La brutalité meurtrière dont Rémi a été victime peut être située dans différents contextes :
Celui du soutien par l’Etat d’un de ces projets inutiles qui ne sont tenus que pour satisfaire une poignée de gens avides de fric, au mépris de tout ce qu’on sait, de tout ce qu’on dit (et accessoirement de tout ce qu’on enseigne) sur l’agriculture productiviste coûteuse (en subventions européennes, et ici en construction – 8,4 millions d’euros), gaspilleuse (en superficie, en eau, en énergie) et polluante.
Celui plus général de l’indifférence à l’humain, qui va avec l’absence d’information, de discussion, bref de démocratie ; on retrouve cette brutalité quand on expulse un père de famille au motif qu’il n’a pas les bons papiers, qu’on refuse de prendre en compte correctement les victimes de l’amiante, qu’on démantèle un camp rom au petit matin… chacun peut allonger la liste de ces injustices qui maltraitent toujours et aujourd’hui vont jusqu’à tuer.
Cette brutalité-là, tenace, muette, on a beau la connaitre, elle nous stupéfie malgré tout. On ne l’explique pas totalement par la défense des intérêts de tel ou tel groupe de privilégiés ou d’une institution d’Etat. C’est aussi une posture : ces gens-là sont « droits dans leur botte », raides « comme des cadavres », selon la formule jésuite ; il est impensable pour eux de sortir du cadre, de prendre en compte, de réfléchir, de laisser parler l’empathie.
Reviennent en mémoire les mots de Paul Eluard :
« Regardez travailler les bâtisseurs de ruines, ils sont riches patients ordonnés noirs et bêtes
Mais ils font de leur mieux pour être seuls sur cette terre
Ils sont au bord de l’homme et le comblent d’ordures »
Mais alors, que peut-on faire ?
Certainement pas les imiter, jouer à la guerre et la perdre : les meilleurs ( = les pires) gens d’armes sont bien les gendarmes.
Il nous faut d’autres armes que de dérisoires projectiles. Ces armes, nous les connaissons :
C’est d’abord savoir et faire savoir, car nos combats ne sont pas suffisamment connus – ils sont donc ignorés ou minorés. Il est indispensable connaître les luttes pour les droits humains pour qu’ils sortent du cercle étroit d’un lieu et des enclaves militantes, il est indispensable aussi qu’ils soient dits dans une langue claire afin que leur force s’accroisse de leur rayonnement.
Et les combats pour l’environnement ne doivent pas rester le lot de spécialistes ou de lieux particulièrement concernés : l’air, l’eau, les paysages, l’alimentation, ce sont des réalités que nous ne pouvons pas ignorer, ni dans nos vies, ni dans nos actions, ni dans nos enseignements. Sauf à ressembler à ces décideurs.
Notre arme, c’est aussi et surtout travailler à ce qu’existent des personnes debout et des groupes solidaires. C’est notre raison d’être enseignants : souligner l’importance des enjeux sociaux, faire tout ce que l’on peut dans l’émergence de solidarités, entre élèves et parmi nos collègues est le seul rempart que l’on peut construire, jour après jour, contre l’indifférence. Essayer de mêler sensibilité et intelligence à la pâte quotidienne, parfois épaisse, de notre enseignement : quelle autre réponse, celle d’un aujourd’hui tourné vers demain, aux horreurs d’un aujourd’hui qui répète le pire du passé ?
Car « la seule manière de combattre le pire, c’est de vouloir le meilleur. » (Raoul Vaneigem).
Texte de Jean-Pierre Fournier (Enseignant participant à l’aventure Questions de classes)