Mendicité

Comme le choléra ou la peste aux siècles jadis, notre époque souffre d’une nouvelle et curieuse épidémie : la mendicité. En des temps plus reculés, le manque d’hygiène corporelle favorisait la propagation des maladies ; aujourd’hui, c’est l’absence d’hygiène sociale qui contraint de plus en plus de laissés-pour-compte à avoir recours à la charité publique. Et le nombre de ces exclus ne cesse d’augmenter.

Mais qui sont-ils ces mendiants ? On a tant proclamé qu’ils sont une plaie, un fléau de notre société qu’on tient la chose comme démontrée. Eh bien, soit… ; la mendicité est un fléau. Mais à qui la faute ? Est-ce la faute du mendiant si sa condition est misérable, ou celle de nos compétents « représentants » ? Quoi, s’indignait Claude Tillier, vous avez privé la famille du mendiant de son patrimoine, et vous faites un crime qu’elle n’en a plus ! Vous l’avez battue, et vous lui reprochez ses plaies ! Les mendiants, c’est vous qui les faites ; et vous leur reprochez leur existence !

Ce que la bourgeoisie reproche au mendiant, c’est non seulement sa pauvreté (il n’a pas « réussi », su se « débrouiller »), mais son prétendu parasitisme : il vit, sans rien faire, de la charité d’autrui. Mais, je vous le demande, qui cela gêne-t-il ? Personne que je sache, n’est obligé de lui faire l’aumône. Chacun est libre de donner ce qui lui convient ou de s’y refuser. Par conséquent, le mendiant ne dépend que de ceux qui consentent à l’aider et n’est pas à la charge des autres. « Son pain quotidien, dit encore C. Tillier, est composé d’une multitude de miettes, qui lui viennent il ne sait d’où. » Le mendiant n’est ni un exploiteur ni un être nuisible.

La mendicité légale

Il est en revanche une catégorie de mendiants qui, elle, est particulièrement nuisible, vorace et encombrante. C’est celle qui représente les différentes formes d’autorité : Etat, police, clergé, administration, etc.

Avec l’Etat, nous n’avons pas la faculté de nous soustraire à cette forme de mendicité (particulièrement exigeante) qui a nom « impôt ». L’Eglise (c’est-à-dire l’ensemble des différentes religions et sectes) n’a –t-elle pas de tout temps pratiqué la mendicité, accumulant par ce moyen des richesses incalculables ?

Combien de mendiants pourrait-on loger, nourrir, vêtir avec ce que coûte annuellement un soldat ? Mendiants aussi les femmes et hommes politiques qui, à chaque consultation électorale mendient les suffrages des citoyens. Et parasites (combien !) tous les improductifs dont l’aisance s’édifie sur le travail d’autrui. Pour tous ces gens-là, la mendicité (légalisée) est devenue un moyen d’accéder à un rang social privilégié.

N’est-il pas comique de voir des personnages n’ayant fait, dans leur existence, que quémander des prébendes, des privilèges, des sinécures et des honneurs, s’opposer avec indignation à la mendicité ?

Le travailleur que le chômage contraint à tendre la main dans la rue ne peut que se sentir humilié, blessé dans sa dignité d’homme de devoir sa subsistance à la charité d’autrui. « Je ne connais, affirmait Mirbeau, que trois manières d’exister dans la société : il faut être mendiant, voleur ou salarié. » Mais contrairement aux voleurs et « aux mendiants professionnels », les salariés, eux, n’ont pas choisi leur camp.

Dans la situation actuelle, interdire la mendicité, c’est se donner bonne conscience à peu de prix. Aujourd’hui des dizaines de personnes plantent une tente de fortune dans le bois de Vincennes, des centaines d’autres dorment sous les ponts…certaines d’entre elles ne peuvent trouver du travail car il leur faudrait une adresse et un logement qu’on ne peut obtenir qu’en travaillant. C’est le serpent qui se mord la queue.

Problème de société, la mendicité est la conséquence d’une organisation sociale viciée et incohérente. Ce n’est pas par des interdits et des exclusions qu’un tel problème pourra être résolu. Seule une transformation radicale des structures sociales permettrait de modifier les rapports humains et les mentalités. Remplacer l’hypocrisie de la charité par une réelle solidarité humaine, tel est précisément le but que se propose le projet libertaire.

A.P. (le libertaire)