NOTE SUR UN COLLOQUE « scientifique »
La commission française pour l’éducation, la science et la culture avait organisé un colloque à l’abbaye de Royaumont du 28 juin au 3 juillet dernier sur le thème : Jean-Jacques Rousseau et l’homme moderne. Les organisateurs avaient invité d’éminents spécialiste français et étrangers de Rousseau ainsi que de nombreux universitaires, à confronter leurs vues sur l’actualité de l’œuvre du citoyen de Genève. A côté de cette cohorte de pas leurs gouvernements respectifs, une petite poignée de francs-tireurs, de journalistes et d’écrivains, une sorte de prolétariat intellectuel était chargée de faire entendre la voix de la plèbe qui, après tout, à son mot à dire lorsqu’il s’agit de Jean-Jacques. Il échut à notre camarade Georges Navel de dire ce que signifiaient les « idées sociales » dans le monde moderne et en quoi elles se rattachent à celle de Rousseau. L’auteur de « Travaux », en vrai fils spirituel de tourner le dos aux systèmes et de montrer concrètement la façon dont les idées sociales généreuse du XVIIIe siècle se retrouvaient dans le syndicalisme révolutionnaire mais là seulement, sans doute. En effet, sa conclusion était que les quotidienne de l’ouvrier, ni dans ses conditions de travail. Par contre l’ouvrier découvre parfois les idées sociales dans les milieux syndicalistes et cette rencontre constitue souvent pour lui un véritable choc. En effet, prendre conscience de sa condition, avoir la révélation qu’elle n’est ni l’effet du hasard ni celui de quelque impersonnelle nécessité, cela soulève bien des questions dans son esprit. Peut-on changer les formes sociales ? Peut-on améliorer l’homme ? Navel évoque ensuite les milieux syndicalistes révolutionnaires qu’il connut au lendemain de l’autre guerre et Monatte dont la mémoire est inséparable de tout ce mouvement d’idées, de toutes les espérances qu’il suscita. Mais la révolution russe n’a pas changé l’homme, conclut en substance notre camarade, elle a jeté les fondements d’un pouvoir autoritaire nouveau, créateur de hiérarchies nouvelles qui pèsent lourdement sur les travailleurs et ne leur ont pas apporté la libération collective et personnelle dont rêvait un Rousseau.
Rien de plus modéré on le voit, que l’exposé de Navel. A peine l’avait-il achevé que le délégué soviétique, un pesant pédagogue du nom de Dynnick s’éleva contre les prétendues attaques contre son gouvernement qu’aurait contenues l’exposé de Navel. Illico les camarades français du « parti » vinrent à la rescousse et l’on fit les gros yeux à l’auteur de « travaux » d’avoir troublé par ses remarques la sérénité « scientifique » du colloque. Ce fut dès lors une débauche d’abstractions et de jargon philosophico-sociologique permettant de se donner l’air de parler de tout en ne disant rien. Il fallut tout le bon sens rationaliste d’un Lucien Goldmann pour introduire quelque substance dans ces nuées. On vit le délégué soviétique et le R .P Ravier se congratuler gravement et quelques bons orateurs faire à la tribune un brillant numéro avant de s’éclipser discrètement. De discussion, de colloque il n’y en avait plus guère pour deux raisons majeure. D’abord les professeurs refusaient d’entendre un autre langage que celui de l’école, le leur. D’autre part ces spécialistes enfermés dans leurs systèmes et dans leur rhétorique ne comprenaient guère les questions ou le objections qu’on leur adressait en s’inspirant d’une expérience de la vie comme fit Navel et non simplement de l’une des catégories logiques de leur pensée. Nos mandarins auraient pourtant intérêt à ouvrir les yeux et à ne plus se servir de la dialectique d’une façon aussi mécanique que leurs prédécesseur se seraient du syllogisme.
Pierre AUBERY.