La Voix des Verriers

Enfants verriers

Le traitement des enfants en verrerie – La voix des verriers – 1er Octobre 1907

 

« La voie des verriers » a plusieurs fois traité la question des enfants dans les verreries. La situation des enfants de l’assistance a été sérieusement examinée. L’on mit à jour l’exploitation dont ils étaient l’objet dans certaines verreries, où les patrons les pressuraient sans merci, tandis qu’impartialement l’on reconnaissait les efforts louables tentés par d’autres patrons pour adoucir le sort de ces infortunés de la vie, (,,,)

 

Nous avons à parler aujourd’hui, non pas de leur rémunération ni des avantages que l’usine peut tirer d’eux, mais de la façon dont ces malheureux sont traités au travail sous les ordres des ouvriers qui les commandent.

C’est un devoir pénible pour nous, mais nous ne pensons pas avoir le droit de nous en dispenser, quand bien même il nous vaudrait des inimités de la part de ceux qui se sentent coupables. C’est pour cela surtout que nous voulons mettre à nu cette plaie qui demande des soins énergiques et constants, (,,,)

Un de nos amis qui a passé dans diverses verreries nous a rapporté des faits vraiment révoltants, inouïs, (,,,)

Il paraît que les gamins sont encore de nos jours, à tout propos, frappés et brûlés quelquefois. Est-ce vrai ? Est-ce bien vrai ?

Les lendemains de quinzaine et souvent les deux jours qui suivent, des scènes véritablement écœurantes se passent dans les verreries. Les malheureux, qu’un travail excessif épuise, croient prendre des forces dans l’absorption de boissons fortes. Le premier effet est qu’il éprouve le besoin immédiat d’en reprendre encore jusqu’au moment où, sous l’influence du feu et de l’alcool, les têtes deviennent « chaudes » et fatalement irritables à l’excès.

 

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             Les enfants sont parfois à la pointe des revendications.

 

Début août 1906, 25 jeunes de la verrerie de Saint Maxent demandent au patron une augmentation de leur « prêt du dimanche », soit 0,25 franc. Devant son refus, ils se mettent en grève, risquant ainsi de mettre au repos forcé 70 ouvriers. Ils défilent dans les rues le samedi 4 août, avec le drapeau rouge et en chantant les chants révolutionnaires mais reprendront le travail le lundi 6 août, sans avoir eu gain de cause.

Les enfants sont aussi parfois utilisés par les ouvriers pour promouvoir leurs propres revendications.

Ainsi, à la verrerie Scobart du Tréport en septembre 1913, devant l’échec de la grève faisant suite au renvoi d’un militant, les verriers poussent en sous-main les enfants à réclamer une augmentation, paralysant de facto l’usine pour quelques jours.

 

 Extrait d’un bulletin de la Fédération Nationale des travailleurs du verre et de la céramique

 

 

Sans remonter à l’époque où l’on attachait le boulet de misère aux enfants qui n’avaient pas six ans, et que l’on payait 10 francs par mois à tenir le moule, on peut dire qu’avant 1901 la loi de soi-disant protection des enfants n’existait pas pour les patrons normands ; les gosses de sept à huit ans n’étaient pas rares en verrerie. Combien les payait-on ? Il serait utile d’avoir leur témoignage, il en reste assez en verrerie, mais le temps nous manque pour faire une enquête. Cette exploitation des gosses dans les biribis verriers s’opérait, nous voulons, le croire, à l’insu des inspecteurs du travail, et lorsqu’un de ces derniers, connu pour faire du service, était annoncé, on fourrait les mioches sous des tonneaux défoncés d’un côté, ou on les enfermait dans les boites à cannes,

C’est à cette exploitation éhontée que tant de verriers doivent d’être illettrés, et sont à la merci des fils à papa dont ils ont payé l’école.

N’insistons pas, il paraît que sans les gosses, les verreries de Normandie ne vivraient pas.

C’est probablement pour cela que le patron de Martainneville s’est vu dernièrement poser un procès.

L’inspecteur du travail en visite à la verrerie constatait qu’une petite fille, une future mère de France, qui n’avait pas dix ans, s’étiolait devant un moule.

Mais laissons aujourd’hui les gosses de côté, nous leur réservons un autre chapitre. Et pour les même raisons, laissons les jeunes parias que l’assistance publique a longtemps livrés aux verreries pour la croûte.

 

La Bâtarderie

             Un nom qui sonne mal et qu’il faut changer ; c’est sous cette appellation qu’on désigne les pensions où dans les verreries de Normandie sont parqués les enfants assistés.

Au Tréport, le régime de la Bâtarderie est particulièrement pauvre ; les enquêteurs auxquels M, Bévierre faisait appel dans le petit Parisien feraient bien d’y venir faire un tour ; ils apprendraient de quelles aménités sont bercés les petits malheureux. Et ils concluraient avec nous, contrairement aux affirmations du président des maîtres de verreries, que les Bâtarderies ne soient pas des Eden pour ces enfants.

L’Assistance Publique n’applaudira sans doute pas à notre initiative ; elle n’exige qu’une chose, c’est le placement mensuel des quelques pièces  de cent sous aux livrets des gosses.

Nous, nous voyons autre chose ; nous voyons des jeunes gens de 15 à 20 ans faisant un travail d’homme, et à qui l’on donne tout juste de quoi ne pas mourir de faim.

Le tenancier de la Bâtarderie est sans doute un brave homme.

Mais que peut-il faire avec vingt sous par jour pour nourrir et entretenir un verrier ?

Aussi l’ordinaire est maigre : le matin à 8 heures, la soupe ; ceux qui ont au-dessus de 18 ans, ont une ration de pain en plus, ceux d’en dessous n’en ont pas.

Ensuite, c’est le repas à midi et repas à 5 heures, Et jusqu’au lendemain à midi, ils ont tout juste la soupe maigre de 8 heures du matin, pas un verre de bière, ni de cidre, ni café à boire, rien que de l’eau. C’est avec cela qu’ils doivent souffler pendant 10 heures,

Pauvres estomacs, pauvres poumons, pauvres gosses, si maigres, si frêles qu’ils rappellent ceux du pénitencier d’Aniane qu’un coup de vent foutait par terre.

 

Quelques questions à l’Assistance Publique 1er Février 1907

 

L’Assistance donne des enfants aux maîtres-verriers, est-ce pour qu’ils apprennent un métier ? C’est probable ! En tout cas ce point n’est pas une règle, car beaucoup ont grandi en verrerie, et ont été rejetés sans gagne-pain. Leur occupation ayant toujours consisté à fermer un moule où à remplir une fonction auxiliaire quelconque.

Cependant, il en est qui sont verriers, ou en voie de le devenir ; ils ont dans les revendications syndicales une part d’intérêt. Or, en temps de grève on les fait travailler, dans les conditions où sont ces enfants, la grève devrait être un cas de force majeure que les patrons pourraient observer.

Nous ne sommes nullement partisans de faire revivre le privilège corporatif, mais s’il était écrit que ces enfants doivent être, en ces circonstances des anti-grévistes, on regarderait à deux fois avant de les apprendre.

Au Tréport, M, Desjonquères qui en tire profit, devrait les nourrir pendant la grève, mais il n’y a pas de repos pour les petits déshérités, on les a envoyés dans les autres verreries. L’Assistance est-elle d’accord avec les maîtres de verrerie sur ce sujet et les pauvres gosses vont-ils être trimballés de verrerie en verrerie toutes les fois qu’un différend entre patrons et ouvriers fera suspendre la fabrication dans un établissement ?

 

La Voix des Verriers du 1er Février 1907