Dans le Monde des livres du vendredi 23 octobre 2020, Jean Birnbaum chronique le livre de Christophe Naudin, « Journal d’un rescapé du Bataclan » : « Le livre retrace les démêlés intérieurs d’un prof de gauche, activement engagé contre la haine des musulmans, soudain frappé par la terreur islamiste ». C’est un professeur d’histoire ayant survécu au massacre du Bataclan qui écrit un livre retraçant les événements mais aussi une tentative de reconstruction personnelle car rien n’effacera la tragédie du Bataclan. On ne peut oublier l’horreur. Il s’exaspère par ailleurs de ceux qui manifestent une certaine indulgence vis-à-vis de l’islamisme sous couvert que ce serait la religion des opprimés : « Je sature de ceux qui font ami-ami avec Tariq Ramadan, le Parti des Indigènes de la République et toute cette nébuleuse, parce que l’islam serait la religion des dominés… ». Un livre à lire car l’exercice, entre les engagements sociaux, les procès en racisme et la violence des attentats, met à rude épreuve les militants sincères…Mais ce qui nous interpelle, c’est le commentaire du journaliste à l’encontre des libertaires : « La façon dont il évoque cette cassure, exhibant ses doutes, ses souffrances, relève du courage. En relève aussi le geste des éditions Libertalia, petite maison de sensibilité anarchiste, qui ose publier ce livre où sont mis en cause quelques-uns de ses « alliés », et même un auteur de son catalogue. Mais ces militants libertaires le savent bien : dans les périodes de funeste désorientation, quand triomphent la mauvaise foi et les grimaces partisanes, tout dissident prend le risque de se retrouver seul, sous le feu croisé des ennemis de toujours et des amis sans bravoure ».
Jean Birnbaum méconnaît le milieu libertaire car ce dernier a toujours été antireligieux et si des anarchistes participent à des associations ou collectifs anti-islamophobie, c’est en leur nom propre. Les groupes libertaires qui composent la majorité du mouvement libertaire sont des groupes affinitaires. Affinité d’idées mais aussi personnelle voire d’amitié. Les religieux ne peuvent avoir d’affinité d’idées avec les militants libertaires. Anarchisme et religion sont deux termes antinomiques. Si des religieux et on pense en particulier aux musulmans adhèrent à des syndicats anarcho-syndicalistes (CNT-SO, certains SUD…), ils le font sur des bases de classe pour se défendre contre leurs employeurs mais certainement pas sur des bases d’idées anarchistes, idées qui reposent sur le rationalisme.
Pour étayer nos propos, voyons ce que nous dit en gros l’encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure, auteur de l’Imposture religieuse.
Les libertaires sont antireligieux car ils ne se contentent pas de combattre la collusion néfaste du spirituel et du temporel, ils ne se bornent pas à manger du curé, du pasteur, du rabbin, du pope, du prophète ou du marabout ; ils dénoncent et démontrent l’influence néfaste de toutes les religions ; ils établissent le bilan historique de toutes les sectes religieuses ; ils ne combattent pas seulement les imposteurs qui se flattent de représenter Dieu sur la Terre ; ils combattent et ils nient toutes les Divinités, toutes les Providences. Ils vident le ciel, ils éloignent des consciences la peur idiote des châtiments posthumes et le fallacieux espoir des paradis éternels. Ils délivrent les esprits de l’absurdité des dogmes, des préjugés ineptes, des remords idiots, des respects ridicules. Ils ne s’arrêtent pas à mi-chemin, comme le font trop souvent le timide et l’anticlérical ; ils vont jusqu’au bout de leurs négations fondamentales. Ils prolongent leurs démonstrations dans le domaine social et prouvent que de la mort de tous les Dieux – célestes et terrestres – sortira la vie de tous les hommes. La maxime des antireligieux sincères et complets est : » Ni Dieu, ni Maîtres ! »
Pour être plus actuels, dans les colonnes du libertaire, titre d’un journal historique, nous disons : « Ni dieu ni maître, ni tribun ni prophète ».
Et pour ceux et celles qui aiment nous lire, nous parlerons bientôt dans nos colonnes de l’apostasie, de « l’intégrisme », du jihâd…chez les musulmans. Et ce n’est pas courageux de le faire, c’est une question d’éthique libertaire que de démonter les fables religieuses qui oppriment des millions de personnes dans le monde. Pour les chrétiens, le travail a été effectué dès l’Esprit des Lumières en France puis par les théoriciens anarchistes aux XIXème et XXème siècles. On pourrait y ajouter par honnêteté la charge des radicaux et des socialistes qui a abouti à la loi de 1905…
Donc, Monsieur Birnbaum, les libertaires ne sont nullement dans une période de désorientation et se trouver sous le feu croisé des dogmatiques a toujours été notre lot. Nous l’assumons. Nous avons longtemps été les seuls dans le mouvement ouvrier à dénoncer le stalinisme et l’histoire nous a donné raison. A la suite de Proudhon et Bakounine, nous revendiquons aujourd’hui l’égalité économique et sociale et nous ne comptons ni sur dieu ni sur un quelconque prophète pour y arriver.