Hommage à Jean-Pierre Jacquinot, Docker, fondateur du groupe libertaire Jules Durand en 1962 .

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Hommage à Jean-Pierre Jacquinot fondateur du groupe libertaire Jules Durand en 1962 avec Aurélien Dauguet.

Jean-Pierre est décédé le 14 juillet 2011 au Havre. Nous joignons l’hommage qui a été lu au crématorium par Sophie. Comme convenu avec Jean-Pierre, le groupe libertaire continuerait. Le sectarisme de la CNT Vignole qui a exclu récemment plus des deux tiers de ses adhérents sur Paris a écoeuré plus d’un militant de la CNT du Havre. Plusieurs d’entre eux ont décidé d’abandonner la CNT qui avec 4 mini-confédérations relève de la caricature de l’anarcho-syndicalisme. C’est donc vers la reprise de nos activités « spécifiques » que nous envisageons l’avenir. Pour autant, nous ne délaissons pas nos engagements syndicaux qu’ils soient à la C.G.T. ou de manière marginale à la CNT.

Jean Pierre.

Toi l’antimilitariste le plus invétéré, toi, l’internationaliste le plus acharné, tu es mort un 14 juillet ……………..quelle ironie !

Tu avoueras que ça a plus de gueule de mourir un 14 juillet que de partir  un lundi de Pentecôte ou un jeudi de l’Ascension. C’eut été un comble !  Une dernière plaisanterie, une dernière provocation, de celles dont tu raffolais.

Car tu aimais rire et plaisanter sous tes dehors un peu ours, sous ta carapace d’éternel  timide, de grand bonhomme un peu effacé.

J’entends encore ton rire sonore, ta voix au timbre si particulier, ton intarissable envie de dire, de raconter ta longue vie de militant libertaire,  tes rencontres déterminantes, celles qui marquent à jamais un homme. Je citerai Louis Lecoin, Robert Jospin, Gaston Leval, Maurice Laisant, May Piqueray et tant d’autres amis libertaires qui ont diffusé, publié les idéaux les plus nobles. Tu avais été aussi formé par les anciens dirigeants du syndicat des dockers : René Hazard et Auguste Thomas et c’est en puisant dans la bibliothèque du syndicat des dockers que tu avais pu lire les grands auteurs anarchistes : Bakounine, Kropotkine, Proudhon…et ce dans les éditions originales.

Tu savais sans lasser évoquer avec passion  tes combats,  tes colères et ta hargne face aux injustices de ce monde.

Tu aimais Pierre dac et son humour caustique et ravageur.

Tu aimais Alfred Jarry et son Ubu magnifique.

Tu aimais les chansons engagées  du 20 ème siècle si dense en événements, en conflits, en batailles idéologiques de tous ordres.

Tu aimais La Bouille ce village aux couleurs si douces des bords de Seine qui semblait t’apaiser et t’inspirer.

Mais c’est autour d’une bonne table que tu étais  le plus heureux ;  la bonne chair et le bon vin,  déliaient les langues, on parlait de tout de rien et soudain tu commençais à nous raconter des anecdotes mêlant avec délice la petite histoire ………… et la grande. C’était un plaisir de t’écouter, nous étions tous un peu   ébahis, entre nous on t’appelait « puits de science » ou « le prof » et chacun était ébloui par tes connaissances mais aussi par ta mémoire si vive, par  ton insatiable envie  d’apprendre, tu adorais passer de longues heures à décortiquer les archives, citer un bon mot, raviver  de vieux souvenirs…………Tu n’étais pourtant pas un homme du passé, au contraire, tu te tenais au courant de l’actualité avec une rare constance. Tu étais le plus âgé d’entre nous mais toujours entouré de « copains » plus jeunes. Combien de fois tu l’as utilisé ce mot « copain », ceux qui ne te connaissaient pas ou te connaissaient mal ignorent aujourd’hui à quel point pour toi « les copains » c’était important.

Intègre tu l’étais, tu n’as  jamais  renié tes idées antimilitaristes et anticléricales tu ne t’es jamais résigné face à l’adversité. Tu étais pugnace, parfois très intransigeant.

Certains ont fait l’expérience de cette intransigeance, quand il le fallait tu savais dire tes désaccords et rester ferme sur tes décisions.

Tu ne t’es  jamais économisé en tant que militant et quand il s’agissait de défendre tes idées au travers du Libertaire d’abord dont tu étais le directeur de publication mais aussi dans les réunions. Combien de tracts, articles, pamphlets as-tu écrit, combien de fois as-tu foulé le pavé du Havre pour manifester……………..

En rangeant ton appartement avec ta sœur Georgette, nous avons trouvé ces quelques lignes que tu avais pris soin de noter.

Enfance.

Je n’ai du Havre et de Marseille que des souvenirs fragmentaires. Ce n’est que de Bougie (Bejaia) et de la vallée de la Soumman que ma mémoire se fixe. De cette mémoire brute sur laquelle, au fil du temps, vient se greffer la réflexion. De Marseille je n’ai guère souvenance que d’un oncle réfugié comme nous et qui m’emmenait parfois au parc Chanaux , là j’avais droit à des tours d’âne et de Jeannot lapin à qui je donnais carottes et herbe . Un soir autour de la table, cet oncle me dit : « tu l’aimais bien Jeannot lapin ? Tiens reprends en un morceau ! » Salaud d’adulte, mon premier chagrin d’enfant..

Une autre anecdote quelques années plus tard…L’Andréa Doria : c’était en été 1956, je venais d’avoir 18 ans. Chose rare l’Ile de France sur lequel je naviguais avait fait escale de deux jours à New York. Il était parti dans la soirée du lundi. C’était une période de l’année où l’atmosphère chaude se transforme à la tombée de la nuit en brouillard. Au large de Nantukett deux navires s’étaient abordés…..

