Parfum
Une belle fille qui passe
Met toujours les sens en émoi ;
Tout naturellement sa grâce
Agit sur vous, agit sur moi ;
Elle s’éloigne dans la rue
D’un léger pas harmonieux ;
Sa silhouette est disparue
Qu’on l’a toujours devant les yeux
Et qu’on hume ainsi qu’un ilote,
Jusqu’à ce qu’il soit effacé,
Son parfum qui mousse et qui flotte
Où son ombre fine a passé.
Les gars du bâtiment
Les gars du bâtiment ont construit des châteaux
Qu’ils ont ornementés d’admirables sculptures ;
Leur tâche était pénible, et nombreux ceux qui furent
Par une mort fortuite accaparés trop tôt ;
Les palais terminés, des oisifs les peuplèrent ;
Courtisans et putains, favoris et mignons ;
Mais quant aux travailleurs et quant aux compagnons,
Après avoir perçu leur malingre salaire,
Tout simplement ils s’en allèrent
Sans résistance et sans colère
Dans les taudis bourbeux où leur roture avait
Le devoir et le droit de vivre et de crever.
Les gars du bâtiment ont construit des casernes,
En fignolant les murs avec beaucoup d’amour ;
Puis ils ont dû chômer pour y faire un séjour
Sur l’ordre impérieux des gens qui nous gouvernent ;
Cela ne leur plaisait qu’à demi : qu’importait ?
Ils maudissaient la guerre en leur coeur, mais qu’y faire ?
La consigne était rude et l’adjudant sévère ;
Hélas ! Oui, ces locaux où meurt la liberté
Sont de préférence habités
Par ceux-là qui les ont montés,
Au rebours des palais où les lits et les tables
N’offrent qu’aux paresseux des langueurs confortables.
Les gars du bâtiment ont construit des prisons ;
Ensuite, ayant souffert d’un hiver de famine,
Ils s’en sont pris, d’un air qui nargue et récrimine,
Aux biens et aux pouvoirs et à ceux qui les ont.
La police a foncé sur les gars responsables,
On les a dirigés sur la maison d’arrêt ;
Ils se sont révoltés, et plusieurs, il paraît,
Ont heurté sans répit de leurs poings courrouçables
La muraille – indémolissable
Grâce à la chaux et grâce au sable
Dont, de leurs propres mains, ils l’avaient su bâtir
Pour empêcher les parricides d’en sortir,
Les gars du bâtiment ont construit des églises
Pour entendre prêcher sur le bienfait chrétien
Des gens qui n’en croyaient et qui n’en faisaient rien
Et qui du droit des forts extrayaient leurs devises ;
Ils se sont résignés, tant on les convainquit ;
Si les grands festoyaient quand eux manquaient de chère,
Un curé rubicond leur enseignait en chaire
Que manger est du luxe et qu’un jeûne est exquis ;
Exploités, abusés, conquis,
Prêts à servir n’importe qui,
Ils se sont prosternés humblement sur les dalles,
Eux qui venaient d’échafauder les cathédrales !
Les gars du bâtiment n’avaient pas dans leur main
Que des pics, des marteaux, des clous et des truelles,
Ils avaient avant tout nos libertés réelles,
Ils avaient l’avenir et le possible humain ;
Ils pouvaient dire : « A tous confort et paie sur terre !
Ils pouvaient dire aux grands, aux querelleurs : « Assez !
Nous ne construirons plus si vous démolissez !
Les canons interdits n’auraient pu que se taire,,,
Hélas ! Les plus humanitaires
Sur les vils chantiers persistèrent
A bâtir des logis fatals à nos lutteurs
Et des châteaux princiers pour leurs persécuteurs,
Poème de Pierre-Valentin Berthier