
Sociabilité anarchiste
Est-ce si compliqué d’aller bien ou du moins mieux. Ce que l’on sait c’est que s’occuper des autres dans le cadre de son métier salarié peut être épuisant et douloureux : milieu hospitalier, milieu médico-social, l’enseignement…Que de Burn out et de souffrances. Combien de personnes se perdent dans le soin aux autres. Sans compter le théorème de David Graeber : « Plus on exerce un métier d’utilité sociale, moins on est rémunéré ». Souvent ces métiers sont même dépréciés et pointés du doigt vis-à-vis de l’opinion publique. Et ce sont les politiciens et les gouvernements qui favorisent cette dépréciation pour moins payer ces travailleurs.
Par contre si l’on prend soin de soi et des autres en se sentant utile, en dehors du salariat, cela peut nous aider à vivre mieux. Et si l’on arrive à travailler moins pour vivre mieux comme le disait la CNT sur de vieilles affiches maintenant, c’est encore mieux. Et selon le chercheur en neurosciences Jaak Panksepp, prendre soin des autres fait partie des besoins primaires des mammifères humains. Nous pourrions ajouter que l’entraide est un facteur d’évolution selon Kropotkine. Donc prendre soin des autres et s’entraider peut nous aider à aller mieux.
Et peut-être que lutter peut nous faire sentir mieux, davantage fiers, loin de la servitude volontaire. Et comme le dit un copain métallo du Groupe libertaire Jules Durand (GLJD), en attendant le Grand Soir, les petits soirs entre potes, c’est pas désagréable et faute de mieux ça entretient la sociabilité anarchiste. Lors de discussions où l’on refait le monde, ces dernières nous amènent à repenser nos rapports au monde, aux autres et finalement à nous-mêmes. Ce qui n’est pas si mal. Donc on en arrive à échanger sur la bonne bouffe. Pas de produits ultra-transformés, des légumes Bio ou du producteur local et du bon vin. Parfois les compagnons se heurtent au problème financier car bien manger coûte plus cher que mal manger. D’autres se heurtent au problème de temps ; quand on bosse on n’a pas forcément le temps de faire son marché ou d’aller à la ferme du coin. Mais bon, on est d’accord sur le fait de surveiller ce qu’on mange. Ou comme le dirait avec humour le fils d’un copain : « il faut varier les poisons ».
Ce qui fait sens commun entre nous, c’est l’anticapitalisme bien sûr mais aussi le sens de l’empathie. Toutes les injustices nous touchent, à des degrés divers, certes, mais nous ne rendent pas insensibles. On ne se moque pas du sort des autres même si parfois on se dit que les gens donnent le bâton pour se faire battre ou offrent des verges pour se faire fouetter. Cette fameuse servitude volontaire où ceux qui sont dominés ne peuvent pas s’empêcher d’être serviles. C’est aussi le rôle du militant de dénoncer ces travers et de proposer une alternative : autonomie ou servitude ?
La difficulté, c’est de trouver le juste équilibre entre le fait de prendre soin de soi, ce qui pourrait s’apparenter à de l’égoïsme mais ne l’est pas, et prendre soin des autres en tant qu’altruiste, ce qui nous fait aussi du bien. Ce fameux équilibre proudhonien qui peut changer à chaque fois qu’un déséquilibre se produit. Pour nous, il n’y a pas de priorité dans les luttes qui ont toutes leur raison d’exister : lutte contre le patriarcat, pour l’écologie sociale et libertaire, lutte pour les sans-papiers, les travailleurs exploités, les handicapés, le vivant dont les animaux etc. Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est la lutte contre toutes les dominations, injustices et le but demeure une société d’égalité économique et sociale dans la liberté.
Les militants sont pressés et veulent tout, tout de suite, mais la vie ne suit pas la trajectoire des desiderata militants. Certains plus philosophes disent qu’il faut prendre son temps, que chaque individu doit faire sa révolution personnelle, s’améliorer, s’instruire davantage et font l’apologie de la lenteur, de la progression. D’autres se référant à Elisée Reclus pensent qu’il y a une linéarité qui peut être brusquée par des soubresauts, un peu comme dans la nature, et c’est à ce moment qu’il faut donner toutes ses forces pour que le changement aille le plus loin possible. Evolution Révolution.
Esprit critique, résistance aux diktats de la consommation, de la virilité, du quand dira-t-on…voilà aussi une ligne de conduite qui nous séduit car ces objectifs peuvent être appliqués sans que cela nécessite beaucoup d’efforts ni pertes financières.
Nous relatons régulièrement dans notre journal des alternatives qui se mettent en place ici et là. Aujourd’hui, c’est à certains habitants de Douarnenez que nous voulons rendre hommage. Il existe un squat aux Roches blanches qui fonctionne de manière libertaire avec une cinquantaine de personnes depuis une dizaine d’années dans d’anciens locaux de la Ligue de l’Enseignement. Leur sort sera fixé en septembre car les locaux qu’elles ont occupés en évitant les dégradations et en les entretenant vont être mis en vente. Nous en reparlerons ultérieurement.
Toujours à Douarnenez, durant l’été, il existe « Du marché à l’assiette » qui propose une fois par semaine des produits Bio et des repas festifs, à prix libre, pour sensibiliser et permettre à tous d’accéder à une alimentation de qualité. Comme dans certaines villes pour les comédiens qui sont payés au chapeau, ici en échange de produits, chacun met ce qu’il veut dans la boîte. Personne ne contrôle, c’est la confiance qui règne. Qu’est-ce que ce « Du marché à l’assiette » ? L’idée est originale: de bons produits bio sont proposés, issus de producteurs locaux, accessibles à tous, quelle que soit la somme que chacun veut ou peut déposer. Et puis après le marché vient un repas partagé, à prix libre également, et cuisiné sur place par les volontaires. Qualité et convivialité sont les maîtres mots de ce marché alternatif. Voilà qui fait du bien en partageant.
Goulag (GLJD) et Gwenn (56)