L'Idée Ouvrière Le Havre: ANNIVERSAIRE DU 18 MARS 1871

Antipatriotes

ANNIVERSAIRE DU 18 MARS 1871

LE 18 MARS

Le 18 Mars est la fête des prolétaires de tous pays ; aujourd’hui d’un bout du monde à l’autre, en Amérique, en Australie, de même qu’en Europe ; dans tous les centres, industriels ou agricoles, grandes capitales ou petites villes, les hommes qui sentent sur leurs épaules le poids énorme de l’exploitation bourgeoise et subissent le joug avec rage se réunissent en l’honneur du glorieux anniversaire.

Quelle que soit la contrée où le hasard les a fait naître, les travailleurs sont reconnaissants à Paris de son énergique audace du 18 Mars. Ils savent que ce jour là le peuple se soulevait sous l’impulsion d’une idée généreuse et combattait pour ses destinées à lui – et par cela même pour celles de l’ Humanité entière.

Ce qu’il poursuivait – sans, il faut l’avouer, connaître exactement toutes les données du problème qu’il voulait résoudre – c’était la suppression radicale de toute classe d’exploiteurs ; mettre à la disposition de chacun l’instrument de travail ; assurer à tous les êtres humains leur conservation matérielle et leur développement intellectuel et moral. Puis rendre l’individu à lui-même, afin que dans le groupe – corporatif ou autre – il fut son propre maître. Par l’autonomie de la commune mettre les intéressés à même de gérer en pleine liberté leurs affaires extérieures et intérieures.

Ce sont ces aspirations grandioses qui font de cette date d’anniversaire du prolétariat universel. C’est pour cela que nous saluons son retour annuel et envoyons à tous les camarades qui aujourd’hui se réunissent, – songeant avant la ******** de demain, à celle d’hier – nos révolutionnaires salutations.

Espérons que le jour des représailles n’est pas éloigné – et préparons-nous à refouler toute pitié pour venger nos prédécesseurs qui vainqueurs le 18 Mars 1871, furent vaincus en Mai !

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Le caractère principal de la journée du 18 Mars est sa spontanéité et anonymité. Ce ne fut point un de ces coups de force mené par quelques chefs, mais un mouvement général qui éclata sans mot d’ordre, sans organisation, ni préparation.

Le peuple de Paris avait des armes, chèrement payées ; ses maîtres voulurent les lui reprendre. Le peuple comprenant que la République bourgeoise qu’il avait, ne ferait pas davantage pour lui que l’empire mort six mois avant, se fâcha devant les exorbitantes prétentions de la bourgeoisie. Ces armes, non seulement il ne voulut pas les rendre, mais il s’en servit pour assurer ce qu’on lui refusait, l’émancipation sociale.

Grâce à la spontanéité de ce mouvement révolutionnaire Le peuple agit énergiquement et bien. Sa première besogne fut excellente : l’exécution des deux généraux Lecomte et Clément Thomas ! s’il eut continué son œuvre révolutionnaire et ne s’en fut remis à aucun comité de ce soin, il est probable que la Révolution eut eu une autre issue !

Ce qui a toujours perdu le peuple dans les grandes périodes insurrectionnelles, c’est qu’il se fie rarement à son bon sens. Il écoute trop facilement un tas d’individus – qui sont peut-être de bonne foi, dangereux, et qui se mettant à sa tête, se prétendent seuls aptes à le diriger et à lui désigner les mesures à prendre.

Le 18 Mars il n’en fut heureusement pas ainsi, aussi avons-nous à enregistrer l’exécution de deux ennemis du peuple, justement haïs. Mais le lendemain cette spontanéité était déjà éteinte ; un groupe d’hommes s’était emparé de l’Hôtel-de-Ville et là discutaillait, parlementait et décrétait à perte de vue. Dès lors la Commune était condamnée à périr, son agonie n’était qu’une affaire de temps.

Imbus des vieux préjugés gouvernementaux, les élus socialistes de l’Hôtel-de-Ville, croyaient accomplir la transformation sociale par des mesures autoritaires. Mais eux-mêmes étaient en petit nombre ; alors comme toujours les nullités les plus crasses étaient sorties des boîtes électorales, la plupart ignoraient les premiers éléments de la question économique.

