L’institution judiciaire est-elle vraiment notre alliée contre l’extrême droite ?

Dimanche 6 avril 2025, le RN organisait un meeting en « défense de la démocratie » pour dénoncer la condamnation de Marine Le Pen, cette dernière ne pouvant en l’état actuel des choses se présenter à l’élection présidentielle où les sondages la placent en première position au premier tour du scrutin. Tout le monde à gauche dénonce le RN qui s’en prendrait à l’Etat de droit. La belle affaire. Du coup, plusieurs syndicats dont la CGT, et des partis politiques LFI et les Verts  en tête appellent à défendre « l’État de droit » et la « République ». L’actualité du procès Sarkozy nous impose de garder raison et  il est important de souligner que nombre de fonctionnements frauduleux voire crapuleux ne sont pas l’apanage de l’extrême droite, mais qu’ils sont présents sur l’échiquier de la classe politique. De droite comme de gauche, ils sont prêts à nous jurer droits dans les yeux qu’ils n’ont commis aucun délit ou que ce n’était pas intentionnel. Des malversations financières, des rétro-commissions, des délits d’initiés etc., la corruption gangrène le milieu politique. Et nous verrons « la République, c’est moi », Jean-Luc Mélenchon, se défendre corps et âme contre l’office antifraude européen, tant il est soupçonné de pratiques similaires à celles reprochées au RN (ainsi qu’au Modem).

Donc de nombreux politiciens se font prendre la main dans le pot de confiture. Nous ne pouvons que nous réjouir de voir tous ces donneurs de leçons de probité englués dans divers scandales. Pour autant, peut-on défiler pour défendre l’institution judiciaire qui envoie au trou, sans bracelets électroniques, des manifestants qui ont défendu les retraites, leur emploi, l’écologie…Et peut-on croire sérieusement que cette défense de l’Etat de droit suffira à lutter contre l’extrême droite.

Place Vauban, Marine Le Pen a fait un flop car Paris est une terre de mission pour le RN. Du très smart 7ème arrondissement, les sympathisants ont préféré profiter des plages du Calvados si peu éloignées par l’A13. Et ce rassemblement en « défense de la démocratie » était risible. D’ailleurs, Trump, Orban et Cie ont appelé à soutenir Marine Le Pen. Et quand on a des amis comme cela, on n’a pas besoin d’ennemis car l’opinion publique française est plutôt défavorable à Trump, de la même manière que Poutine n’est pas en odeur de sainteté en France. Le FN a utilisé des millions d’euros d’argent européen en toute illégalité et le RN se retrouve tête basse et mains sales avec cette histoire. Bardella, Le Pen et tous les députés RN et assimilés pointent une « décision politique », mais ont cherché à éviter le clash et les attaques trop dures contre « l’État de droit », donnant en contrepartie des gages de respect des institutions, défendant  « l’indépendance de la justice », mais s’en prenant aux juges rouges,  en ciblant notamment le Syndicat de la magistrature, classé à gauche.

La décision et l’ensemble de la procédure contre Marine Le Pen ont suscité un plaisir incommensurable à gauche. D’une part, le RN en prend un coup au niveau de son image lissée et dédiabolisée. D’autre part, le RN a toujours vanté le tout répressif et Marine Le Pen n’avait pas de mots assez durs contre les politiciens qui étaient condamnés : pas d’aménagements de peine pour des condamnations supérieures à 6 mois de prison ferme, peines planchers…jusqu’à demander l’incarcération des personnes condamnées à de courtes peines et  un durcissement de la répression des « actes commis en bande organisée. ». Dommage que ces mesures n’aient pas été mises en œuvre sinon la dirigeante du RN et plusieurs de ses amis dormiraient aujourd’hui en prison.

Les questions centrales dans ce cadre, que les anarchistes et bien d’autres devraient se poser sont celles-ci : l’institution judiciaire est-elle vraiment notre alliée contre l’extrême droite ? Doit-on alors ne plus émettre de critiques contre la justice ? L’institution judiciaire n’est-elle pas l’allié objectif du gouvernement contre ceux et celles qui s’opposent à l’offensive autoritaire et brutale du patronat contre les acquis des travailleurs, des retraités par exemple ? Est-ce qu’en manifestant pour cette défense de l’Etat de droit, on n’est pas en train de créer un deuxième « front républicain » avec la macronie et une partie de la gauche ? Ce front républicain peut-il lutter efficacement contre le racisme ?

