Individualiste solidaire
Aux yeux du grand public, accoler ces deux termes, individualiste et solidaire, peut sembler contradictoire. Il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir un dictionnaire d’usage courant, pour y lire par exemple, au mot individualiste : « 1. Partisan de l’individualisme ; 2. Qui ne songe qu’à soi », cette dernière définition se rapprochant de celle du mot égoïste : « Qui rapporte tout à soi, qui ne considère que ses intérêts ». Alors que solidaire est expliqué ainsi, hormis les acceptions d’ordre juridique : « Qui est ou s’estime lié à quelqu’un d’autre ou à un groupe par une responsabilité commune, des intérêts communs » ; quant au mot individualisme, c’est seulement en troisième position qu’arrive son sens philosophique : « 3. Doctrine qui fait de l’individu le fondement soit de la société, soit des valeurs morales, soit des deux », après : « 1. Tendance à s’affirmer indépendamment des autres ; 2. Tendance à privilégier la valeur et les droits de l’individu contre les valeurs et les droits des groupes sociaux ».
Rien d’étonnant à ce que l’ensemble des pouvoirs institutionnels se soient méfiés des individualistes peu enclins à marcher au pas et à se fondre dans le troupeau soumis à l’Eglise, à l’armée, au régime en place. Pourtant, il arrive que l’on découvre les mérités de la désobéissance, dans le cas de l’opposition au pétainisme et au nazisme par exemple, mais le cas est peu fréquent.
Par contre, la pensée individualiste tient une place importante dans le mouvement anarchiste, où elle représente une tendance qui fut très souvent combattue par une autre, celle des communistes libertaires.
Le refus, ou la critique, de toute forme d’autorité peut amener, dans le concret d’une vie individuelle précisément, à des attitudes assez différentes. Pour certains, il s’agira de tout mettre en œuvre pour parvenir, par la révolution sociale, à l’avènement d’une société anarchiste. Tout mettre en œuvre, c’est-à-dire tous les moyens, toutes les forces, les individus pouvant éventuellement avoir à s’effacer devant les priorités du groupe. Attitude extrême, mais non complètement étrangère à certains courants anarchistes.
A l’inverse, les partisans de la tendance individualiste considèrent que seule l’évolution des individus pourra entraîner celle de la société vers une organisation sociale d’essence libertaire. En attendant que s’opère une telle transformation, chacun peut essayer, dans sa propre vie, d’accorder le plus qu’il est possible son comportement avec ses idéaux anarchistes.
Les uns construisent – au futur – la société anarchiste, son organisation, ses structures, et élaborent les étapes de sa réalisation, tout en luttant sur le terrain pour faire avancer leurs idéaux.
Les autres accordent davantage de crédit à l’exemple donné de ce qui est possible, à l’invention de nouvelles formes d’organisation, à l’accord entre la pensée et l’action, entre les principes et le comportement quotidien.
A première vue, ces deux positions semblent contradictoires, tout comme les termes individualiste et solidaire. Or, il peut n’en être rien.
A suivre