 Jipé Jacquinot

 

Mes débuts sur le port.

 

C’est en février 1961 que j’ai enfin pu avoir une carte de docker occasionnel. J’ai encore la mémoire de cette première prise de contact. Des sacs de 120 kilos de sucre roux à barotter en wagons. A la fin de la journée, j’avais l’impression que mes mains touchaient  le sol ! Je crois bien qu’une semaine plus tard j’en avais encore le souvenir dans les membres. Et puis on se fait à l’effort. Passé ce premier contact, on s’endurcit. Après : le caoutchouc, le noir de fumé, le quebracho (sang séché), sans oublier l’amiante ou le coton faisait qu’une journée à l’éclatement (tri) des fruits ou des cafés paraissait en comparaison comme des vacances.

Grand-mère

Du côté de mes grands-parents je n’ai connu qu’Augustine Dujardin née Durand. Elle avait épousé mon grand-père  en 1906. Ils s’étaient connus lorsqu’elle travaillait comme serveuse au restaurant Décultot à Saint-Vigor d’Ymonville. De leur union étaient nées quatre filles : Yvonne, Suzanne, Charlotte (ma mère) et Georgette (ma marraine) morte, en 1945, de tuberculose due aux privations de la guerre.

En mémoire il y avait mon arrière-grand-père qui par maints côtés excitait mon imagination. Pensez donc ! Un « berquié » un fils du diable comme on disait dans les campagnes. En fait, outre l’aspect solitaire de l’exercice du métier de berger la connaissance des plantes servant à soigner les animaux et qui par, extension, pouvaient servir à soigner les hommes donnait un aspect en-dehors à sa profession. L’évolution a fait disparaître le métier de berger des campagnes normandes. Et l’aïeul s’est reconverti en rebouteux que l’on venait consulter de très loin. Ce dont la médecine officielle prit ombrage et lui valut quelques procès. Dans ses recettes, il avait quelques élixirs propres à faire revenir le sang aux filles…

Jean-Pierre avait commencé à rédiger ses mémoires mais voilà, le temps lui a manqué.

Ainsi va la vie.

Nous sommes ici présents mais laissons parler les absents, les copains de Jean-Pierre qui n’ont pu être présents parmi nous à cause des congés, de l’éloignement…

D’Alain et Babeth de Châlons sur Saône (Anciens du Groupe libertaire Jules Durand) :

« C’est une bien triste nouvelle que nous apprenons là. C’est non seulement un ami mais un homme de grande valeur qui nous quitte…Nous faire ça un jour de défilé, c’aura été son dernier clin d’œil. »

De Pierrot, le métallo, un copain de Fouré Lagadec:

« Ne pouvant être présent aux obsèques de Jean-Pierre, je me joins à tous ceux et celles qui l’estimaient et le respectaient pour son dévouement à la cause ouvrière. »

De Davide Rossi (camarade italien qui est venu pour l’anti G8 au Havre en mai dernier) :

« Un salut fraternel et libertaire du SISA Italia au camarade Jean-Pierre. »

De Régis qui travaille en Allemagne (Ancien du Groupe libertaire Jules Durand et de la CNT du Havre) :

« Une bien sale nouvelle. Le crabe a eu raison de notre grand gaillard. Je suis content d’avoir pu le voir quand j’étais au Havre.

C’est clair qu’il va nous manquer le Jipé ! C’est tout un pan de la tradition orale libertaire qui s’en va.

Encore un mec bien qui part et plein de vieux cons qui restent. »

De Serge (Ancien du groupe libertaire du Havre) :

« Merde, Jean-Pierre ! C’est un vieux pote anar rencontré dans les années 73… C’est pas du tout une bonne nouvelle. Je suis triste. »

De la part de la  CNT de Paris (Autre Futur) : « Merci de transmettre de notre part un salut fraternel à la famille et aux amis, camarades de Jean-Pierre. »

De Gérard Lecha de Tours, collaborateur du Libertaire

Adieu, mon vieux Jean-Pierre, puisque c’est l’heure d’utiliser cette interjection si peu sympathique. Depuis que j’ai fait ta connaissance, lors d’un certain Congrès de Nevers, en novembre 1979, c’est-à-dire il y a un peu plus de trente ans, je t’ai toujours connu  militant et manifestant ardemment pour plus d’humanité chez nous autres, humanoïdes plutôt en mauvaise passe.

Je t’ai surtout vu toujours fidèle au poste, à la direction de la publication du valeureux journal non aligné Le Libertaire.

Et dans le fond, c’est grâce à toi surtout que, sous l’appellation de Père Chat, j’ai pu semer à tout va une foultitude d’éructations en réaction à toutes les saloperies qui nous agressent de par le monde.

Que tu en sois remercié, Jean-Pierre, et que l’Eternité qui vient de commencer pour toi (et qui nous attend tous et toutes un jour ou l’autre!) te sois douce…..

Tours, le 18/07/2011.

 

Et bien d’autres messages plus personnels (Laurent, Romuald, on ne peut les citer tous….). Cet hommage a été peut-être long. Mais comment restituer en quelques mots l’essentiel d’un homme de cette qualité ?

 

Jean-Pierre n’est plus,  il a livré un dernier combat avec la maladie (comme on dit) et c’est elle qui a gagné mais nous espérons qu’il restera vivant dans nos esprits et dans nos cœurs. Il a commencé à militer dans les rangs anarchistes en 1961, nous sommes en 2011………..50 ans de combat libertaire : belle constance !

Nous remercions toutes les personnes présentes qui sont venues aujourd’hui témoigner de leur sympathie à Jean-Pierre.

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