Que de questions. Les forfaits judiciaires ont émaillé l’histoire à commencer par l’Affaire Durand au Havre où un syndicaliste anarchiste a été accusé à tort et condamné à avoir la tête tranchée sur une place publique à Rouen. Plus récemment, les magistrats ont eu la main bien lourde avec les gilets jaunes. Force est de constater, nous l’avons déjà écrit, que la justice condamne moins la délinquance en col blanc, sauf preuves irréfragables, que les grévistes, manifestants ouvriers et écologistes d’action directe.

Dans le cas de Marine Le Pen et des lois contre la corruption mises en place après l’affaire Cahuzac, à l’image de la fameuse « Loi Sapin 2 », les mesures apparaissent justifiées. Le problème, certains journalistes l’ont bien souligné, c’est que les peines d’inéligibilité censées garantir « l’exemplarité des élus » étendent le pouvoir de sanction pénale des juridictions et leur offrent un contrôle dangereux sur la vie politique. Pourra-t-on à l’avenir critiquer Israël et sa politique génocidaire à Gaza si un texte condamnant l’antisionisme était voté ? On a vu aussi le cas Tarnac. On sait l’utilisation détournée des lois antiterroristes.

Plusieurs compagnons se sont penchés sur l’anarchisme à l’épreuve du droit. Pour nous, critiquer les décisions de justice est donc une tâche militante. La juridiction mobilise souvent la notion « d’ordre public démocratique » pour motiver un jugement. L’ordre public est une notion floue dont l’usage n’a cessé d’être étendu ces dernières années pour justifier des interdictions administratives en tout genre : manifestations, meetings, réunions publiques…

Il ne faudrait pas que sous couvert de défense de l’Etat de droit, on en devienne acritique vis-à-vis de la justice. Justice qui sert à maintenir le système capitaliste en place. C’est un de ses suppôts. La justice n’est pas une entité neutre. Elle sera utilisée par l’extrême-droite si cette dernière arrive au pouvoir. Les tribunaux ont fonctionné sous Pétain. Et puis sous l’égide d’Hollande et de Macron, on a constaté un élargissement considérable des prérogatives de l’État, grâce à l’état d’urgence à partir de 2015 et à l’intégration d’un grand nombre de ses dispositions dans la loi à partir de 2017, et à un grand nombre de lois autoritaires et sécuritaires. Ces présidents ont préparé le terrain à l’extrême-droite en lui courant après. C’est tout le mouvement social qui prend des risques en manifestant alors que parallèlement bon nombre de policiers sont dédouanés de leurs actes violents. Les libertaires n’ont aucune envie de cautionner et de se placer du côté de l’Etat de droit car ce dernier sert surtout les intérêts de la classe dirigeante.

La justice condamne quelques « fusibles » afin de sauvegarder un système capitaliste qui permet à une minorité de maintenir ses privilèges. Ne pas dénoncer la macronie, les classes politiques professionnelles qui profitent de ce système, affaiblit le camp des travailleurs. Louise Michel le disait avec constance « le pouvoir est maudit ». Le pouvoir politique fait le boulot pour le pouvoir économique qui utilise en parallèle la publicité, le lobbying, les médias etc.

Renforcer les pouvoirs de la justice sur la vie politique en prétendant que cela permettra de l’assainir est une tromperie, une illusion d’optique.  C’est l’arbre qui cache la forêt des privilégiés. Parmi les professionnels de la politique, pratiquement personne ne remet en cause les salaires des députés et de leurs assistants comparativement aux salaires des gens qui ont un métier d’utilité sociale par exemple.

Les libertaires, contrairement aux marxistes, sont fédéralistes et conçoivent le fédéralisme en s’organisant par le bas et non en attendant des directives d’en haut d’une « élite éclairée ». Le bocal politicien est globalement corrompu et l’institution judiciaire ne fera pas le ménage sauf à la marge.

C’est aussi pour cela que les anarchistes sont a-parlementaires.

Micka (GLJD)