. Les libertaires visent la suppression de toute autorité coercitive et une communauté d’hommes libres et égaux, deux notions qui sont liées sans équivoque. Certains  libéraux de longue date, qui se vantent maintenant d’être des libertariens et même parfois des anarchistes, comme le savent tous ceux qui ont la moindre connaissance en politique, se remplissent la bouche de liberté, mais nient l’égalité en l’identifiant de manière grotesque et simpliste à un régime totalitaire. Il est curieux que l’origine du mot libertaire, en français, ait été inventée par un anarchiste au milieu du XIXe siècle précisément pour critiquer et se différencier du libéralisme économique. C’est près d’un siècle plus tard, bien avant dans le 20ème siècle, que le terme libertarien entre en jeu en anglais, d’origine incontestablement conservatrice, comme on peut le constater  quand on voit ceux qui l’utilisent, pour inviter à la confusion dans notre langue et surtout dans les idées. Peu de temps après, ils ont commencé à parler d’un anarchisme de droite ou d’anarcho-capitalisme ou peu importe, comment ils veulent l’appeler. C’est qu’à écouter ces pseudo-libertaires, dont le peu de contribution aux idées classiques du libéralisme les pousse peut-être dans cette confusion terminologique ; peu importe, on ne peut qu’être indigné. De cette façon, ils parlent avec mépris d’un anarchisme qu’ils jugent collectiviste et gauchiste, et plaisantent sur la méconnaissance de l’économie de ceux qui ne portent pas, comme ils le font clairement, la vérité pure et révélée. Il va sans dire, que le débat et la confrontation d’idées à la recherche d’un horizon novateur et émancipateur paraissent merveilleux, et dignes d’une société minimalement libre. C’est pour le moins étrange de monopoliser des termes qui sont, dans une large mesure, antagonistes. Il est vrai qu’il existe des idées qui pourraient sembler coïncidentes sur une société libre, mais l’anarchisme a déjà fait une critique précoce et féroce du libéralisme économique et pris un engagement envers l’autogestion sociale dans tous les domaines de la vie. Nous insisterons sur le lien intime entre les concepts de liberté et d’égalité, avec toute la complexité que cela comporte, et sur l’éradication de toute autorité coercitive, également dans le domaine économique. S’il est vrai que libertariens et libertaires peuvent avoir une consonance similaire, c’est par une habile mystification étymologique que des gens qui défendent simplement quelque chose de très différent contribuent au mensonge et au dénigrement de l’anarchisme authentique. C’est notre devoir de le dire. Il en est de même dans le domaine du droit. Chez Bakounine on trouve déjà un rejet de tout ordre artificiel qui tente de légitimer la hiérarchie sociale, qu’elle soit divine ou humaine, et une apologie des lois naturelles, comprises comme l’éveil du monde du travail, de la science, de la liberté et de l’égalité ; c’est-à-dire une organisation par le bas grâce à la libre association de tous les groupements de producteurs. Cette vision de la liberté portée à l’organisation sociale doit aussi être transposée dans le domaine du droit; plus tard, Malato, dans sa Philosophie de l’anarchisme, fera une distinction simple et efficace entre le droit, inhérent à tout être humain en tant que garant de sa vie et de son bien-être, et le droit, qui fait généralement allusion à l’ordre politique hiérarchique.

On se souvient d’un autre grand penseur anarchiste, Kropotkine, avec une vision, sûrement et peut être, trop optimiste sur l’évolution sociale et humaine. Ici, on peut aussi déduire une certaine vision du droit coutumier lorsqu’il appelle aussi une association libre basée sur l’accord mutuel, ainsi que des normes et coutumes continuellement révisées pour éviter toute rigidité et subordination à ce qui est établi. Dans ce cas, notre vision plurielle et décentralisée ne doit pas nous dispenser d’enregistrer certains accords pour permettre la fluidité et l’évolution de la vie sociale ; ainsi, il peut être considéré comme une confirmation de l’accord mutuel, et non comme une obligation fondée sur la coercition. Auparavant, on pouvait trouver chez Proudhon une vision du fédéralisme plus réglementaire que constitutive des rapports socio-économiques, un garant du pluralisme et de l’harmonie entre les différents groupes.  On voit chez lui une forme de contrat libre bien différenciée de la fiction du « contrat social » fondateur de l’État, puisqu’elle repose sur un « pacte positif, effectif, effectivement proposé, discuté, voté, adopté et régulièrement modifié au gré des parties contractantes. C’est une reconstruction de la vie sociale basée sur le libre accord. Albert Camus revendiquera également quelque chose de similaire quand il rappelle que cet accord est basé sur l’affectivité, celle qui se donne d’ami à ami.