Du moment qu’ils cherchaient à faire acte de gouvernement ils ne pouvaient qu’être néfastes à la Révolution. C’est ce qui eut lieu ; ils isolèrent Paris du reste du monde et deux mois et demi après la grande victoire du 18 Mars le Prolétariat était à nouveau écrasé.

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Les mesures les plus élémentaires furent négligées ; que servait d’être maîtres de Paris, si pour sa défense on n’osait se servir de toutes les richesses que la Bourgeoisie y a accumulées. Et il fallait non seulement assurer la défense matérielle de la Révolution, mais encore et principalement sa défense morale.

Pour cela il eut fallu qu’ immédiatement après l’expulsion des scélérats qui voulaient dompter les Parisiens, le plus obtus des prolétaires fut forcé par les faits de reconnaître qu’il y avait amélioration dans son sort et que le 19 Mars il avait plus de bien-être que le 17. C’est l’intérêt qui mène les hommes ; toutes les rodomontades idéalistes ne valent pas bonne pitance et bon logis. Se faire trouer la peau, en guenilles et le ventre creux, pour une idée dont la réalisation est indéfiniment rejetée dans la nuit de l’avenir, c’est très beau, – en peinture ou en poésie – mais ce n’est guère réel.

Les sans-culottes de 93, tant glorifiés, ne se battaient pas seulement pour une idée ; ce qui leur donnait du cœur, c’était le ferme espoir de trouver à la paix un bien-être matériel qui leur avait été formellement promis : le partage des propriétés des émigrés !

Les fédérés de 71, eux n’avaient que leurs trente sous, et encore jusqu’à la victoire – après, plus rien ! Il leur eut fallu rentrer à l’atelier, se remettre sous la férule du patron, donner le plus pur de leur  gain au vautour ; au total recommencer la vie de misère, pour la cessation de laquelle ils s’étaient révoltés.

Car étant supposé la victoire de la Commune, parlementaire et étatiste, rien de nouveau ne fut éclos. Malgré le peu d’espoir qui pouvait les passionner, les prolétaires se battirent en héros. Quels prodiges d’énergie et d’audace n’auraient-ils pas enfanté s’ils avaient eu à défendre le bien-être donné par la Révolution. Ils auraient été invincibles !

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Mais rien, absolument rien, ne fut fait. La Banque fut respectée, la Commune y puisait parcimonieusement afin que Thiers put y prendre à pleines mains. Les belles maisons inhabitées et abandonnées, furent laissées sans locataires ; les taudis infects où croupissaient les défenseurs de la Révolution ne furent pas abattus. Dans les magasins, les draps, les étoffes, le linge, restèrent amoncelés.

Il fut question d’autoriser le dégagement gratuit des objets engagés au Mont-de-Piété. La Commune bafouilla trois grands jours sur cette question si simple. Et la somme d’objets dégagés, n’atteignit pas le chiffre atteint dans d’autres périodes révolutionnaires.

Rien de plus absurde que ce respect des propriétés bourgeoises dont fit bêtement preuve la Commune. Elle concevait l’exécution, même sommaire, d’un bourgeois et elle hésitait à mettre la maison sur sa fortune ! En Révolution, il  faut aller directement au but, ne pas tergiverser, ni prendre de demi-mesures, c’est le seul moyen de réussir.

Le peuple eut tort d’abdiquer, de s’en remettre de ses intérêts à ses élus. Ceux-ci fatalement firent du gouvernementalisme et non de la révolution. Au lieu d’être utiles ils furent nuisibles. L’ initiative populaire pouvait seule accomplir la besogne révolutionnaire ; nous supportons aujourd’hui la peine qu’entraîne toute faute commise.

Que le passé nous serve de leçon, et à la prochaine ne nous en remettons à personne, faisons nos affaires nous-mêmes et la victoire sera notre récompense.

 

L’idée Ouvrière N°28 du 17 au 24 Mars 1888.