Le spectacle qu’offre le militantisme de gauche aujourd’hui est caricatural et devient parfois insupportable. Souvent notre « formation » politique s’est faite dans des groupes anarchistes locaux, dans les livres et brochures, dans les mouvements sociaux pour la pratique et initialement pour certains dans le syndicalisme, dans les entreprises, lieu de notre exploitation. Là, nous avons appris à échanger et voir à quoi ressemblait la vraie vie. Par la suite, on a appris à communiquer entre collègues, avec des gens du boulot avec qui on ne partageait pas politiquement beaucoup de choses ou rien, apparemment, parce que parfois les gens du monde du travail qu’on méprise bien souvent sont des gens de bon sens. Quand ils voyaient qu’une vraie bagarre s’organisait sur le lieu de travail, ils s’avançaient, et s’ils ne le faisaient pas, ils ne vous critiquaient pas par derrière avec mille attaques politiquement correctes ou tendancieuses. On a toujours dit qu’un bon syndicaliste est un syndicaliste qui calme les ardeurs des chevaux fous qui veulent casser la gueule du patron directement (ce qui nous ferait du bien, nous défoulerait mais n’apporterait guère de solutions aux problèmes ayant entraîné la grève) et les traîne-savates qui ont peur de se mouiller et qu’il faut convaincre car c’est mieux quand tout le monde y va. C’est une question de rapport de force et de solidarité ouvrière.
Tout ça pour dire qu’on est dans l’action quand l’occasion se présente. Mais à d’autres moments, c’est plus compliqué de faire corps avec tout le monde, notamment avec les politiciens de gauche qui emploient toutes sortes d’arguments faciles et désuets contre les abstentionnistes ; pour que ces derniers votent. Le plus surprenant, c’est qu’il y a même ceux qui croiront que leurs slogans politiciens pourraient servir à quelque chose.
Pourtant la majorité des gens qui s’abstiennent, et nous sommes de plus en plus nombreux, savent que la politique n’est que tromperie et il nous est impossible de lier notre abstention à un quelconque programme révolutionnaire politicien. L’histoire a tranché. La volonté de prendre le pouvoir par les élections est une duperie. Les rares fois où les élections ont inquiété le pouvoir, un coup d’Etat s’en est suivi : Espagne 1936, Chili 1973…
Nous faisons partie du peuple, cette partie du peuple qui exprime de manière presque corporelle son rejet total de ce qu’est la démocratie parlementaire, mais surtout en affirmant de manière très simple qu’on ne perçoit pas de changement fondamental dans notre vie à voter ou à ne pas voter. Tant de politiciens nous ont trompés, nous ont volés. En votant pour eux, la vie allait changer. Mais au lendemain des élections, les petits chefs commandaient toujours à l’usine. Les inspecteurs inspectaient toujours les enseignants et les fins de mois étaient toujours aussi difficiles. La domination du petit peuple continuait. Parfois même avec un changement de gouvernement. Les gens essayaient la gauche puis revenaient à la droite, c’est ce qu’on appelait l’alternance. De nos jours, avec le RN, on parle de tripartition de la politique française. C’est un nouveau terme pour dire qu’il y a maintenant trois pôles qui aspirent au pouvoir et non plus deux comme auparavant.
Le paradoxe dans tout cela est que la majorité des personnes qui s’abstiennent ne nous lit pas ; ni dans des médias alternatifs ni dans les livres anarchistes qui pourtant foisonnent aujourd’hui ni sur les réseaux sociaux. Ces gens ne connaissent que de manière sommaire nos positions.
Cela montre aussi une fois de plus à quel point les anarchistes sont éloignés de la gauche et certains mouvements sociaux sur le plan des idées. Et non, nous n’allons pas changer la société avec des élections, en se présentant par exemple comme ont pu le faire dans le passé certains communistes libertaires de la FCL.
Ce n’est pas en vain qu’il faut vérifier une réalité : la classe ouvrière abandonne progressivement le soutien aux partis de gauche. Pour autant il ne faudrait pas que celle-ci s’oriente par dépit vers l’extrême-droite.
Il y a quelque chose de concret et certain : la gauche a quitté le monde du travail il y a des décennies. Et elle lui préfère les sujets sociétaux en espérant capter les suffrages de la petite bourgeoisie, cette dernière se déclassant de plus en plus.
Les propositions réformistes de ces partis sont incapables d’apporter des solutions à la précarité croissante des deux dernières décennies ; leurs propositions ne s’expriment plus dans un langage qui fait sens à la classe ouvrière. Soit ils nous infantilisent et ils nous prennent pour des imbéciles, soit ils nous parlent en termes académiques qui plus que tout nous ennuient pour expliquer des choses simples. De même pour l’écologie ; les gens ont besoin d’exemples concrets comme alternatives au désastre climatique qui s’annonce. Les longs discours soporifiques ne suffisent plus.
La réalité est que la phase actuelle d’accumulation capitaliste impose encore davantage de limites à l’amélioration de nos conditions de vie par le biais du parlement, donc nous devons nous rappeler que la question n’est pas tant d’appeler ou non à l’abstention mais plutôt que les organisations qui sont clairement engagées dans le changement et la transformation réelle des structures sociales, économiques et politiques ne peuvent qu’adopter l’antiparlementarisme comme principe politique.
Le parlement est la représentation politique de la société bourgeoise, ne l’oublions pas, et l’histoire a déjà prouvé que ce n’est pas par le contrôle de l’Etat et de ses parlements qu’on renversera la situation. Le vote reste un droit individuel lié à la société bourgeoise ; l’action collective peut être à nouveau le moteur des revendications et des changements. L’action directe que nous prônons ne peut être qu’étrangère au parlementarisme et indépendante de la bourgeoisie.
Ti Wi (GLJD)