Pour l’instant – plus que jamais – il est clair que les  menaces qui pèsent sur nous, en tant qu’individus, sont l’aliénation et la logique du toujours plus du système de domination et d’exploitation capitaliste, converti en paradigme de civilisation. Un paradigme « civilisateur » qui a conduit et continue de conduire l’humanité à épuiser la planète Terre, notre habitat et notre source de vie.

Les dangers écologiques et climatiques présents et qui s’annoncent encore plus destructeurs à l’avenir doivent nous faire prendre conscience que l’on doit donner la priorité à ce qui est essentiel à la vie de tous sur une planète vivable et durable.  Surtout après avoir vérifié le coût -en vies humaines et en souffrances multiples- de la gestion irrationnelle et criminelle du réchauffement climatique dans le monde, pour continuer à donner la priorité à l’activité économique sur la vie des gens. C’est-à-dire favoriser les profits de quelques-uns au détriment de la santé et de la vie du plus grand nombre.

De toute évidence c’est une nécessité, une grande urgence, de changer ce paradigme, aujourd’hui dominant sur l’ensemble de la planète. Aussi, nous devons autant que possible développer la conscience des dangers qui menacent l’être humain en ravivant le désir d’émancipation de toute forme de domination et d’exploitation de l’homme sur l’homme et le respect de la Nature ; car, outre que cette prise de conscience et ce désir sont un véritable antidote à la servitude volontaire qui prédomine aujourd’hui dans nos sociétés, c’est aussi un véritable antidote à la chimérique illusion individualiste de croire qu’on ne peut se sauver que dans un monde où la loi du plus fort règne et la logique du chacun pour soi.  Ici, les libertariens, notamment américains, n’ont aucune alternative crédible et émancipatrice à proposer contrairement aux anarchistes d’aujourd’hui.

C’est donc cette conviction qui pousse, aujourd’hui comme hier, les anarchistes à redoubler d’efforts sur l’aspiration émancipatrice de l’être humain. Non seulement parce que cette aspiration a été le principal moteur de l’évolution de la conscience humaine à travers l’histoire et qu’elle continue de donner à l’homme la dignité et le courage de lutter contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation, mais aussi parce que, cette aspiration à un monde d’égalité – où chaque être humain voit l’autre comme son égal et se considère redevable de sa solidarité – ne nous semble pas possible sans leurs pratiques d’entraide et de gestion directe.

De plus, après avoir confirmé le fiasco humain et social auquel a abouti le renoncement de fait à l’aspiration à l’émancipation, comment ne pas espérer que demain elle sera à nouveau la principale motivation des hommes à continuer l’histoire avec l’espoir d’une vraie fraternité et d’une idée de progrès pour tous ? Et cela parce qu’avec toutes les connaissances ethnographiques et historiques dont nous disposons aujourd’hui, nous savons que l’inégalité et la domination ne sont pas une fatalité. Qu’il est possible de réécrire l’histoire du monde contrairement au roman historique traditionnel, zemmourien ou pas, puisque les investigations scientifiques des dernières décennies -en archéologie, anthropologie et disciplines voisines- nous enseignent que l’évolution des sociétés humaines, au cours des trente mille dernières années, n’a pas été une marche irréversible vers l’inégalité mais plutôt «un monde d’expérimentation sociale audacieuse, bien plus proche d’un panel de formes politiques que de lointaines abstractions suggérées par la théorie de l’évolution. En réalité, dans de nombreuses communautés qui commençaient à cultiver la terre, les hiérarchies sociales étaient quasi inexistantes. Elles sont cependant devenues très hiérarchisées à l’époque mégalithique. Il faudrait analyser plus en finesse le rôle de l’accaparement des richesses, de la religion, de la division du travail…Quant aux premières villes, loin d’avoir gravé dans le marbre les différences de classe, elles étaient étonnamment nombreuses à fonctionner selon des principes plutôt égalitaires, sans recourir à des despotes, des politiciens-guerriers ambitieux ou des chefs autoritaires ». Outre le fait aussi que les dominés n’ont jamais cessé de lutter contre la domination de cette classe de tuteurs et suceurs de sang, et que ces combats ont été et continuent d’être le principal moteur de l’histoire.

Jean (Paris), pour le libertaire